À la recherche de harnais d’occasion, avant que nous ne décidions d’opter pour l’achat de harnais neufs, nous téléphonions de-ci, de-là, en réponse à des annonces diverses.
Un vendeur de harnais fort sympathique m’a précisé : « allez-donc à Levroux, il y a là une famille de Manouches qui vivent encore dans une roulotte tirée par des chevaux. Ils pourront peut-être vous filer quelques tuyaux. »
Hiver. Nuages sombres. Pluie froide. Direction Levroux.
11h30. Nous tombons sur deux jeunes filles rieuses, occupées à préparer un gâteau. Nous leur
expliquons le but de notre visite.
« Ah ça, les chevaux, c’est le père qui s’en occupe. Il n’est pas là, mais revenez vers une heure. Vous pourrez parler avec lui. »
Quoi faire en attendant ? Nous trouvons un petit restaurant dans Levroux... Inoubliable velouté de potiron !
13 heures. Retour à la roulotte. Les parents des deux jeunes filles sont là. Ils nous invitent à pénétrer dans leur domaine. Un intérieur nickel, d’une propreté étincelante. Un peu kitch, très formica, style années soixante. Superbe petit poêle à bois. Café, gâteau fabrication roulotte. Nous discutons harnais, chevaux, voyage... L’homme nous explique comment monter un deuxième palonnier pour atteler à deux : un cheval entre les brancards, l’autre à côté. Nous apprenons la différence entre des brancards (indépendants l’un de l’autre) et une limonière (brancards solidaires l’un de l’autre.)
Oswald s’inquiète de la manière dont on peut prendre une douche, sur la route. La dame intervient :
« Écoutez, c’est très facile. (elle montre le poêle). Une bouilloire, là-dessus. Il faut toujours de l’eau chaude. Vous achetez une grande bassine. Du plastique, c’est le mieux, ça coûte pas cher. Vous mettez l’eau chaude dans la bassine. Vous vous déshabillez tout entier. Vous montez dans la bassine. Vous demandez à votre dame qu’elle vous frotte le dos, le ventre, et même partout ailleurs avec du savon. Après, elle prend de l’eau propre dans un broc et elle vous rince. Après elle vous essuie. Et après, vous verrez comme vous vous sentirez-bien ! »
Pendant ce temps, l’homme est sorti. Nous voudrions partir, lui dire au-revoir, mais il a disparu. Nous prenons congé de la femme et des deux filles, en remerciant chaleureusement pour le café et le gâteau. « Vous direz au-revoir à votre mari de notre part »... Nous montons en voiture, démarrons... Et apercevons l’homme qui court à notre rencontre en brandissant un harnais !
« Regardez ! J’ai un harnais à vendre ! Presque neuf ! Super état ! »
Il ne perd pas le Nord, le gars ! Mais ça ne nous intéresse pas, parce que nous voulons deux harnais appareillés. Si nous n’en achetons qu’un, nous n’arriverons jamais à en trouver un deuxième semblable. L’homme est déçu. Il insiste un peu : « Et une paire de guides ? Ça ne vous intéresse pas ? Ça peut toujours servir, des guides de rechange !
Non merci !
Bon. Tant pis alors. Bon voyage ! »
Chemin du retour. Nous passons devant le terrain réservé aux nomades de la commune de Vendoeuvres.
« Regarde ! Il y a une roulotte ici aussi !
On s’arrête ?
On s’arrête ! »
Nous descendons de la voiture, nous pénétrons sur le terrain. Personne. Oswald frappe à la porte de la roulotte. Pas de réponse. Bon, tant pis. Nous nous apprêtons à repartir. Mais une voiture arrive. En descendent d’abord trois femmes et six enfants âgés d’environ deux ans à dix ans ! (Comment faisaient-ils pour tous loger là-dedans ? C’est une cinq places ! Les femmes nous dévisagent d’un air suspicieux. Il ne doit pas y avoir trop souvent des gadjé inconnus qui s’aventurent sur leur terrain !
« Vous cherchez quelque-chose ? »
Je parle de notre projet.
« Alors là, c’est le mari qu’il faut voir ! »
Et le mari, justement, il est en train de s’extirper de la voiture : c’est lui qui était au volant.
« Bonjour. Voilà, on a prévu de partir jusqu’en Turquie...
Avec une roulotte et deux mulets ! » interrompt l’homme. Oswald et moi, nous nous regardons avec stupéfaction. Nous n’avons encore parlé du projet à presque personne. Comment est-il possible que ce Manouche soit déjà au courant ? Je ne le connais pas du tout. Il rit. « Je suis maréchal ferrant, et c’est moi qui ferre les mulets que vous allez acheter. Je suis passé hier ferrer là-bas, chez Denis, et c’est lui qui m’a parlé de ce que vous allez faire ! » Il pleut toujours et il fait froid. Les enfants dépenaillés tournent autour de nous, petits gâteaux et bonbons à la bouche. Ils rentrent dans la roulotte, et en ressortent sans cesse. Les femmes discutent à voix très forte d’un problème de carte vitale, sans du tout se préoccuper de nous. L’intérieur de la roulotte, d’après ce que nous pouvons en apercevoir par la porte restée ouverte, est un fourbi indescriptible. C’est vraiment l’image d’Épinal de la famille Manouche telle qu’on peut l’imaginer... Nous continuons à discuter sous la pluie avec le père de famille. Il nous donne des conseils sur la manière d’atteler, qui ne diffèrent guère de ceux qui viennent de nous être prodigués à Levroux. Manuel (c’est son prénom) nous donne son numéro de portable. « Si vous avez une question, n’hésitez pas à me téléphoner ! » Ça, c’est vraiment sympa.
2013, fin Février
Anne