Ah, il est très gentil, ce Râli-là ! Mais c’est un mulet ! Et un mulet dominant, de surcroît ! Malin, avec ça ! Capable d’enregistrer la moindre faille et de s’en souvenir. Me voilà bien montée... Enfin montée, façon de parler, parce que c’est plutôt la tenue en main qui pose problème !
Râli nous avait été présenté par son ancien propriétaire comme « très facile ». « On pourrait le confier à un enfant de cinq ans », avait-il dit. « Tandis que Sekü, c’est autre chose. Il est sur l’oeil, il a peur de tout, il refuse de donner ses pieds... Bref, il ne sera pas très facile »
Bon, pour les problèmes de Sekü, on avait été prévenus. On était préparés. On a agi en conséquence (voir les articles « jeux d’eau », et « comment faire pour que la bestiole donne ses pieds ». Très rapidement, la « bestiole » a décidé de nous faire confiance, et finalement, ce Sekü ne nous a pas trop causé de soucis.
Râli, lui, a été parfait les trois premiers jours. Puis il a commencer à me toiser de toute sa hauteur. « Comment ? Ça veut me commander, cette petite bonne-femme-là ? Non mais pour qui ça se prend ? »
Les ennuis ont commencé un peu par ma faute. Je ne me méfiais pas assez. C’était fin Mars. Promenons-nous dans les bois. Comme Sekü refusait de mettre un pied dans l’eau, j’ai fait passer une mare à Râli et je l’ai éloigné un peu, pensant que Sekü, ne voulant pas rester seul, finirait par passer l’obstacle pour rejoindre son frère. Bêtise. Sekû a échappé à Oswald, pour filer à la maison au galop. Bien entendu, c’est Râli qui a voulu rejoindre son frère ! Il m’a arraché la longe des mains... Et nous voilà rentrant derrière eux, bien marris.
Le problème, c’est que Râli avait pigé l’astuce. « Tiens, tiens... En tirant un coup sec, à moi la liberté ! »
« Et si j’essayais de me libérer de l’attache ? » Un coup sec... et la couture du licol qui craque ! Catastrophe ! Décidément, nous les accumulons...
Bon, tâchons de changer de tactique. Un licol en corde fera peut-être l’affaire. De ces fameux licols que l’on baptise « éthologiques ». Parce que tout est devenu « éthologique », maintenant. Ça doit faire vendre, ce mot-là. Je me demande s’il n’existe pas de l’onguent pour sabots éthologique... Ou si ça n’existe pas encore, ça ne saurait tarder... Bref, ne sortons donc pas du sujet.
Et ça marche ! Râli tire un peu, histoire de tester la chose. Mais les nœuds sont durs, assez désagréables. Il n’insiste pas. Nous reprenons nos longues balades en forêt, mulets tenus en main, sur les chemins pierreux, histoire de leur durcir les sabots. Jusqu’au 17 Avril, très exactement. Où une mobylette pétaradante – l’une de ces mobylettes traficotées par un ado féru de bruyantes mécaniques – nous double avec un raffut d’enfer. Affolement général ! Les deux mulets nous arrachent la longe des mains, et une nouvelle fois, retournent à la maison dans un galop endiablé !!! J’éviterai ici de dire un gros mot, mais ce n’est pas l’envie qui me manque !
« Tiens tiens... Même avec ce licol-là, si on tire un coup sec, on peut recouvrer sa liberté. Ça fait un peut mal sur le coup, d’accord, mais le jeu en vaut bien la chandelle. »
Et ce ne sont pas les chaleurs d’Athéna qui vont arranger les choses. Bien que nos mulets soient castrés, ils sont très fortement intéressés par cette situation... Et refusent obstinément de quitter la chérie. Nous voilà bien !
Là, je n’ai plus d’idée. Je suis désemparée. Les personnes que je contactent ne me remontent pas le moral. « Il a compris qu’il pouvait vous dominer. C’est un mulet. C’est très malin, un mulet. Si ça continue, ce sera le divorce » oh là, oh là ! Doucement... J’ai pas envie de divorcer, moi ! Il doit bien exister une solution !
En attendant, pour continuer à faire marcher Râli, la seule solution que nous ayons pu trouver, c’est de l’attacher derrière la voiture d’Oswald. La première fois, il a tiré comme un malade, s’est débattu de toutes ses forces, mais le licol en corde et sa super longe ont tenu bon. Même le mousqueton n’a pas lâché ! C’est un gros costaud, celui-là. Alors bon gré, mal gré, il a bien dû suivre, notre pauvre Râli ! Son intelligence n’a pas été prise en défaut. Il aurait pu se rebeller jusqu’à se blesser... Mais non. Dès qu’il a compris qu’il n’aurait pas le dessus, il a accepté cette étrange lubie humaine.
Alors voici nos nouvelles promenades quotidienne : à l’aller, Oswald conduit la voiture où Râli est attaché, pendant que je suis avec Sekü tenu en longe. Au retour, je prends le volant, et Oswald tient Sekü.
Mais ça ne peut pas durer. Il va bien falloir trouver une solution, tout de même.
Il me vient à l’idée d’essayer le caveçon. Nous en achetons un à la sellerie de Déols. Je suis sceptique en le voyant. C’est un truc en nylon, qui me paraît bien mou. Je n’ai pas vraiment le sentiment que ça impressionnera beaucoup Râli. Mais on peut toujours essayer. (Il commence à nous coûter cher, l’animal !)
Mon sentiment était fondé. Râli se fiche du caveçon comme de son premier licol, et me l’arrache allègrement des mains.
Nous ne remercierons jamais assez Deny Fady ( hippotese.free.fr ) pour le précieux tuyau qu’il nous a confié, par un mail reçu le 20 Juin. Le bout du tunnel après un mois de galère et de questions sans réponse !
Le truc de la chaînette.
Nous avons donc acheté un licol de bât, bien solide, bien costaud (pas question de risquer une nouvelle fois un lâchage de couture, et pour le coup de la chaînette, le licol en corde ne convient pas.) Merci Râli, encore des sous en moins dans le porte-monnaie : 60 € le licol !
Et puis une chaînette, deux mailles rapides et deux mousquetons. Ça, c’est pas trop cher...
Il y a trois positions possibles, pour faire agir la chaînette : sur le chanfrein, sous le menton, sur la nuque. J’ai commencé par essayer les deux premières, bernique ! L’animal se défendait bien. Mais la dernière, au-dessus de la nuque, était la bonne.
Ce qui n’a pas été sans mal, malgré tout.
Première séance : je présente sans trop de précaution la chaînette à Râli, attaché à la barre. Panique totale ! La seule vue de la chaînette l’affole, comme s’il avait vu un monstre horrible ! Il tire au renard, et nous avons toutes les peines du monde à le calmer. Bon, essayons les carottes et le pain dur. Eh ben ! C’est une vraie grosse peur, parce que même les friandises ont du mal à en venir à bout ! Il faudra nous y appliquer pendant trois jours ! Je fais le rapprochement avec les difficultés dont Râli nous assomme pour l’attache avec la chaîne. Je suis maintenant presque certaine que Râli a de très mauvais souvenirs de cet objet-là. Sinon, pour quelle raison en aurait-il si peur ? D’un autre côté, cette peur entraîne le respect...
Bref... En tout cas, ça marche ! Maintenant, Râli a tout juste un petit mouvement de recul quand j’approche la chaînette pour la fixer au licol, mais il se laisse faire. Et une fois la chaînette placée, il me suit comme un chien, la longe détendue. J’ai juste eu besoin de donner deux ou trois fois un petit coup de semonce pour le rappeler à l’ordre, alors qu’il refusait d’avancer. Il obéit aussitôt.
Et je remarque autre chose. Cette leçon-là a très nettement amélioré tous les autres rapports que j’avais avec Râli. Même pour donner les pieds, par exemple. Oh ! Il n’était pas méchant pour deux sous, mais je sentais sans cesse le testeur, pour tout ce que nous faisions ensemble. Et voilà que d’un coup, il m’accepte comme dominante. Je ne me sens pas trop le beau rôle dans l’histoire. Sale esclavagiste, va ! Je me méfie quand même encore un peu... Pourvu que ça dure !
2013, début Juillet
Anne