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Nivernais 3/09/2016

Nivernais

23 Août : Pâture de la Raie – Saint-Brisson 15 km

Changement de département ! Nous voici dans la Nièvre, au cœur du Parc Naturel Régional du Morvan.
Qu’est-ce que c’est beau, le Morvan ! On a roulé à travers la forêt, et donc à l’ombre, ce qui était bien agréable compte tenu de la montée des températures (+30° à l’ombre à notre arrivée.)
C’est la maison du parc, à Saint-Brisson, qui nous accueille.

Extraordinaire ! Tout est prévu pour les chevaux, même les piquets d’attache, avec boucle.

Les Louloutes ont droit à une superbe prairie bien verte, avec point d’eau, entièrement clôturée. Pour nous, ça veut dire farniente. Bon, l’accès au point d’eau est passablement pentu, ce qui chiffonne Noé-la-délicate. Elle n’ose pas descendre, mademoiselle. Pourtant, elle a très très soif. Elle regarde Océane s’abreuver avec un regard tout rempli d’envie. Un pas, un autre, un bout de pain dur pour l’attirer, elle finit par se décider quand même, cette bécassine.

Kaplumbağa est stationnée juste en face du bistrot du parc.

Au bistrot du parc, on peut non seulement boire, mais aussi manger. Tout bio, tout local, et savoureux.
Annaïs, la jeune femme qui nous a accueillis… est membre du CALC ! (Association des Cavaliers au Long Cours) Elle a lu nos articles dans la feuille de chou (le canard de l’association). Elle nous présente sa copine Christine, membre elle aussi. Toutes deux sont ravies de la rencontre, et nous aussi !
Longue promenade autour de l’étang Taureau, inclus dans la maison du parc. Le paysage y est bucolique à souhait. Le Morvan ? On est en train d’en tomber amoureux !

Afin de chauffer les Parisiens, les forêts Morvandelles ont été intensément exploitées du XVIème au XIXème siècle. Le bois était acheminé jusqu’à Paris par flottage. L’étang Taureau était l’un des plus
grands étangs de flottage. Le bois était simplement jeté dans la rivière, la Cure, que l’on grossissait par le lâcher d’eau des étangs situés en amont.
Le bois s’acheminait grâce aux… « poules d’eau » ! C’est ainsi que l’on nommait les ouvriers armés de crocs, qui dirigeaient le bois jusqu’aux « ports de triage ». Une fois rangé et séché, le bois repartait par « trains de bûches » jusqu’à Paris, empruntant d’abord l’Yonne, puis la Seine. Le « Garde-rivière », reconnaissable à son écharpe, veillait à ce qu’aucun propriétaire de bois ne soit volé.

Pour traverser les terrains tourbeux, un chemin de planches a été aménagé. On y marche au frais, à l’ombre des arbres, et il n’y a même pas de moustique !

Ah ça ! Qui donc peut bien laisser traîner ces gros bouts de ferraille rouillée au beau milieu de la maison du parc ?

« je te parie que c’est une œuvre d’art ! » que je dis à Oswald.
Gagné ! C’en est une ! Je ne résiste pas au plaisir de te recopier le joli texte inscrit sur la plaque explicative :
« (Lyon 1944 – Istanbul 1997)
Soulèvement 1985-1986
acier et roches brutes 6m X 6m ; H = 0,50 m
C’est avec une déclinaison de lourdes pièces immobiles que Jean Clareboudt concrétise, en un apparent paradoxe, ses recherches sur le mouvement. Un bloc de roche brute, pris au centre d’un dispositif de métal industriel,leste la pièce, pèse sur elle de tout son poids, pour la maintenir, la plaquer au sol, en assurer l’ancrage. Et pourtant cette lourde charge, physique et visuelle, en position nodale, ne s’oppose en aucune manière à l’effet de mouvement que la disposition des portants d’acier (dont les structures triangulées s’inversent) semble donner à l’appareil. Elle en renforce au contraire la dynamique. C’est grâce à ce lest que se produit l’effet de giration,d’élévation. Le centre de gravité devient centre de gravitation. »

Que serait l’art plastique sans l’art des mots ?????????

Voici un épicéa assez impressionnant.

Il est âgé de 200 ans et mesure 40 m de hauteur. Sa circonférence ? 4,30 m. Son diamètre ? 1, 36 m.

On retourne à la roulotte en traversant un jardin d’herbes aromatiques et médicinales, ainsi qu’une collection des plantes sauvages qui fréquentent la région. De celles qu’on a coutume de nommer « mauvaises herbes ».

24 Août : Saint-Brisson – Brassy 17 km

Le Morvan n’est décidément pas facile pour Océane et Noé. Dénivelés. Pour nous, c’est un régal. La route forestière, avec une circulation presque nulle, nous permet de rouler à l’ombre. On ne souffre donc pas trop de la canicule.
Une demi-heure de négociations à Brassy, pour finalement trouver ce pré derrière le village, qui appartient à la boulangère. Elle a l’habitude d’héberger les bourricots de bât des pèlerins qui descendent à Saint-Jacques-de-Compostelle.

Pour l’eau, souvenirs de Roumanie qui nous remontent à la mémoire. Le puits n’est pas équipé de chaîne, il faut se débrouiller avec les moyens du bord pour puiser l’eau !

25 Août : Brassy – Lormes 12 km

Que ça ? Ben oui, que ça ! Sur les 12 km, il y en a eu 8 de montée continuelle. On marche à l’ombre (forêts ! Forêts !) mais n’empêche qu’il fait chaud quand même. 10° avant le lever du soleil, et déjà 25° une heure après qu’il ait pointé le bout de son nez !
Donc, à Lormes, on cherche une place, d’autant plus qu’après, il reste pas mal de kilomètres avant le prochain village. Un employé municipal nous indique le terrain de camping, qui se trouve de toute façon sur notre route. Bof ! Les terrains de camping sont généralement méticuleusement tondus. Ce qui ne fait pas l’affaire de nos juments.
On s’arrête quand même devant. Un panneau indique « complet ». Oswald descend malgré tout de la roulotte pour aller aux renseignements.
« je ne peux rien pour vous, dit le patron, un Hollandais : j’ai loué le camping TOUT ENTIER pour une semaine à une association. »
Pendant ce temps, j’attends sagement avec les juments, lorsque deux membres de l’association en question viennent me « draguer ». Ils nous invitent !
Il s’agit l’association "les enfants d’abord". Association de parents d’enfants non scolarisés. Ils se réunissent comme ça, dans un camping, une fois par an, pour discuter de leurs méthodes, de leurs réussites et de leurs difficultés.
On nous place à côté d’une grande sœur de Kaplumbağa !

Bien entendu nous sommes envahis dès notre arrivée par une meute de gosses de tous âges, passionnés et pleins de questions !

Altaï est ravi,

Océane et Noé aussi ! Elles reçoivent leur plein de caresses, grattouilles et papouilles.

Confirmation éclatante de ce que j’ai déjà eu l’occasion de remarquer à plusieurs reprises : les enfants non scolarisés sont hyper-sociables, vifs, curieux, enjoués... Là, ils jouent ensemble avec une grande liberté de mouvement. Les parents leur font confiance. Nous, ça nous passionne. Ce soir, je suis embauchée pour raconter des histoires.
Du coup, on restera là demain. Il y a plein de choses super intéressantes qui se passent. Demain par exemple : témoignage des adolescents sur leur expérience. Trop envie d’écouter ça ! Par-dessus le marché, beaucoup de ces familles sont nomades (camion, camping-car, et même bus aménagé) donc on va partager nos expériences. Certains sont tentés par la roulotte et les chevaux, et nous harcèlent de questions ! On les renvoie vers ceux qui voyagent et vivent de la sorte avec des enfants.
Il y a là plus de 200 familles composées des parents et de 2 à 7 enfants. Les familles nombreuses sont… nombreuses ! Tout ce monde, ça fait deux fois la capacité normale du terrain de camping ! Un grand panneau à l’entrée : "On est deux fois plus nombreux que la capacité du camping ne le permet, et on produit deux fois moins de déchets que les campeurs habituels !"
En plus, c’est juste au bord d’un lac où on peut se baigner. Vu la chaleur qu’il fait, c’est vraiment bienvenu. Trop peu d’herbe pour les juments, mais on a trouvé du foin.

26 Août

Journée intense. Échanges avec les familles. Le témoignage des jeunes (16 à 20 ans) était passionnant. On était face à des garçons et filles faisant preuve d’une grande maturité, s’exprimant avec aisance, lucides, très calmes, capables d’une grande attention d’écoute.
Si le sujet te barbe, passe tout de suite au 27 Août. Si tu t’intéresses de près ou de loin à la pédagogie, ou tout simplement à l’éducation des enfants, voici quelques exemples :

« On nous demande sans cesse ce qu’on va faire plus tard. Y’en a marre. On vit ! On n’est pas seulement des êtres en devenir. On EST. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait aujourd’hui ! »

« Moi, j’ai déjà trouvé ma voie. Je construis des maisons en paille. Sur les chantiers, je vois très souvent des adultes de 30-35 ans qui ont fait de longues études, et qui ont un « bon » travail. Puis ils découvrent qu’ils ne font pas ce qu’ils aiment vraiment. Qu’ils ne sont pas ce qu’ils ont envie d’être. Alors ils viennent sur les chantiers pour apprendre tout autre chose que ce qu’ils connaissaient. Quelle perte de temps ! Toutes ces années pour rien. Viennent aussi des architectes qui ne savent pas du tout manipuler un outil. Ils se rendent compte qu’ils sont incapables de construire, dans la pratique ! »

« Quand j’étais petit, mes parents m’ont proposé plusieurs fois d’apprendre les maths et l’anglais. Je refusais absolument. J’étais braqué contre. Mes parents ont accepté ma position. Maintenant, je regrette d’avoir refusé, parce que ça pourrait m’être utile. Mais je trouve que mes parents ont bien fait de ne pas insister, de respecter ce que je voulais à l’époque, parce que de toute façon j’étais dans le refus et ça n’aurait pas fonctionné. Donc si j’en veux à quelqu’un, c’est à moi seul. »

« Non, la socialisation n’est pas un problème. C’est une question qui revient souvent. On a plein de copains. Ici, dans le cadre de l’association, déjà. Beaucoup d’entre nous se connaissent depuis qu’on est hauts comme trois pommes. Et puis dans ce qu’on appelle les activités extra-scolaires. Au moins, les ami-es qu’on y rencontre ont les mêmes centres d’intérêt que nous »

« Au lycée, il y a une pression, pour ce qui concerne avoir un petit copain ou une petite copine. Si t’en as pas, tu te fais fiche de toi. Alors t’en as un-e, pas par amour, juste pour faire comme les autres, pour pas avoir l’air con. Tandis que quand on est « non-sco » (non scolarisés, c’est comme ça qu’ils se nomment) on n’a pas cette pression. Si tu es avec quelqu’un, c’est vraiment que tu es amoureux. Et si ça t’arrive seulement à 20 ans, personne ne se moque de toi. »

« Quand même, on ne fait pas tout que ce qu’on veut, hein ? Faut aider à la maison, faire la vaisselle et tout. Des fois c’est volontiers, d’autres fois, c’est en râlant »

« Moi, mes parents m’ont posé la question quand j’étais tout petit : tu veux aller à l’école ou pas ?Mes parents sont agriculteurs, on habite dans une ferme, j’aimais courir partout. Je voulais pas aller à l’école. Par contre j’adore bricoler et j’aide beaucoup sur la ferme. »

« Mon petit frère, à neuf ans, il ne savait pas encore écrire. Et puis il a compris que c’était utile pour avoir des copains sur Internet. Qu’il n’y avait pas d’autre solution. Alors il a appris très très vite. C’est bien d’attendre qu’on ait envie par nous-mêmes. Quand on a envie, on apprend tout seul. »

« Tout ce que je n’ai pas appris « comme les autres apprennent à l’école », je sais que j’ai acquis la capacité de l’apprendre quand je veux.

« Moi, ce qui m’embêtait, c’est que j’étais nulle à des jeux comme le Trivial Poursuite. Les autres me disaient « quoi ? Tu sais même pas ça ? »

« Ça veut dire quoi, d’abord, « apprendre » ? Quand tu regardes une poule tu apprends. Quand tu te piques aux orties, tu apprends. »

« Ce qui est bien, c’est que je n’étais pas seulement avec des enfants de notre âge. J’ai côtoyé toutes les générations. Et depuis toujours, mes parents me parlent comme à un être humain, pas comme à un gosse trop petit pour comprendre. Bien sûr quelquefois il y a eu des fâcheries. Mais les discutions étaient toujours d’égal à égal. »

« Je veux faire une école d’art. On me demande sans cesse : « qu’est-ce que tu vas faire avec un diplôme d’art ? » Mais je m’en fiche, moi, du diplôme. Je veux faire cette école pour APPRENDRE ! Pas pour avoir un diplôme ! »

J’arrête là. L’échange a duré deux heures, foisonnant. Une maman de tout jeunes enfants a parlé de son inquiétude. A-t-elle raison ou pas de déscolariser ? Une autre maman l’a coupée : « sujet tabou ! Ces jeunes ne sont pas là pour répondre aux angoisses des parents et les rassurer. Ce n’est pas leur rôle. » Les jeunes ont rebondi aussitôt : « Mais si, justement ! Si on accepte cet échange, c’est pour que ça serve à quelque chose !

Bref, nous, on s’est régalés. Des jeunes comme ceux-là, on voudrait bien en rencontrer tous les jours. Certains de ces jeunes ont été scolarisés à un moment ou à un autre, et ils ont donc un vrai point de comparaison. Une jeune fille non scolarisée en primaire et au collège a choisi elle-même d’entrer au lycée, parce qu’elle a pensé que ce serait plus facile pour obtenir le bac – qu’elle tient absolument à avoir. Elle déteste ça, dit-elle, mais elle pense que c’est un passage obligé, et elle assume. Elle est bonne élève, mais ne s’entend pas très bien avec ses camarades de classe.

Inquiétudes au sujet de la proposition de loi qui doit être discutée en Septembre pour renforcer les contrôles, et surtout obliger les parents à travailler avec le programme scolaire et non pas avec la pédagogie de leur choix. On a même essayé d’interdire carrément la déscolarisation, mais c’est un peu compliqué (enfants malades, nomades, etc.) Prétexte : les dérives sectaires ! Ben tiens. P’tit problème : les jeunes kamikaze à bombes sortent à 100 % (jusqu’à présent) du système scolaire classique. Dans le système scolaire, si un gosse ne sait pas lire à 9 ans, on dit qu’il est en échec scolaire, et on n’accuse pas l’instit’. Peut-être me trompé-je, mais je suis presque sûre qu’en pourcentage il y a plus d’enfants en situation d’échec d’apprentissages dans les écoles que dans les familles où l’on ne scolarise pas.
Ce qui fait peur au « système » ? Le nombre d’enfants non scolarisés est en constante augmentation. Mais le « système » ne se pose pas la question « pour quelle raison ? Qu’est-ce qui ne va pas dans l’éducation nationale pour qu’un nombre grandissant de parents choisissent l’apprentissage en famille ? » Non, le « système » se pose seulement la question « comment faire pour empêcher ça ? »

27 Août : Lormes – Sardy-lès-Épiry 21 km

Très entouré, le départ, ce matin. Un certain nombre de gosses se sont réveillés tôt pour contempler nos préparatifs. Il a fallu tout leur expliquer, à ces petits curieux. Eh oui, ce matin, ils ont appris des choses qu’on n’apprend pas à l’école !
Encore une étape forestière, à l’ombre des arbres, très agréable : la canicule ne cède pas.
On quitte le Morvan, et on rejoint le canal du Nivernais.
Un monsieur des V.N.F. (c’est écrit sur sa voiture et ça veut dire « Voies Navigables Françaises ») nous indique un emplacement tout à fait isolé le long du canal. On n’avait pas osé prendre l’ancien chemin de halage aménagé en voie cyclable, de peur des barrière. Monsieur V.N.F. nous assure qu’il n’y en a pas sur la portion qui nous intéresse, et que la voie est interdite seulement aux véhicules motorisés. Donc on peut l’emprunter sans problème. Chouette !

Une pause en pleine nature, isolés de tout, ça va nous faire du bien. Les deux dernières journées ont été passionnantes, mais fatigantes !
Pour les juments, ce sera l’eau du canal

et pour nous, le luxe d’une table à l’ombre.

Pour Altaï, qui souffre beaucoup des fortes chaleurs, une bonne petite baignade.

Depuis le temps qu’on fréquente les canaux, enfin l’occasion de voir fonctionner une écluse. Le bateau montant passe d’abord.

Pendant que les deux bateaux descendants attendent sagement, garés chacun de leur côté.

Le bateau montant, une fois sorti de l’écluse, croise les deux descendants.

les deux bateaux descendants rentrent dans l’écluse l’un après l’autre.

L’éclusier ouvre les vannes pour faire baisser l’eau dans le sas.

Le niveau de l’eau baisse très vite.

Les bateaux peuvent enfin sortir sur le canal bas pour continuer leur chemin.

L’éclusier explique qu’il est fonctionnaire, puisque le canal, ici, fait partie du domaine de l’état. Par contre, plus loin, il devient départemental, et c’est le département qui paie les éclusiers.
Ce pauvre éclusier-là n’est pas passionné par son travail : sur un canal, il n’y a pas de vague. Lui, son rêve, sa grande passion, c’est de la mer. Et puis le fait d’habiter sur place (logement fourni par l’état), c’est pas rigolo du tout : on a l’impression d’être toujours au boulot !
Pfffftttt ! Vivement la retraite !

28 Août : Sardy-lès-Épiry – Bazolles 12 km

S’il te plaît !!!! Ne laisse pas traîner dans la nature les sacs plastique !!!!
Ce matin, Océane a sorti un beau crottin pendant que j’étais en train de la garnir. Et regarde ce qu’il y avait dedans !!!

Je suis très étonnée qu’on n’ait pas eu droit à une belle crise de coliques, ou à une occlusion intestinale !

Une de nos plus jolies étapes depuis le début de ce voyage ! Un régal. On marche au pas, très doucement. On s’arrête de temps en temps. On veut faire durer le plaisir ! C’est le long du canal du Nivernais. Escaliers d’écluses, fraîcheur de l’ombre, eau, forêt…

Comme un seul éclusier est responsable de plusieurs écluses, compte tenu de la raréfaction des bateaux, les petites maisons d’éclusiers sont à louer (200 € par mois) Pour qui aime la nature, la solitude, la tranquillité, c’est idéal (mais humide !) Presque tous les locataires sont des artistes, qui profitent à la fois d’un cadre de travail magique... et de la manne de la saison touristique. Le chemin de halage est jalonné d’œuvres d’art (sculptures, peintures, et choses inclassables)

Un potier. Un tailleur de pierres.

Salon de thé ?

En tout cas, on marche sur des tapis. Tu les vois ? Les rectangles par terre sur la route, ce sont des vrais tapis !

Et puis un vieux bateau en amarrage permanent, d’où s’échappe de la musique. Quand je te disais que le parcours était jalonné d’œuvres d’art ! Même la musique était présente.

Là, il faut passer sur un pont, parce que le chemin de halage se trouve sur l’autre rive.

Petit arrêt casse-croûte. Il faut quand même penser au bien-être des Louloutes, de temps en temps.

On s’arrêtera encore au bord du canal, juste à côté de Bazolles.

29 Août : Bazolles – Biches (écluse de Fleury) 27 km

Un message d’Andrée, une amie Fesse-Bouc ce matin au réveil : « vous passez par l’écluse de Fleury ? Il y a un emplacement qui vous attend ! »
Chouette. Un coup d’oeil sur la carte, un peu plus de 20 km, il ne fait pas trop chaud, on peut y être aujourd’hui ! On répond : « OK, à tout à l’heure, fin de matinée ! »
Étape magique, une nouvelle fois. Les œuvres d’art qui jalonne le chemin sont intitulées « art urbain ». Ah bon ? En pleine cambrousse ? Y’a des trucs qui nous plaisent, d’autres moins. Petit échantillon…

La rivière Aron à bâbord, le canal à tribord… On marche entre deux eaux.

On croise des bateaux.

Comité d’accueil à l’arrivée !

Mais d’abord, placer Kaplumbağa

et les juments, qui ne vont pas manquer de verdure.

Andrée et son mari Roland ont tout prévu : vin de pousse d’épine, pâté à la châtaigne, pâté au piment, fromage de chèvre du pays…

Grand merci Andrée et Roland !!!!

30 Août

On va rester ici une journée : il faut monter Kaplumbağa sur cric pour vérifier le train avant qui en train de se déformer insidieusement.
Et puis le Oswald veut profiter du resto, installé dans la maison d’éclusier (construite en 1836). Hier, il était fermé. On nous a vanté son excellence.

Ici, l’éclusier est une toute jeune éclusière.

Allez, encore une série écluse, juste pour le plaisir. J’aurais dû faire éclusière sur le canal du Nivernais, comme métier. Mais quand on m’a demandé, voici un certain nombre d’années déjà, « qu’est-ce que tu veux faire pour gagner ta vie ? », je savais même pas que ça existait, éclusier.

Ici, près de l’écluse de Fleury, se trouve sur la rivière Aron l’une des « pépites » du département de la Nièvre : le barrage à aiguilles.

L’invention du barrage à aiguilles date de 1834. C’est un Monsieur Poirée qui en a eu l’idée. Il s’agit d’un rideau de madriers posés côte à côte verticalement. Ces madriers, appelés aiguilles, viennent s’appuyer contre un butoir (au fond) et une passerelle métallique constituée de fermettes qui peuvent pivoter pour s’effacer en cas de crue. Ce qui laisse libre passage aux eaux.
À leur sommet, les aiguilles présentent une forme qui permet de les saisir aisément. Quand même, il s’agit d’un travail long, fastidieux et dangereux. Il faut plusieurs heures et plusieurs hommes pour mener à bien la tâche.

Ce barrage servait à chiper l’eau de l’Aron pour alimenter le canal.
(La vallée de l’Aron traversant de nombreuses forêts, on découvre, un peu avant la Révolution, qu’il serait facile de faire flotter le bois jusqu’à Paris en construisant un canal.)

En 1978, le barrage à aiguilles étant devenu vétuste, et à vrai dire ne servant plus à grand-chose, on décide de le laisser tomber. Vive émotion chez les habitants du coin, qui presque tous ont appris à nager dans la retenue d’eau ! Protestations, pétitions, création d’une association pour la sauvegarde du barrage, en 1984. On met en avant l’attraction touristique, la biodiversité, le maintien des berges et les avantages pour les paysans riverains. Gagné ! En 1987, le barrage est reconstruit. Un pavillon du XIXème siècle abrite les commandes de la passerelle et sert d’accueil aux visiteurs.



31 Août : Biches – écluse Chaumigny 21 km

Pas de stress, pas de bruit. Hormis la chanson des guêpiers et la brise dans les feuillages.

No stress ? Il fallait bien un peu de piment pour épicer l’étape ! Deux tuyaux gris traversent le chemin. Apparemment, il y a un problème avec la flotte, qui a été provisoirement canalisée dans ces tuyaux pour être rejetée dans le canal. Impossible de passer là-dessus avec les juments et la roulotte. On risque de tout casser.
Oswald descend observer la chose. Pas 36 solutions : il débranche les tuyaux ! L’eau se déverse partout sur la chaussée, Oswald est trempé ! Bon, avec la chaleur qu’il fait, il le supporte bien.

Je fais passer les Louloutes. Noé grimace. Poser un pied dans l’eau, c’est pas trop son truc.
Après quoi, Oswald replace les tuyaux comme on les avait trouvés.

Deux types jaillissent du fossé, de l’autre côté du canal. « Laissez ! Crie l’un d’eux. On s’en occupe ! »

Tiens, un pont basculant !

Et un château…

Monsieur l’agent de maîtrise, Jacques de son prénom – chef des éclusiers, si j’ai bien compris, rencontré en cours de route, nous a dit qu’on pourrait s’installer à l’écluse de Chaumigny.
On s’y installe donc.

Andrée et Roland reviennent nous faire une petite visite. Cette fois avec clafoutis, brioche, cidre, eau fraîche. Et patati et patata. On cause, on cause. Jacques se joint à nous, ainsi que le jeune étudiant en kinésithérapie qui achève ce soir son job d’été en tant qu’éclusier. Eh oui ! Demain, ce sera Septembre.

Roland nous a même apporté des tomates et des poivrons de son jardin. De quoi se préparer un dîner compatible avec le temps qu’il fait. (Ah quelle chaleur ! Ah quelle chaleur !)

Premier Septembre : écluse Chaumigy – Beaugy 27 km

On aurait bien voulu continuer sur le chemin de halage jusqu’à Decize, mais Jacques nous a assuré qu’il y a un pont trop étroit : la roulotte ne passera pas. Bon, tant pis, on prendra la route. Mais… des routes possibles, il y en a deux. Une toute petite jolie, avec quelques bons dénivelés, dont une grosse côte. Et une départementale assez importante, avec pas mal de circulation, paraît-il, mais sur laquelle les dénivelés sont plus abordables.
Les juments d’abord. Ce sera la moins jolie, mais plus facile. D’ailleurs, la circulation n’y est pas aussi terrible qu’on nous l’avait assuré. On en a vu d’autres. Dans le Nord de l’Italie, une route comme celle-ci, c’était un rêve de tranquillité !
On a traversé Decize, sans grande difficulté, mais n’empêche, traverser les villes, j’aime pas.
Premier pont sur la vieille Loire, devenue une immense prairie (ça aurait pu faire les délices d’Océane et Noé !) Puis deuxième pont sur la Loire, la vraie, celle de maintenant.
Et nous voici de nouveau sur le chemin de halage d’un canal. Cette fois, c’est du canal latéral à la Loire qu’il s’agit.
Les Louloutes sont bien fatiguées, il est midi, il commence à faire une chaleur à crever, il faut absolument s’arrêter. On ne découvre qu’un bas-côté étroit. Tant pis, on se rattrapera sur la longueur.

Je peux pas te préciser la température : ce matin, Oswald a cassé le thermomètre !!! Mais je soupçonne fortement que ça passe encore les 30 à l’ombre.

2 Septembre : Beaugy – St Pierre-le-Moutier (ferme le Naviot) 21,5 km

Encore un petit bout de canal, celui qui longe le Loire. Véloroute n°6, une vieille connaissance : c’est elle qui longe le Danube aussi.
On roule à côté du pont-canal

qui franchit la rivière Acolin.

Un kilomètre plus loin, nouvelle écluse, nouveau pont-canal, cette fois sur l’Abron.

Et puis… terminés les jolis canaux ! On bifurque, direction… le Berry ! Traversée d’une très belle forêt. Ombre bienvenue ! Les hautes températures ne fléchissent décidément pas.
Arrêt dans une ferme où l’on élève des vaches Salers. Actuellement en conversion vers le bio. Accueil extrêmement sympathique.

Les prairies sont quelque peu transformées en paillassons. Mais Océane et Noé auront droit à une belle grosse balle de foin.

Puisqu’on nous le permet, nous resterons là demain. En effet, à moins d’un long détour, nous serons obligés de prendre la grande route pour rejoindre Sancoins. On préfère se l’enquiller dimanche : au moins, il n’y aura pas de camion.

Petite visite de mesdames les oies.

3 Septembre

Chouette ! On a de la visite !
Tu te souviens qu’au début de notre voyage, quelque part dans l’Allier, Océane et Noé s’étaient déchiquetées dans du fil de fer barbelé ? Un mois d’arrêt pour attendre la cicatrisation des demoiselles. C’était il y a tout juste deux ans.
Eh bien la famille qui nous avait alors beaucoup aidés a parcouru presque 100 km pour venir pique-niquer avec nous. Enfin, pas toute la famille. Juste Maman et les deux Princesses, accompagnées d’une copine qui nous suivait sur Fesse-Bouc depuis un moment, sans nous connaître « pour de vrai ». Le Petit Prince, lui, est malade. Il a dû rester à la maison avec Papa. Zut alors !
On a même droit au panier du jardin !

Occasion d’évoquer de vieux souvenirs. Émilie, la copine, semblait ravie de nous voir en chair et en os. Moment bien sympathique !

Quelques remarques

- Le logo de la maison du Parc Naturel du Morvan est inspiré d’une monnaie éduenne découverte lors de fouilles à Bibracte, sur laquelle était gravée ce joli petit cheval, crinière au vent.

Bibracte était la capitale du peuple Celte des Éduens. C’était le centre névralgique du pouvoir de l’aristocratie éduenne. C’était aussi un important lieu d’artisanat et de commerces où se côtoyaient mineurs, forgerons et frappeurs de monnaies.

- Le Nivernais est une ancienne province de France, dont la majeure partie forme aujourd’hui le département de la Nièvre. Mais pas tout à fait : y’a aussi des p’tits bouts d’à côté.

- Dis donc, toi ! Si tu es jeune, que tu aimes la douceur et la sérénité du bord des canaux, la tranquillité, la solitude méditative : ne rate pas ta vocation ! Éclusier on éclusière, sur le canal du Nivernais, c’est pas mal ! Si tu aimes l’animation, faudra choisir un canal un peu plus fréquenté. Mais attention, hein ? Éclusier, ça ne s’appelle plus éclusier. Ça s’appelle « agent d’exploitation des voies navigables chargé de la régulation du trafic des bateaux sur la voie d’eau » Ouf ! Ça fait quand même plus chic, non ?
L’éclusier ou l’éclusière (excuse-moi, je continuerai à l’appeler comme ça) manipule des écluses manuelles ou automatisées. Il-elle est responsable du fonctionnement de l’écluse à laquelle il-elle est affecté-e. Si il-elle le souhaite, il-elle peut aménager à son goût et à ses frais les abords de son écluse. Bon, y’a d’autres tâches à accomplir, je te dis pas tout… Ah si, quand même, un truc important : il-elle doit informer la gendarmerie fluviale de tout cas de pollution porté à sa connaissance.
Ici, sur ce canal du Nivernais, c’est rien que des écluses manuelles. Faut tourner la manivelle. Et on est responsable de 3 ou 4 écluses (faut courir de l’une à l’autre, mais franchement, c’est pas la galère, vu le petit nombre de bateaux qui passent : Il te reste un peu de temps pour aller à la pêche et cultiver ton jardin !)
Attention, le métier est en train de changer : de plus en plus d’écluses sont automatisées. Alors là… Le boulot se passera derrière un écran d’ordinateur. Et le nombre d’éclusiers va bien sûr diminuer.
Mais faut faire quoi, pour devenir éclusier ou éclusière ? Ben c’est pas dur : si t’as un CAP ou un BEP de n’importe quoi, que tu sais nager, et que tu baragouines un peu l’anglais, tu peux te présenter au concours du ministère de l’équipement. Bon, après, faut quand même que tu sois reçu au concours. Alors là, ça dépend du nombre de concurrents et du nombre de postes à pourvoir.
Le statut ? Fonctionnaire ! Le salaire net mensuel ? Entre 1791 et 1877 €. Plus des primes qui peuvent aller jusqu’à 200 € par mois. Plus le logement dans une maison d’éclusier ( attention, humidité garantie !) Si tu travailles le dimanche, c’est 44 € en supplément. Sur certains canaux (pas sur le Nivernais) il peut y avoir du travail de nuit, et là, c’est 1 € de l’heure en supplément.
Ça te tente ? Faut adresser ta candidature à la direction départementale de l’équipement.
Autre chose : tu es étudiant-e ? Tu cherches un job pour l’été ? Ça ne te botte pas trop de galérer chez MacDo ou de stresser à la caisse d’un super marché ? Tu aimes le calme et la nature ? Tu peux postuler ! Pareil, il faut s’adresser à la DDE. Mais attention ! C’est un job très très recherché. La plupart de ceux qui sont pris sont pistonnés (enfants de parents qui travaillent déjà dans le secteur). Du coup, pas trop facile à décrocher. Envoie donc ta candidature dès Septembre-Octobre pour l’été suivant. La jeune éclusière de Fleury n’avait pas de piston. On lui a répondu en Février qu’on était au regret de lui annoncer que toutes les places étaient pourvues. Mais tiens… il y a eu un désistement, et la voilà ici ! Salaire ? 1200 € bruts pour 16 jours. Donc 900 € nets, à quelque chose près. Pas mal, non ?

- Des fois, les râleurs peuvent servir à quelque chose. Quand on était sur le camping à Lormes, comme on est resté plus longtemps que prévu, les Louloutes avaient boulotté toute l’herbe de leur petit emplacement. Et tout le foin qui nous avait été donné. On les a donc installées sur le terrain communal, bien herbu, longeant le chemin qui mène à l’étang. Deux heures plus tard, visite du maire, bien embêté : « J’ai reçu une dizaine de coups de téléphone, depuis tout à l’heure, de gens qui se plaignent ! Pour deux raisons : ça risque d’être dangereux pour les enfants. Et les crottins, franchement c’est vraiment dégoûtant ! »
Mais, Monsieur le maire ! Les crottins, on les enlève au fur et à mesure pour les mettre sur le compost du camping !
« Je sais, je sais, c’est pas de ma faute, c’est les gens qui rouspètent. Alors si vous pouviez remettre vos juments à leur emplacement précédent... »
Mais, Monsieur le maire ! Il n’y a plus d’herbe. On veut bien, mais faut trouver du foin !
« Je m’en occupe ! Je vous en trouve, du foin ! Promis ! »
Monsieur le maire a tenu sa promesse. Nous avons notre foin. Et en plus…
« Cette histoire me donne une idée ! On a un pré communal de plus d’un hectare qui ne sert à rien, attenant au terrain de camping, là, derrière. On pourrait l’aménager pour recevoir les gens qui voyagent avec des chevaux, des ânes et autres mulets ! Ça ferait même de la publicité pour le tourisme dans notre commune ! Je vais réfléchir sérieusement à la question. »
Eh ben si ça peut servir à nos successeurs… merci les râleurs !!!

Anne, le 3 Septembre 2016

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