Aïe ! Sujet sensible !!!
Controversé !!!
Et dans le milieu équestre, très peu de nuances. Chacun est persuadé de détenir la vérité, la seule et la vraie.
Les expériences sont diverses, les avis fort contradictoires.
ALORS ???
D’abord, ma propre petite expérience personnelle : Athéna. Jument palomino officiellement d’origine inconnue. (père quarter horse, mère arabe x origine inconnue) Athéna est arrivée chez moi à l’âge de un an. Elle en a 25 aujourd’hui. Vingt-quatre ans de vie commune, ce n’est pas rien ! Athéna n’a jamais été ferrée. Bon, évidemment, on n’a jamais fait ensemble de voyage au long cours ! Mais elle a été montée (randonnée) et attelée, et ses pieds ont toujours poussé plus vite qu’ils ne s’usaient, malgré le chemin assez dur et abrasif qui part de la maison. Naturellement, je suis bien consciente que ça n’a rien à voir avec ce qui attend nos mulets. En tout cas Athéna est toujours en pleine forme, à la presque retraite (une petite balade de temps en temps, et elle a encore un sacré punch, la belle !)
Bon, j’avoue, je parle un peu longuement d’Athéna... Elle aura été LA jument de ma vie. La consolatrice de mes petits et grands chagrins. Car quoi de tel qu’une bonne promenade à cheval pour oublier les soucis ? Et Athéna, c’est mon cas de conscience, dans cette histoire d’aventure au long cours. Évidemment, compte tenu de son âge, il n’est pas question de lui imposer un tel périple. (Dommage, elle aurait pu servir de « madrina » à nos deux mulets : elle possède une longue expérience et passe absolument partout. Râli et Sekü sont très attachés à elle et la suivent comme des petits chiens.) Oh, je sais qu’elle sera fort bien soignée par Michel, mon voisin ! Sa jument Valna, qui est restée seule depuis qu’elle n’a plus son compagnon-cheval, sera sûrement ravie de trouver une copine. Mais... la reverrai-je à mon retour ? À cet âge-là, comment en être sûre ? Son frère Vivaldi est mort avant d’atteindre ses 24 ans. Enfin... Il faut parfois savoir faire des choix difficiles.
Revenons donc à notre idée. Celle du « sans fers ».
Petit un – Râli et Sekü n’ont jamais été ferrés, et ils possèdent une corne excellente.
Petit deux – Nous ne sommes ni l’un ni l’autre capables de ferrer. Oswald n’a absolument aucune expérience en matière équine. Moi, je suis capable de reposer un fer tombé (je suis titulaire du brevet d’accompagnateur de tourisme équestre, et ça faisait partie du programme !) mais rien de plus. D’ailleurs, nous ne sommes plus tout jeunes, et ferrer, c’est quand même très physique. Nous devons être conscients de nos points faibles, et savoir ce que nous ne pouvons pas faire. Être maréchal, c’est un métier, pas un truc d’amateur.
Petit trois – Nous pouvons difficilement nous fier complètement à l’opinion de ceux qui, même très expérimentés par ailleurs, n’ont jamais travaillé de cette façon. Donc... Contacter des personnes qui ont une expérience réelle dans ce domaine. Cela m’a demandé pas mal d’heures de recherche, qui ont abouti sur des contacts vraiment fructueux et enrichissants.
Pierre Enoff, par exemple,( www.equi-libre.fr ) ingénieur en biomécanique et responsable d’un centre équestre, fervent adepte du pied-nus, qui se bat depuis longtemps pour l’abandon de la ferrure, au point de ne pas hésiter à qualifier cette pratique de « torture ». Il appuie son opinion sur des bases biologiques tout à fait convaincantes.
Mais... Parmi ceux qui ont tenté le coup pour de vrai, les avis sont très partagés. Certains ont dû se résoudre à faire ferrer en cours de route pour cause d’usure exagérée. D’autres ont utilisé les hipposandales, en permanence ou en alternance avec le pied-nu. D’autres encore ont réussi une longue distance totalement pieds-nus, et sans dommage (chevaux en pleine forme et non boiteux à l’arrivée). C’est chez tous ces gens-là qu’on trouve les avis les plus nuancés. Ça dépend du cheval... Ça dépend du terrain... Ça dépend du nombre de kilomètres que vous faites par jour... Ça dépend du temps de repos que vous pouvez octroyer à vos animaux. Il faut que la corne repousse au fur et à mesure de l’usure.
Petit quatre : Râli a un problème d’aplombs aux antérieurs. Le maréchal fait la grimace. Pour un truc pareil, il faudrait une ferrure orthopédique. Problème : c’est coûteux, et surtout, on ne trouvera pas partout un maréchal ayant les compétences nécessaires. Pour lui, les hipposandales aux antérieurs seraient peut-être une solution (les postérieurs, usant beaucoup moins, pourraient à son avis être laissés pieds-nus.)
Petit cinq : je suis moi-même une adepte du pieds-nus. Quand je me déchausse au printemps, les premiers jours, ça fait un peu mal aux pieds. Il faut y aller progressivement. Puis la corne pousse, et à la fin de l’été, je peux marcher des heures pieds-nus sans en souffrir... Même sur les cailloux. D’ailleurs, beaucoup d’êtres humains, de par le monde, marchent pieds-nus en permanence. Les mulets n’auront peut-être pas la corne plus fragile que mes pieds ??? D’ailleurs, fait curieux, personne ne nous demande si nous allons chausser les pieds de la chienne...
On nous a conseillé, en attendant, de faire marcher nos mulets très régulièrement sur terrain dur, pour leur durcir les sabots et stimuler la pousse de la corne. Ce que nous faisons (entre quatre et six kilomètres tous les jours, ou presque.)
Sans aucun problème pour l’instant : même les gravillons bien pointus, qui viennent d’être répandus sur le chemin pour boucher les trous, ne semblent aucunement les importuner. Lorsque Râli a été paré pour rectifier son aplomb défectueux, il a été un peu gêné le lendemain, mais s’est rapidement accoutumé à sa nouvelle démarche.
Quand aux hipposandales, nous en avons essayé plusieurs marques. Aucune n’est vraiment adaptée aux pieds des mulets : elles sont conçues pour les chevaux. Les seules qui conviennent à peu près sont les « Jogging Shoes » d’« Équine Fusion », une marque Norvégienne. Elles sont très souples, conçues comme des tennis plutôt que comme des chaussures. Elles sont un peu trop larges quand la longueur est bonne. Mais nos mulets les supportent bien, et elles ne tournent pas. Nous ne les avons pas encore essayées sur un grand trajet, donc question : est-ce que à long terme, ça ne va pas blesser le pâturon ? compte tenu du fait que les sandales ne sont pas parfaitement ajustées aux sabots de nos mulets. Je ne suis pas trop pessimiste, parce que les jogging shoes sont très souples, et le bourrelet à l’arrière, qui appuie sur le pâturon, a l’air bien confortable. À voir à l’usage...
Nous avons d’abord testé les jogging shoes sur Sekü. D’abord, voir si ça va bien aux pieds, sans les abîmer, surtout, car nous les avons fait venir sous caution, grâce à Janine Guinard ( www.sabot-naturel.com ) et nous pouvons les renvoyer si elles ne vont pas. Comme ça a l’air de tenir en dépit de leur largeur un peu excessive, nous décidons de prendre le risque de les essayer davantage. Environ cinq kilomètres, sans que cela ne gêne Sekü, apparemment. Au début, il a semblé un peu surpris, puis il a marché sans rechigner, en levant peut-être les pieds un peu plus haut que sans chaussures.
En ce qui concerne Râli, je me méfiais un peu plus de son comportement. Quand nous abordons une nouveauté, il a souvent des réactions un peu... disons... imprévisibles ! Eh bien là, aucun problème. Je les lui ai posées sans histoire, après quoi je l’ai laissé libre dans la cour, pour voir un peu. Il a été à peine étonné, les a testées au trot – ça tient le coup ! Puis s’est mis à brouter paisiblement comme si de rien n’était.
Maintenant, une autre question nous turlupine : quelle longévité ? celle-ci peut paraît-il être grandement prolongée en collant sous la semelle de la sandale une « semelle d’usure » taillée dans le caoutchouc d’un pneu de voiture. Merci à Deny Fady
( http://hippotese.free.fr ) qui m’a filé le tuyau, avec même une petite vidéo qui explique comment découper le pneu, et la marque de colle à utiliser.
Après tout, Louis Brunkee et Wladimir Fissenko ont remonté tout le continent Américain avec des chevaux chaussés d’Easy-boots. Ils ne savaient pas ferrer, et cela leur a permis de voyager ! J’ai lu cette anecdote dans le super excellent livre d’Emile Brager : « Techniques du voyage à cheval », que je conseille chaleureusement à tous ceux qui seraient tentés par une aventure au long cours en compagnie d’équidés. C’est vraiment une mine incroyable de renseignements et de conseils ! ( www.emile-brager.fr )
Conclusion : nous avons très envie de tenter l’expérience du pieds-nus, ne serait-ce que pour ne pas regretter de ne pas l’avoir fait. En cas de besoin, nous chausserons les pieds de nos mulets avec les hipposandales jogging shoes. La priorité restera bien entendu le bien-être de nos animaux. Nous surveillerons donc très attentivement l’évolution des sabots, et si nécessité se fait sentir, nous ferons ferrer. Le terrain, l’expérience, l’attitude des mulets, nous guideront dans nos choix. Notre atout principal, c’est que nous avons le temps. Nous n’avons aucun record à battre. Nous pouvons nous contenter de petites étapes, nous pouvons nous arrêter si nécessaire pour laisser à la corne le temps de pousser. Personne ne nous attend, nous avons décidé de goûter la lenteur. Goûtons-la donc ! Vive la retraite... Nous avons absolument conscience d’être de grands privilégiés, eh bien ! savourons ce privilège et tâchons de vivre à l’écoute du monde pour le temps qu’il nous reste à vivre.
2013, mi-Juin
Anne