Mais qui est donc cette écrivine-là ?

Mais qui est donc cette écrivine-là ?

Mon enfance et mon adolescence ?

L’omniprésence de la rivière

Une grande famille. 

Aînée de sept enfants. Je n’avais pas encore mes six ans quand le cinquième est né ! Les deux derniers sont arrivés un peu plus tard. Je venais de fêter mes treize ans à la naissance de ma plus jeune sœur. Grande famille, avec en plus toute une flopée de cousins et cousines, ça veut dire chaleur humaine et turbulences, jeux de cartes et disputes, grandes balades à vélo et histoires à raconter. Ah oui… Je racontais des histoires aux plus jeunes.. J’étais « la grande. » Ça avait ses avantages et ses inconvénients. Débuts d’une vocation ? Je ne savais pas que raconter pouvait devenir un métier. Il a fallu que j’attende d’avoir passé la quarantaine pour le comprendre.

Les animaux.

Le tout premier à moi toute seule, c’était un petit chat nommé Piccolo. Et puis il y a eu Quéna, la dalmatienne chérie, et sa flopée de chiots. Ma toute première monture a été un poney baptisé Ozo. Et puis il y a eu quelques souris, serpents, tortues, cochons d’inde et autres crapauds. Tambour, un levraut nourri au biberon. Et même Follette, la petite renarde. 

La musique.

Avec une Maman mélomane, c’était obligatoire. Presque aussi important que l’école. Piano, d’abord. Il paraît que c’est par là qu’on doit commencer.

Sauf que la prof, très vieille école, ne navigue pas dans le ludique. Coups de règle sur les doigts en cas de fausse note un peu trop réitérée. Dégoût du piano. À dix ans, je passe à la guitare, et je m’amuse à la kena. La maman profite de nos bifurcations musicales pour monter un « orchestre ». Elle adapte la partition de « l’eau vive » pour chaque instrument : Anne à la guitare, Jean-François et Éric au piano, Christine à la flûte traversière, Benoît au violon. Pascal échappera à la musique obligatoire. Il est atteint du syndrome d’Asperger, non diagnostiqué à l’époque, mais c’est assez galère pour pas mal de choses (l’école entre autres) sans qu’on vienne y rajouter la musique. La plus jeune, Dominique, en restera au piano.

J’aime, j’aime pas.

L’école : beurk ! Je préfère de loin jouer les petites filles Cro-mignonnes.

Ce qui me passionne ? Ramer sur la rivière dans une vieille barque en bois ; pêcher les écrevisses ; folâtrer dans les sous-bois avec Quéna ; apprivoiser serpents, crapauds, souris et araignées ; à cheval, galoper sur une longue allée forestière ; cueillir pissenlits, mûres et champignons au gré des saisons…

La chouchoute de mon adolescence, c’est Sofia, une petite jument tarbaise qui avait reçu une très mauvaise éducation. Elle m’en a fait voir de toutes les couleurs ! Mais avec infiniment d’amour et de patience, on vient à bout de tout. Sofia s’est transformée si merveilleusement qu’elle a finit par m’offrir un galop quasi sur place, rênes longues. Il faudra qu’un jour je raconte toute son histoire, y compris celle de son amitié avec une petite chèvre blanche…

Vers l’âge de douze ans, je me suis prise de passion pour l’Espagne, va savoir pourquoi. Outre le fait que j’ai bien entendu choisi l’espagnol comme seconde langue au collège, je me suis lancée dans la couture avec un sacré défi : me confectionner une robe « flamenca » ! Au collège, je détestais la couture et j’étais nulle. D’ailleurs, je trouvais injuste que les garçons aient droit au « travail manuel », c’est à dire au bricolage créatif, pendant que les filles devaient se morfondre à aligner des points idiots sur des carrés de tissu. (Après mai 68, les filles ont eu droit au « travail manuel », et la couture a été abandonnée. Comme si on ne pouvait pas inclure un peu de couture dans le travail manuel, y compris pour les garçons. Bref…) En tout cas, les points ceci et cela je m’en fichais royalement. J’aurais pu commencer par plus simple. Mais non. Ce que je voulais, c’était ma robe. Ma maman m’a aidée un peu pour fabriquer le patron. Elle m’a guidée quand je me trouvais en difficulté. Mais finalement je l’ai réussie, ma robe ! Et je n’en étais pas peu fière !

Lire, lire, lire… Au point que mon vilain Papa s’est cru obligé de m’interdire d’avaler plus de deux livres par semaine. C’est alors que je me suis découvert une constipation chronique afin de me planquer dans les cabinets d’aisance pour assouvir ma faim de lecture. On a les addictions qu’on peut. Fort heureusement, le Papa n’a pas jugé qu’une constipation méritait une visite médicale. 

Et puis écrire ! Ah bon ? Déjà ? À douze ans, je me suis lancée dans mon premier roman, griffonné dans des cahiers d’écolier. Une histoire de lion prisonnier d’un cirque que le jeune héros finit par rapatrier dans la savane africaine. Illustré par des photos découpées dans des magazines et soigneusement collées à l’endroit ad hoc au gré du récit. J’ai pieusement conservé le manuscrit, mais je n’ai jamais osé le relire !
J’étais en classe de troisième quand lors de la réunion parents-profs (j’en étais bannie) le professeur de français a susurré à mes parents « Anne a de l’avenir en littérature. » O.K. pour l’heure, je n’ai pas encore atteint les sommets de la célébrité (à vrai dire je n’y tiens pas plus que ça) et ma plume (oups ! Pardon ! Mon ordinateur) ne me permet pas de vivre « décemment », comme on dit. Heureusement, j’ai un jardin pour me nourrir. D’ailleurs, ça veut dire quoi, « vivre décemment ? » Moi, du moment que j’ai un toit au-dessus de la tête et que je mange à ma faim, ça me suffit bien.

Il faut bien devenir adulte...

Premiers pas dans la peau d’une « grande personne ».

… et la suite.

Après le bac, (« Passe ton bac d’abord, après on verra. ») je n’ai même pas voulu tâter de la fac, tellement j’avais la colique à l’idée de vivre en ville. Mais le Papa de la Anne avait décidé qu’elle devait avoir un métier, et sans lui demander son avis, il a inscrit sa fifille à l’école d’infirmière. Stupeur de la Anne en question quand il lui annonce la nouvelle. Elle ne ressent absolument aucune vocation pour ce métier-là. Mais on ne désobéit pas au Papa. Dix-huit mois de galère. heureusement, il y a toujours les chevaux… Et un moniteur d’équitation ! Mariage très jeune. Trop jeune : dix-neuf ans. Mais de quoi échapper à cette maudite école d’infirmière, joyeusement abandonnée. Pour me rabattre sur l’élevage des chèvres et la confection du fromage. Toujours les animaux. Ça, c’était dans mes cordes. Pas une foule de chèvres, bien sûr. Une petite trentaine, ça suffisait bien. Avec chacune leur nom, et traites à la main. Et j’allais les promener par les chemins creux, tralalalala… Elles mangeaient des tas de plantes savoureuses qui donnaient bon goût au fromage. C’était il y a longtemps. Désormais, on rencontre des élevages de cent ou deux cents chèvres qui ne sortent jamais au soleil. Elles sont nourries à l’auge, et on s’étonne que les fromages soient insipides. Bref…

Trois filles.  puis un divorce, pour rester dans l’air du temps.

Déménagement. Abandon de l’élevage de chèvres. Nouveau compagnon. Élevage de chiens et de chevaux, culture de plantes aromatiques. Un peu moins prenant que les chèvres, qu’il faut traire matin et soir tous les jours de l’année. Davantage de temps à partager avec les enfants… et davantage de temps pour l’écriture. Naissance du quatrième enfant, un fils, cette fois.

Et l’écriture dans tout ça ?

Ah oui, l’écriture ! Parlons-en, de l’écriture…
Pendant quinze ans, un roman par an pour tenter de décrocher le Prix du Roman Jeunesse, décerné sur manuscrit anonyme par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Un défi, avec si peu de chance de réussite. Deux élus par an (l’un décerné par un jury d’adultes, l’autre par un jury d’enfants) sur environ 150 manuscrits candidats. Mais ça fait une motivation pour écrire, et une date butoir à respecter. Quatorze romans renvoyés… Je tente ma chance auprès de quelques éditeurs. Réponses bateau (« malgré tout son intérêt, votre roman ne correspond pas à notre ligne éditoriale… Blablabla… ») Alors je continue avec entêtement à produire un roman par an pour tenter de décrocher ce fameux prix, sans trop y croire. En me disant que c’est peut-être ma seule chance d’accrocher l’attention d’un éditeur.
L’assiduité (ou l’entêtement ? ) finit par payer. An 2000. Je me trouve en équilibre sur un escabeau, en train de repeindre l’encadrement de la porte-fenêtre. Sonnerie du téléphone. « Allo ? Vous êtes bien Anne Labbé ? C’est bien vous qui avez écrit Cheval-Soleil ?
– Euh… Oui. Pourquoi ? (C’est quoi cette histoire ? À part la famille très proche, personne n’est au courant)
– Vous avez remporté le prix ! Jury enfant.
– C’est une blague ?
-Pas du tout ! »
Non, ce n’était pas une blague. La quinzième fois était la bonne. Avis à tous ceux qui se découragent avant l’heure.

J’abomine la foule, je hais Paris, mais bon, il faut bien que je me rende au salon du livre de Montreuil pour recevoir mon prix ! Je me fais accompagner de mon Papa (très fier, le Papa…) et d’une amie. Toute émue et incapable d’aligner trois mots, la Anne. La voilà même qui fond en larmes…

« Cheval-Soleil » sera publié par Hachette en 2001 puis réédité en 2008. Il a même été par la suite adapté en dessin animé par les productions de l’Arlequin dans leur collection « les grands textes de l’enfance ». Cet ouvrage a fait partie des livres choisis par les professeurs pour être étudiés au collège. Malheureusement, il est maintenant épuisé et Hachette n’a pas voulu tenter une troisième édition.

En tout état de cause, j’avais le pied à l’étrier. Les éditeurs regardent avec un peu plus d’attention un ouvrage présenté par quelqu’un qui a obtenu un prix.
Là, tu peux aller jeter un coup d’œil sur ma bibliographie.
En tout cas, portes ouvertes sur les salons du livres, rencontres avec des auteurs que je n’aurais jamais imaginé pouvoir rencontrer un jour… La sauvage se civilise !
Et c’est là que la raconteuse d’histoires se met à raconter. Non plus seulement pour mes p’tits frères, sœurs, cousins, cousines, comme du temps de l’adolescence. Non plus seulement pour mes propres enfants. Mais devant un vrai public. Centres de vacances, centres de loisirs, écoles, fêtes de villages…

En même temps, elle n’a pas oublié sa guitare, l’écrivine. Oh ! Elle n’est pas une virtuose, très loin de là. Elle se contente de grattouiller un peu pour accompagner les chansons qu’elle compose. Et elle obtient quand même un petit succès d’estime dans les spectacles organisés par les associations locales.

Décès du compagnon, alors que notre fils n’a que treize ans.
Plusieurs années de célibat consacrées aux chevaux, aux chiens, au jardin, aux plantes aromatiques, à la réfection de la maison, et surtout au fils adolescent. Les trois filles sont adultes, désormais, et volent de leurs propres ailes. Je me sens bien, douillettement recroquevillée dans mon cocon isolé du monde. Aucune envie de renouer avec la vie de couple. D’ailleurs, j’ai largement dépassé la cinquantaine. Depuis des années, mon fils Keny me harcelait : « pourquoi tu n’écris pas un fantastique ?  » depuis l’âge de huit ans, il était mordu par ce style de littérature. Moi, ce n’était pas tellement mon truc. Et puis après la sortie de mon bouquin « Contes et légendes du Pays des Mille Étangs », je me suis sérieusement posée la question : « et pourquoi pas un fantastique berrichon ? Brennou, même, plus précisément. Car ma Brenne, pays des mille étangs, regorge de personnages fantastiques peu rencontrés dans la littérature : le Lupeux, le Cheval Malet, la Cocadrille, les Martes, le Meneux de nuées… 

Lancée dans ce projet ardu, avec des finances assez peu reluisantes, je me suis risquée à demander une bourse au centre National du Livre. Monter le dossier n’a pas été une mince affaire. Mais la bourse m’a été octroyée ! J’ai reçu la nouvelle… le jour de la Sainte Anne. Incroyable ! Je pouvais écrire tranquillement sans me soucier du « comment mangerai-je demain ? »  C’est ainsi qu’est née « la tache verte »

 

Entrée dans un nouvel âge. (Mûr ?)

Voyage, voyage…

Cependant la destinée est une coquine qui décide parfois de vous jouer de drôles de tours.
Surtout quand on décide soudain de construire soi-même un poêle de masse alors qu’on n’a jamais touché une truelle de sa vie. Et que pour ce faire, on achète un bouquin qu’on croyait uniquement technique et qu’on a la surprise de le découvrir bourré de philosophie. Sans compter un humour ravageur. Rien que le titre, déjà :
« De la lourdeur dans la légèreté et de la légèreté dans la lourdeur, l’autoconstruction d’un poêle de masse et de soi-même.« 
L’auteur vit a 600 kilomètres de mon Berry, mais je le contacte, suite à de petits soucis techniques rencontrés en cours de construction. Il répond très gentiment. Assez intéressé par le fait qu’une bonne femme de 53 ans sans aucune notion de maçonnerie ose se lancer dans ce jeu de construction avec son bouquin dans la main gauche et une truelle dans la main droite. Échange de courriers et de coups de téléphones. Le poêle finit par ronronner doucement. Petite fête organisée pour son baptême, après qu’il nous ait réchauffé tout un hiver. J’invite par politesse l’auteur du fameux bouquin, sans imaginer une seconde qu’il va se déplacer. Mille deux cents kilomètres aller-retour, ce n’est pas rien tout de même. Cependant, il est venu.
Devine la suite…

Eh oui, me voilà avec un nouvel homme sur les bras. Et qui va drôlement me secouer les puces, celui-là ! Fini le train-train quotidien.
C’est lui qui a eu l’idée, au tout début. Il sentait bien mes réticences à recommencer une vie à deux.
« Je rentre chez moi, et on va chacun s’écrire une lettre, qu’on postera le même jour pour être sûr qu’il n’y ait pas d’influence de l’un sur l’autre. Chacun écrira ses envies, ses rêves, même les plus fous ou les plus improbables. Pas forcément pour les réaliser, mais pour mieux connaître les profondeurs de nos âmes. »
Et dans les deux lettres se sont croisés… des rêves de voyage en roulotte. Mais… C’est juste un rêve en l’air, comme ça, ou bien… on le réalise ?

Hum… C’est que si la Anne adore lire les aventures mirobolantes des grands aventuriers lorsqu’elle se trouve bien au chaud dans son lit, essayer de les imiter, c’est une toute autre paire de manches. Défi : sera-t-elle capable de tenir jusqu’au bout ? Et le jardin ? Et le cocon douillet ? Occasion de se connaître mieux soi-même ?

Hum… Et puis c’est que si le Oswald fut un grand voyageur, (il a quasiment fait le tour du monde en auto-stop, dans sa jeunesse, plusieurs années durant, vivant de divers petits boulots dénichés au fil du chemin, avant d’entamer une carrière de professeur de biologie) il a… une peur bleue des chevaux !

Bon, alors on se complète bien : Anne a la trouille de voyager, et les chevaux flanquent la pétoche à Oswald. Il suffira de se partager le boulot…

Et voilà comment on s’est retrouvés sur la route, mon Oswald et moi, de Juin 2014 à Septembre 2016, avec notre roulotte, nos deux juments Océane et Noé et notre gros toutou Altaï.

5200 kilomètres, deux ans et trois mois d’un voyage chaotique et cahoteux, rempli de péripéties et de rencontres improbables et merveilleuses. Départ du Berry, traversée du Nord de l’Italie, de la Slovénie, Sud de la Hongrie, Roumanie, hivernage dans les Carpates, retour par le Nord de la Hongrie, la Slovaquie, l’Autriche, l’Allemagne, et arrivée en France par l’Alsace. Bien entendu, nous n’avons pas pu nous empêcher raconter ce périple aventureux dans un livre :
« Car à pattes, cahin-caha »

Pour vivre heureux, vivons cachés.

Que faire au retour ? Nous cacher dans la brousse sauvage des montagnes de l’Hérault si chère à mon Oswald. Beaucoup plus belle, sans conteste, que la campagne bien peignée et bien civilisée, avec ses champs bien pesticidés qui entoure ma maison berrichonne.

Petite philosophie : vivre dans une sobriété heureuse, dans une simplicité volontaire et nécessaire, loin des villes. Panneaux solaires, eau de source, jardin sans aucun poison, animaux en liberté… Privilège incroyable, à partager sans modération avec les renards, les blaireaux, les aigles et les sangliers.
Mais qui est donc cette écrivine-là ?

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