Quelle épidémie ! Les langues (les ch’tites langues de vipère, comme on dit dans notre Berry) marchent bon train.
Incroyable. Nous ne pouvons pas rencontrer quelqu’un sans qu’il ne dénigre devant nous quelqu’un d’autre. Et sur un ton qui n’évoque guère la gentillesse.
L’un nous assure :
« les Polonais sont forts en attelage, et fabriquent d’excellentes voitures hippomobiles. »
L’autre (quand nous lui en parlons quelques jours plus tard) :
« N’importe quoi ! Les voitures Polonaises ne valent rien du tout. C’est vraiment de la merde. »
Nous, au premier :
« Que faire si l’un des mulets, pour une raison ou une autre, n’est plus en état de tracter ? Réponse :
« Aucun problème. Faites comme en Pologne ! Un mulet seul d’un côté du timon se débrouillera fort bien. En Pologne, beaucoup de chevaux sont attelés de la sorte. »
Et l’autre, à qui nous faisons part de cette idée :
« Atteler d’un seul côté du timon ? C’est déséquilibré ! Ouais, ils le font en Pologne... Mais bon, tu sais, les Polonais... Pffft... ! »
Rencontres avec les Manouches. Nous avons été très gentiment reçus. Ils nous ont fait part bien volontiers de leur expérience. Naturellement, seule leur méthode est la bonne.
« Un timon ? Pas bon du tout ! Il faut mettre un cheval entre les brancards, et l’autre attelé à un palonnier ajouté sur le côté de la roulotte. »
Les Manouches utilisent ce système depuis si longtemps qu’il doit, supposons-nous, avoir prouvé son efficacité. Mais bien entendu, si nous parlons de ces manières à un professionnel « classique » de l’attelage, il hausse les épaules avec un petit sourire condescendant... Les Manouches... Peuh !
Nous évoquons un dresseur de chevaux devant notre maréchal ferrant.
« Celui-là ? Pas la peine de m’en dire plus long. C’est une catastrophe ce type ! Ne jamais utiliser un cheval dressé par lui ! C’est pas maniable ! »
Le dresseur en question éduque pourtant des chevaux qui sont apparemment utilisés sans problème par des personnes totalement inexpérimentées. Alors ? Inimitié personnelle ?
Ne parlons pas de notre idée de tenter le voyage sans fer... qui déchaîne les langues. Là, nous en entendons de toutes les couleurs (voir notre article « sans fers ? »)
Bon, ces quelques exemples suffiront... Ils sont loin d’être les seuls. Toutes ces personnes sont pourtant vraiment fort sympathiques. Mais que racontent-elles à notre sujet quand nous avons le dos tourné ? Mystère ! Cela nous importe d’ailleurs assez peu. Connaissez-vous « le meunier, son fils et l’âne », conte oriental dont s’est inspiré Jean de la Fontaine pour écrire sa fable ?
Il nous semblerait pourtant plus constructif et plus plaisant de répondre, lorsqu’on est surpris par une méthode inattendue :
« Ah bon ? Il y a des gens qui font comme ça ? Moi, je ferais plutôt comme ci ! Mais quand-même c’est intéressant de savoir que cette autre méthode existe. Le mieux, c’est d’expérimenter soi-même, de comparer... Et de trouver ce qui vous convient le mieux, en fonction de la situation. »
Bien entendu, nous devrons impérativement proscrire tout ce qui pourrait nuire aux mulets. Et autant que possible éviter de nous mettre en danger. Mais pour le reste... question de bon sens. Au cours du voyage, j’imagine que nous serons assez souvent amenés à improviser. Et peut-être que les idées avancées par les uns ou les autres de nos conseilleurs nous seront alors utiles. Et que les méthodes utiles ou efficaces ne seront sans doute pas les mêmes selon les circonstances.
Pour quelle raison de si nombreuses personnes sont-elles persuadées que seule leur méthode est la bonne ? Et pourquoi repousser avec un tel dédain ce que d’autres ont pourtant expérimenté avec succès ?
C’est probablement un peu partout la même chose, mais dans le milieu équestre, quand même, ça y va fort !
Les gens de concours hippique regardent de très haut les randonneurs. Les randonneurs se moquent copieusement des gens de concours hippique, les traitant de prétentieux. Ne parlons pas des ploucs qui élèvent des chevaux « lourds » pour la boucherie... Et bien sûr, tous se mettent d’accord pour critiquer ceux qui osent gagner leur vie avec les courses, les pauvres chevaux devenant des « bêtes sur le dos desquelles on s’engraisse. »
Bon, allez, j’avoue tout... J’ai moi-même fait partie des moqueurs ! Lorsque je suivais la formation d’accompagnateur de tourisme équestre, nous avions un instructeur assez hautain et rigide, partisan de la tenue « correcte » (si vous voyez ce que je veux dire) et de la bombe. Ce monsieur ne concevait pas la randonnée équestre autrement qu’en prévoyant l’itinéraire avec précision, et en s’arrêtant chaque soir dans un gîte d’étape prévu bien à l’avance. J’avais même à l’époque portraituré ce brave homme, et nous avions imprimé une affiche un peu méchante, annonçant un « WANTED » dans le plus pur style western, que nous avions placardée sur tous les murs de la petite ville où avait lieu un important rassemblement de randonneurs.
Depuis, j’ai appris à mettre de l’eau dans mon vin (sauf que je ne bois pas de vin) et à mieux respecter les diverses visions possibles... Après tout, nous avons tous une même passion : le cheval... que chacun respecte à sa manière. Est-ce si difficile de reconnaître que les hippophages (dont je ne fais pas du tout partie, je vous rassure !) ont quand même permis de sauver les races de trait, qui retrouvent désormais de plus en plus leur rôle de chevaux de travail... Et se découvrent même une toute nouvelle place comme chevaux de loisir (pour les maîtres, le loisir, parce que pour le cheval ???)
Quant à nous, désormais, nous essayons d’ouvrir toutes grandes nos oreilles, d’absorber tout ce qu’on veut bien nous expliquer, de prêter attention aux expériences de ceux qui ont « fait pour de vrai ». Ensuite nous ferons le tri en tenant compte de nos propres sentiments, des réactions de nos animaux, de ce que nous apprendront nos rencontres et les aléas du voyage...
Comme on dit dans mon Berry natal : « Faut point s’ardresser coum’ un jau su’l’tas d’fumier » (« il ne faut pas se redresser comme un coq sur le tas de fumier » : traduction pour les non-berrichons, qui ne sauraient pas ce qu’est un jau)
Fin Août 2013, Anne.