Depuis le début du projet, nous avons succombé à la séduction du « sans fers ». Mais dans quelle mesure cela serait-il possible ? Marcher sur le goudron, ça use ça use, marcher sur le goudron, ça use les sabots !
En tout cas, ça use les fers, ça c’est sûr. Et assez vite, d’ailleurs. À moins de ne prolonger quelque peu leur vie avec des pointes de tungstène. Et il y a quand même une différence primordiale entre les fers et les sabots : la corne des sabots repousse sans cesse, alors que les fers, eux...
Je ne vais pas répéter ici nos motivations, dont j’ai déjà parlé lorsque nous avions les mulets. Si ça vous intéresse de les lire ou relire, retournez dans la rubrique « préparatifs », sous-rubrique « les mulets », article « sans fers » Trop flemmard ou trop pressé ? cliquez ICI
Le pieds-nus intégral ? Nous ne nous risquerons pas, dès le départ, à l’imaginer possible. Quoique certains inconditionnels très expérimentés du pieds-nus nous aient assuré qu’il n’y a aucune raison pour que ça ne marche pas. Pourquoi pas ? Ni Alexandre-le Grand,ni Attila, ni Gengis Khan ne ferraient leurs chevaux. Ce qui ne les a pas empêchés de se lancer à la conquête du monde. Les Amérindiens ne ferraient pas non plus leurs cayuses, d’ailleurs. Et pourtant, les Rockies ne sont pas particulièrement tendres pour les sabots !
Un bon point d’avance : Océane et Noé ont d’excellents pieds, et elles n’ont pas été ferrées depuis deux ans, ce qui nous permettra d’éviter la période de transition toujours délicate qui suit le déferrage.
Évidemment, le "pieds-nus", que nous essaierons de pratiquer autant que ce sera possible, exigera une attention permanente et une surveillance attentive des sabots.
Dès maintenant, nous y préparons les juments en les faisant marcher chaque jour sur terrain dur. Nous avons déjà constaté des changements qui vont dans le bon sens. Sur le chemin récemment rempierré avec de bons petits cailloux blancs pas ronds du tout, par exemple : au début, nos louloutes n’y marchaient vraiment pas de bon coeur, évitaient autant que possible les trous remblayés, trébuchaient parfois ou levaient très haut leurs sabots... exactement comme moi lorsqu’au printemps je me remets à marcher pieds nus après un long hiver passé les pieds chaussés ! Aïe ! Ouille ! Pas très agréable ! Bien sûr, nous ne leur imposions cette torture que sur une très courte distance, et très peu de temps. Puis nous avons progressivement allongé l’épreuve. Désormais, Océane et Noé marchent sur ces mêmes cailloux sans rechigner, et n’en ressentent apparemment plus guère de gêne (ce qui ne les empêche pas d’essayer de les éviter quand c’est possible : faut pas pousser, tout de même !)... exactement comme moi, quand au bout de quelques semaines sans chaussures, la corne se formant sous mes pieds, je gambade allègrement sur tout terrain (enfin, presque : si on me donne le choix entre le sable et les cailloux, devinez par où je passe)
La sole des juments s’est durcie. Nous aidons la repousse de la corne en massant régulièrement la couronne avec de la cornucrescine.
Pour l’instant, tout va bien. Nous tâcherons de tenir un "journal des sabots" en cours de voyage. (nature du terrain, nombre de kilomètres pieds nus, nombre de kilomètres avec les clogs, nécessité du parage, etc... etc...) Comme nous n’avons aucune contrainte de date, et que notre but n’est certainement pas de battre des records de vitesse, nous prendrons le temps de nous arrêter une semaine ou deux s’il le faut pour laisser à la corne le temps de repousser.
Il faudra juste veiller à ne jamais dépasser les limites.
Mais ne prenons pas de risque inconsidérés. Mieux vaut prévoir la roue de secours.
La roue de secours ? Les hipposandales, forcément. Oui, mais lesquelles choisir ? Nous avions essayé les « équine fusion » sur nos mulets, mais elles n’étaient pas très bien adaptées à la taille de leurs sabots. Nous avions fini par trouver mieux : les clogs, de chez Dallmer. Je les avais posés une fois, leur dimension était parfaitement adaptée. Sauf que nous n’avions pas eu le temps de les essayer « pour de vrai », puisque juste après leur réception, ça a été l’accident. Il n’en reste pas moins que nous avons été très séduits par la conception de ces clogs. Apparemment assez résistants à l’usure, si nous pouvons en croire les personnes qui les ont expérimentés. Ils ne sont pas conçus comme des chaussures, avec une semelle sous le pied : ils ont la forme des fers à cheval classiques.
Gros avantage par rapport à la plupart des marques d’hipposandales, ils sont extrêmement faciles à poser et à enlever. Pas plus de cinq minutes par jument.
Océane et Noé s’y sont très rapidement habituées. Le premier jour, nous avons juste posé les clogs, pour les essayer (on avait reçu plusieurs tailles pour voir laquelle convenait, et on devait retourner celles qui n’allaient pas) et les deux juments se sont très sagement laissées faire.
La deuxième fois, nous les avons enquiquinées un peu plus, parce qu’il fallait ajuster les barrettes qui doivent maintenir la bonne largeur, et donc prendre des mesures. Soyez patientes, les filles, ça prend un peu de temps !
Enfin la promenade, les juments tenues en main, avec les clogs aux pieds.
Un peu surprises au début, les deux juments se sont très vite accoutumées à leurs nouvelles chaussures. Lorsqu’elles sont pieds nus, elles évitent les cailloux si c’est possible, mais là, elles ont vite pigé qu’elles pouvaient les piétiner allègrement sans aucun inconvénient !
Bien décidés à les essayer attelées avec les clogs aux pieds, mais flûte ! Voilà qu’Océane s’esquinte le postérieur droit en jouant dans le pré. Elle peut à peine poser le pied par terre. Canon bien engorgé, molettes. Décidément ! Quand ce n’est pas la dame ou la roulotte qui sont cassées, c’est la jument !
Heureusement, argile verte et arnica font des miracles.
Une bonne semaine de repos, et voici notre Océane toute fraîche et toute vaillante.
Donc, enfin, premier essai attelé avec les clogs. Super ! Les juments tirent à merveille. Elles n’ont pas l’air perturbées le moins du monde par leurs belles chaussures toutes neuves. Océane semble encore un petit peu gênée dans les côtes, mais pas de boiterie. Nous nous contenterons de cinq petits kilomètres, mais nous sommes enchantés.
Anne,
Avril 2014