poêle de masse

Cocadrille, ou le confort hivernal

Les prémices

Il était une fois une écrivine qui rêvait d’un gros poêle de masse. Un poêle à inertie qui lui offrirait une douce chaleur tout en économisant la dépense en bois… et en travail.

Un poêle de masse, c’est ce gros machin dans lequel va flamber une ou deux heures par jour un feu très vif. Les flammes chauffent fortement les briques. Quand il ne reste que des braises, tu fermes hermétiquement la porte, et durant les vingt-deux ou vingt-trois heures restantes le poêle restitue doucement la chaleur emmagasinée par les briques.

Pour l’heure, l’écrivine avait dans sa cuisine un gros fourneau à bois ; dans l’une des chambres un insert et dans l’autre un petit poêle classique, qu’il fallait surveiller et alimenter sans cesse toute la journée.

Des gourmands, quoi.

L’hiver, si l’écrivine s’absentait pour la journée, à son retour la maison était glaciale. Il fallait rallumer les feux, et attendre que la pièce daigne se réchauffer un peu pour pouvoir souper confortablement. Tandis qu’avec un poêle de masse, si on allume une bonne flambée le matin, la maison restera tiède jusqu’au lendemain. Ouf ! On pourra s’absenter sans scrupule…

Malheureusement, tout ceci ne pouvait rester qu’un joli rêve. Car elle s’est renseignée, l’écrivine. Et là… le prix de ces grosses bête s’est révélé absolument prohibitif, tout au moins dans l’état actuel de sa petite bourse.

Quant à songer à auto-construire, il n’en était pas question. Car elle n’avait jamais touché une truelle de sa vie, l’écrivine. Son compagnon venait de partir à la découverte du pays des taupes ; son plus jeune fils n’avait que treize ans, et la maçonnerie ne faisait pas partie de ses violons d’Ingres. Tant pis. Le rêve restera un rêve.

Jusqu’au jour où… L’écrivine était abonnée à une sympathique revue « écologie, alternatives, non-violence », joliment titrée S!lence. Et que déniche-t-elle dans cette revue ? Une réclame pour un petit bouquin intitulé « De la lourdeur dans la légèreté et de la légèreté dans la lourdeur, l’autoconstruction d’un poêle de masse et de soi-même ». Tout un programme ! Le bouquin ne coûtait que 12 €. Ça n’allait pas entraîner la ruine que de le commander, par pure curiosité.

Elle était très loin d’imaginer, l’écrivine, que ce drôle de petit bouquin allait bouleverser sa vie.

La Chauffe-Souris, cette drôle de bestiole te révélera tous les secrets de la construction de ton poêle de masse.
Quand ce bouquin a été publié, il était effectivement le premier à traiter de ce sujet en langue française. Depuis, il y en a eu d'autres...

Première surprise : le livre s’ouvre sur des pensées philosophico-humoristiques auxquelles l’écrivine ne s’attendait pas du tout. Très séduisantes, les pensées.

Deuxième surprise, excellente : dans la partie technique, les croquis étaient d’une carté telle que la construction ne semblait guère plus difficile à mettre en œuvre qu’un jeu de construction.

Troisième surprise, séduisante : le bouquin a semble-t-il été écrit par une femme, pour les femmes. L’ironie envers les hommes (bêtas, enquiquineurs et maladroits) y est assez mordante – et très drôle.

On se lance !

Un poêle de masse, c’est un poêle dans un poêle.

Le poêle intérieur est obligatoirement construit en briques réfractaires : la température peut monter à 1000 ° ! L’air brûlant circulera entre les deux parois. 

Parenthèse...

Au secours ! Il faut des joints en fibre de verre tressé. Je me rends dans mon magasin de bricolage favori.

« Je voudrais du joint en fibre de verre tressé.

– On n’a pas ça. »

Puisque je suis en ville, et malgré la grosse corvée que représente pour moi l’action de courir d’un magasin à l’autre, je me « fais » trois bricos-trucs d’affilée.

« je voudrais du joint en fibre de verre tressée.

– On n’a pas ça. »

De guerre lasse, je rentre à la maison pour continuer ma recherche par téléphone. Je coche dans les pages jaunes tous les brico-machin et brico-bidule du département.

« Allo ! Vous avez du joint en fibre de verre tressée ?

– On n’a pas ça. »

Ah !? Le livre a semble-t-il été écrit par une Allemande nommée Ignatz Heitzmaus. Tout à la fin, en tout petit, on découvre qu’il a été traduit par un dénommé Oswald Hoepfner, avec une adresse postale, et même une petite adresse pour le joindre par courriel. Voici ce que ça donne :

Il se peut que tu aies trouvé ce livre par hasard, par une amie, sur le net ou par une annonce. N’importe… Peut-être as-tu déjà vu quelqu’une fièrement posée devant son nouveau poêle. Si

celle-ci a choisi une porte vitrée et si par coïncidence le feu est en train de brûler tu t’apercevras que tu es en présence d’une femme illuminée, pas seulement par ce feu profane dans le poêle, mais surtout par le mystère de la Souris allumée. Elle te sourira avec son sourire énigmatique, te prendra par la main et te l’expliquera. Elle murmurera dans ton oreille attentive un parler rempli de mesure et de sagesse. De cette manière tu seras avertie de toutes les erreurs et âneries du traducteur de La

Prophétie de la Chauffe-Souris : elle te dira comment faire mieux, où trouver quoi et qui, des trucs et des astuces pour l’autoconstruction plus pratiques et surtout que le meilleur amant est l’aimé …

Si, quelle rare chance, tu as une Belle Âme, tu enverras une petite lettre gentille au traducteur avec tes remarques, pour qu’il comprenne sa sottise et pour qu’il retouche ses conneries dans une prochaine édition. Sache que le traducteur est un commun mortel, en plus un homme, et surtout ni une prophétesse, ni un prophète.

Ayez pitié de lui.

Une lettre ?? Pourquoi pas un courriel ? C’est beaucoup plus commode, d’ailleurs plus rapide !

Hélas ! La facilité nous guide vers le superficiel et la rapidité au sommaire. On ne prend pas le temps de s’asseoir, de ronger son stylo, de se curer le nez et de bien réfléchir. En plus, le pauvre destinataire risque de s’écrouler sous un tsunami de mails ! En plus, tu économiseras la salle de musculation en courant au bureau de poste le plus proche, toujours fermé ou en grève.

Alors, sois magnanime, prends plutôt ta plus belle plume que le clavier de ta bécane. Aie pitié.

Bien entendu, l’idée de la lettre ne pouvait que séduire l’écrivine que je suis. D’autant plus qu’à l’époque, je n’avais ni Internet, ni adresse électronique, et que tout ça ne représentait pour moi qu’un drôle de charabia. Mais en l’occurrence, j’étais pressée. Il me fallait du joint en fibre de verre tressée pour pouvoir avancer mon Grand Œuvre ! J’ai donc supplié ma petite sœur, plus moderne que moi, de contacter par courriel le traducteur (donc de ne ressentir aucune pitié envers lui) afin de lui demander où diable on pouvait bien se procurer du joint en fibre de verre tressée. Réponse immédiate : « Dans n’importe quel magasin de bricolage. » Je fronce gravement les sourcils. L’idée me vient de téléphoner à un copain qui travaille dans le bâtiment.

« Tu sais où je peux me procurer du joint en fibre de verre tressée ?

– Ben dans n’importe quel magasin de bricolage.

– Ah non, tu ne vas pas me répondre ça toi aussi ! (Je lui raconte mes démarches)

– Écoute, en tout cas il y en a dans le petit magasin brico de mon village. Je vais t’en acheter, je passerai te le donner, et tu me rembourseras. Ah ! Mais attends. Tu leur a demandé quoi au juste, à tous ces magasins ?

– Ben du joint en fibre de verre tressée.

– Essaye donc de leur demander du joint pour porte d’insert… »

Re-téléphone. En premier lieu à mon brico habituel :

« Allo ! Vous avez du joint pour porte d’insert ?

-Mais bien sûr ! »

Vroum… Je re-démarre la voiture, je re-vais en ville. Je rentre dans le magasin. La même qui m’avait affirmé ne pas avoir de joint en fibre de verre tressée m’accueille.

« C’est moi qui vient d’appeler, pour le joint pour porte d’insert.

– Bien sûr, suivez-moi, je vous emmène au rayon. Voyez, c’est là. »

Je lève les yeux vers le paquet indiqué, et la première chose qui me saute aux yeux, ce sont les grosses lettres bien visibles «  JOINT DE FIBRE DE VERRE TRESSÉE »

« Mais vous m’aviez dit que vous n’en aviez pas !

– Euh… (figure bien embarrassée) Je ne savais pas que ça s’appelait comme ça.

– Ce n’est pas écrit assez gros ?

– Ben… »

Bref. Mieux vaut en rire qu’en pleurer. En rentrant à la maison, une petite phrase du traducteur me trottait dans la tête : « Si, quelle rare chance, tu as une Belle Âme, tu enverras une petite lettre gentille au traducteur avec tes remarques, pour qu’il comprenne sa sottise et pour qu’il retouche ses conneries dans une prochaine édition. »

C’était le moment de prendre ma plus belle plume pour lui conter cette aventure, en essayant d’y mettre un brin d’humour. Il fallait bien donner à cet Allemand une belle occasion de persifler au sujet des Français. Et de lui suggérer, pour la prochaine édition, de ne point appeler les choses par leur nom réel, mais plutôt par leur nom usité. (Pas tombé dans l’oreille d’un sourd comme tu le constateras un peu plus loin.)

Premier pas dans la correspondance Anne-Oswald.

Correspondance d’abord assez technique. Quand quelque chose coinçait, j’appelais au secours. « Et là, je fais comment ? » Émaillée tout de même des petites aventures et mésaventures de la construction. Intrigué par la verve épistolaire de sa correspondante, Oswald lui demande, par téléphone cette fois, pour quelle raison elle écrit de si longues lettres. Là, Anne avoue qu’elle est écrit des livres, et qu’une lettre de quelque pages ne représente pour elle qu’une bagatelle. Ça l’intéresse, le Oswald. Touchée, la romancière expédie à son maître en maçonnerie l’un de ses romans : le ventre de l’arbre. Ouh ! Ça commence à se corser. Le monsieur apprécie, et passe même commande du roman pour l’offrir.

Fermons la parenthèse et continuons à bosser.

La construction, pendant ce temps, avance.

Pour le turbo activateur de flamme, j’ai eu de la chance. Mon casseur préféré m’a déniché un tuyau en inox bien costaud, pile de la bonne dimension, pour la modique somme de 5 €.

Délicat : la fabrication du cadre pour la porte. Confectionner un moule en bois. Y couler du ciment réfractaire, en utilisant de la vermiculite en place de sable.

 En ce qui concerne la porte elle-même, j’ai fait des frais. Je ne voulais pas m’amuser à bricoler, parce que je savais que c’était un élément essentiel pour le bon fonctionnement du gros bébé. Donc j’ai commandé une « vraie » porte pour poêle de masse en Autriche. Ça m’a coûté un peu, mais je n’ai pas regretté.

Maintenant, les murs sont montés assez haut pour s’attaquer à la dalle qui va séparer le corps du poêle de la voûte. Le trou rond, c’est pour le tirage. La trappe, c’est pour régler le tirage en fermant plus ou moins le trou.

Cette fameuse voûte, ça fait un peu peur à la maçonne débutante. Mais tout est si bien expliqué dans le fameux petit livre que ça devrait le faire. Il faut commencer par fabriquer un moule en bois.

Ensuite, y’a plus qu’à… poser les briques, qu’il faut quand même un peu biseauter une par une. Vive la meuleuse électrique ! On déplacera le moule au fur et à mesure de l’avancement de la construction.

Une fois la voûte terminée, mouler les deux frontons en demi-cercle ; un pour le devant, un autre pour l’arrière. Et puis les poser avec délicatesse à leur emplacement.

Embobiner le poêle d’un fin treillis sur lequel viendra s’accrocher la couche d’argile.

Une photo de Keny, pour donner une idée des proportions de la bête.

Deuxième parenthèse

Oh ! Oh ! Parenthèse intéressante. Le « traducteur » du livre téléphone à l’écrivine. La première édition du bouquin s’épuise. Il voudrait le rééditer, mais en l’améliorant si possible. Très intéressé par l’expérience d’une néophyte totale qui parvient à construire ce monument avec la seule aide de ce livre et de quelques échanges épistolaires, le Oswald demande à la Anne si elle accepterait de participer à cette deuxième édition. Où est-ce que ça coince ? Pourquoi n’a-t-elle pas bien compris tel ou tel passage. Et puis le dessin qui montre le poêle éventré paraît un peu trop rigide. Trop correct. Oswald a aimé le dessin qui illustre la couverture du « ventre de l’arbre ». Est-ce que par hasard Anne voudrait bien refaire ce dessin en un peu plus « artistique », et avec un personnage à côté pour montrer à peu près les proportions.

Pourquoi pas ?

Je commence à avoir de sérieux doutes. Et la pauvre Ignatz Heizmaus, dans tout ça ? On ne lui demande pas son avis ? Existe-t-elle, d’ailleurs, cette Ignatz ? Il rigole, Oswald ! Évidemment… C’est que je n’ai jamais appris l’Allemand, moi. Ignatz… ça, j’aurais pu y penser. Puisqu’en français, on a bien le mot « igné » (produit par l’action du feu) et « ignifuger » (rendre ininflammable) et même « ignition » (état de ce qui est en feu) Donc « Ignatz », après tout, c’est le feu. Voyons l’allemand, maintenant : « heiz » signifie « chauffe », et « Maus » : souris. La chauffe-souris ! Ben voyons… Le livre est édité par les éditions de la « Chauffe-Souris », créées tout exprès pour l’occasion. Ignatz Heizmaus n’est qu’un pseudonyme choisi par Oswald Hoepfner, véritable auteur du livre, et non pas simplement traducteur. Jolie performance, tout de même, de parvenir à écrire tout ça au féminin, tout en ironisant en permanence à l’encontre du pauvre sexe masculin !

Bon, en tout cas, c’est OK, je participerai volontiers à cette deuxième édition… Ça m’amuse même assez, cette aventure.

Fermons la parenthèse et terminons la grosse bête.

Voici que le gros bébé acquiert une certaine élégance avec son manteau d’argile. 

                       Pour finir…
Une touche de couleur : une jolie cocadrille servira de décor. La cocadrille cracheuse de feu, héroïne d’un autre de mes romans, « la tache verte ». Elle sera la protectrice du poêle.
Et une touche de spiritualité : le bouchon de la trappe de nettoyage sera un taiji – Tu sais ? Le symbole du yin et du yang.

Reste à allumer le feu…

À toi de jouer ?

Alors, ça te tente d’essayer ?

Les deux premières éditions ont connu un tel succès qu’elles sont épuisées. Il te reste cependant une ressource : tu peux te procurer ce petit manuel d’autoconstruction d’un poêle de masse – et n’oublie pas : de toi-même aussi ! en commandant la version PDF pour la modique somme de 5 œufs-rots.

Bonbon pour le dessert

Le poêle construit par Oswald, qui trône dans notre maison occitane.

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