Bourgogne
4 Août : Gray – Talmay 18 km
Ciel couvert, brise rafraîchissante, 24°… Tout va bien.
Dans un village bien français, cocorico ! le monument aux morts est surmonté d’un superbe coq. Ça change du vaillant soldat ou de la maman qui pleure.
On quitte la Franche-Comté pour entrer en Bourgogne. Département : Côte d’Or.
Aucune vigne en vue pour aujourd’hui. On navigue entre grande culture et forêt (un peu). Beaucoup de champs de soja. Apparemment, c’est la culture dernier cri.
À Talmay, aucun problème pour trouver l’emplacement adéquat : le terrain de sport.
De l’herbe à gogo. Inconvénient, la rivière est un peu loin. Il faudra faire marcher les juments pour les emmener boire.
On passe l’après-midi… sous la pluie. Pas grave : de toute façon, on fait la sieste.
Madame Sans-Gêne, ça te dit quelque chose ? C’est ici, à Talmay, qu’elle est née, le 16 Janvier 1774. Bien entendu, une « superbe » plaque commémorative est cramponnée au mur de sa maison natale.
Cette Madame Sans-Gêne, de son vrai nom Marie-Thérèse Figueur, s’engage à l’âge de 19 ans comme cantinière dans la Légon des Allobroges. Puis elle passe successivement aux XVème et IXème régiments de dragons. Elle fait dans cette arme toutes les campagnes de la République et de l’Empire. On la surnomme « Sans-Gêne » en raison de son caractère masculin et de sa carrière aventureuse.
Elle participe à la plupart des campagnes de l’an II (1792) à l’an VIII (1798) aux armées du Rhin, d’Allemagne et d’Helvétie. Au combat de La Fonderie, en l’an III, elle sauve la vie du général Nouguez, grièvement atteint d’une balle à la tête. Elle-même est blessée au siège de Toulon en 1793. Elle reçoit quatre coups de sabre à la bataille de Savigliano le 13 brumaire an VIII (4 novembre 1799). Elle aura eu trois chevaux tués sous elle, et sera faite deux fois prisonnière. En 1815 elle assiste à une revue en uniforme de chasseur devant l’empereur Napoléon, qui la distingue. Elle prendra sa retraite peu de temps après.
Tu veux voir sa tronche ? J’ai réussi à la dégoter quelque par sur la Toile…
Y’avait pas que les hommes, faut croire, qui aimaient la guerre !
5 Août : Talmay – Vaux-sur-Crône (ou Crosne) 22,5 km
Un jeune homme a garé sa voiture pile-poil sur la sortie du terrain de sport. Impossible de la contourner, ni par la droite, ni par la gauche. Heureusement, le jeune homme s’y trouve encore, dans sa voiture… profondément endormi ! On n’a pas le choix : si on veut partir, il faut bien le réveiller. Le pauvre. Il émerge de son sommeil, les yeux bouffis et le regard ahuri.
Étape sans histoire. Pas de circulation, pas de grosse chaleur, pas de bestioles.
On découvre une friche exactement devant le hameau où l’on voulait s’arrêter.
Un carreleur qui habite là nous fournit l’eau. Désolée, rien de bien palpitant à raconter. Sauf que sur notre carte Michelin, le nom du hameau est écrit « Vaux-sur-Crône », tandis que sur le panneau à l’entrée de ce même hameau, on lit « Vaux-sur-Crosne ». Et tu sais quoi ? Mon ordinateur me souligne « Vaux-sur-Crône », alors qu’il ne me souligne pas « Vaux-sur-Crosne ». Ah ! Les réformes de l’orthographe !
6 Août : Vaux-sur-Crosne – Barges 22 km
Pas de suspens au sujet du « où on va s’arrêter aujourd’hui ». On le sait d’avance. Margot nous attend à Barges. Le temps est très doux, avec un peu de vent. Les juments marchent bien. Je chante !
Rencontre insolite…
Petit arrêt, histoire de souffler cinq minutes.
Margot nous attend à côté de son pré.
L’emplacement rêvé pour une halte de plusieurs jours. C’est un peu à l’écart du village, au bord d’un étang
où frétillent des bébés poissons-chats.
On en profite pour faire la grande toilette des harnais.
Comment on a trouvé ce lieu ? Longue chaîne. Au départ : l’Association des Cavaliers au Long Cours (CALC). Cette assoc’ réunit de vrais voyageurs au long cours déjà expérimentés, avec des néophytes qui n’ont encore qu’un projet un peu nébuleux dans la tête. Les anciens sont là pour épauler, aider, assister, soutenir, conseiller, etc... etc...
Ça s’appelle « Cavaliers », mais c’est ouvert aussi aux marcheurs accompagnés d’animaux de bât, et aux atteleurs de tout acabit. Les animaux admis ne sont pas seulement des chevaux, ni même seulement des équidés (mulet, âne, bardot… zèbre de bât, je sais pas si ça s’est déjà vu). Si tu veux voyager avec une vache, un bœuf, un buffle, un yak, un lama, un dromadaire, un chameau, un renne… t’es admis dans le club. Par contre, j’ai pas pensé à demander si ça marche au cas où tu voudrais traverser le Pacifique sur le dos d’un dauphin.
Donc ce CALC dispose d’une carte où sont répertoriés tous les membres de l’association. Cette carte nous a été transmise par Gérald. Comme on cherchait un lieu de halte, on a décortiqué la carte pour voir si par hasard un membre du CALC ne se trouverait pas sur notre route. C’est comme ça qu’on a déniché Elsa, qui habite Dijon et se prépare à voyager avec son cheval et sa mule. Contact. Ainsi c’est Elsa qui nous a trouvé cette Margot-là, pile-poil sur notre chemin.
Merci le CALC, merci Gérald, merci Elsa, merci Margot !
En réalité, c’est à Pierre, l’agriculteur voisin, qu’appartient l’étang où nous sommes installés, pour éviter qu’Océane et Noé ne se trouvent dans le même pré que les chevaux de Margot (on ne sait jamais…)
Merci, Pierre !
7 au 13 Août : Repos à Barges
« Luxe, calme et volupté... » (Baudelaire, l’invitation au voyage)
Au bord de l’étang, loin des bruits de la route, un soleil point trop chaud, un ciel bleu piqueté de nuages effilochés, un petit vent rafraîchissant, le gazouillis de oiseaux, le « plitch ! plotch ! » des petits poissons, le vol des libellules…
Promenades avec gros toutou, papotages avec les curieux, baignades…
On déguste à petites gorgées la saveur du repos et la poésie des reflets dans l’eau.
Pendant qu’Océane et Noé dégustent une nouvelle amitié, avec le cheval et la ponette de Margot.
Océane et Noé ne videront pas leur abreuvoir.
Foin à volonté. Pourvu que ça retape bien Noé ! Parce que si l’endroit est chouette, l’herbe y est quand même un peu maigrichonne.
Et puis d’ailleurs, elle a toujours sa petite ration de complément. Un peu réduite, quand même, depuis qu’on ne travaille plus.
Et tu parles que boire l’eau de vaisselle, c’est bien plus pratique que de faire des acrobaties pour descendre à l’étang.
On a droit à un article dans le journal du coin :
Et suite à cet article, Gérard vient nous rendre visite pour offrir sa jachère à nos juments. C’est juste à côté. Tu parles si elles sont heureuses, les Louloutes ! C’est vert et juteux à souhait !
Pas de problème d’eau non plus. Ici, ce sera le ruisseau à la place de l’étang.
Grand merci, Gérard !
Elsa a reçu les beaux souliers tout neufs qui vont nous permettre de terminer la route sans souci.
Les « old mac’s » se nomment désormais « new mac ». C’est presque la même chose. Quelques améliorations : plus de confort pour la jument, et scratch en lieu et place de la boucle qui m’énervait.
Là, tu peux voir la différence entre le « tout neuf » et le « 600 km au compteur ». Bon, ceux-là, on les utilise seulement quand y’a de la montagne. Et la Noé, elle ne sait pas monter sans riper, ce qui abrase très sérieusement les souliers ! Océane, qui pose ses sabots bien comme il faut, use beaucoup moins. D’ailleurs pour Océane, on n’a pas besoin de chaussures de luxe. Elle se contente des clogs. En outre, comme elle marche souvent pieds nus, elle est bien plus économique. Mais bon, faut reconnaître aussi que la brave Noé se farcit les trois quart du boulot...
En ce qui concerne Noé, afin d’économiser les new mac, on va essayer un nouveau truc. Ce sera pour quand on aura des régions vallonnées mais pas trop raides. On a commandé des crampons qui s’adaptent aux clogs. On va voir si ça ripe moins que sans. En tout cas, ça devrait sans doute leur prolonger un peu la vie, à ces fameux clogs.
Guy, l’auteur de l’article paru dans le journal, nous propose de laver notre linge. Wouaouh ! Ça, c’est pas de refus. Parce qu’on en a un petit paquet en retard…
Merci, Guy !!!
Depuis l’temps que j’lui avais promis, j’ai rafistolé avec un morceau de chambre à air mon godillot acheté en Roumanie, made in Ukraine. Dommage, j’ai pas pensé à prendre la photo « avant ». C’était déchiré tout du long.
Oswald rigole. Il dit que ça lui rappelle 1945, quand sa maman raccommodait les semelles avec des p’tits bouts de Zodiac.
Montgolfière en vue !
Océane : « c’est quoi ce truc ? »
Noé : « m’en fiche, je broute. »
Les ciels bizarres, qui paraissent traficotés sur nos photos, c’est pas not’ faute, là ! C’est le filtre à UV de l’appareil qui cafouille. (Dixit Oswald. Moi, j’veux bien, j’y connais rien.) C’est embêtant, on peut plus faire des belles photos de nuages.
Train-train quotidien : le linge qui sèche et le casse-croûte du soir.
Pas de problème d’approvisionnement : Céline, la boulangère-épicière itinérante s’arrête chaque jour devant « chez nous ». Elle est cavalière, elle aussi. Et son cheval marche pieds nus.
Je profite de mes insomnies pour admirer la lune et son reflet.
Les Louloutes profitent de la jachère de Gérard durant la journée, mais chaque soir, nous les ramenons près de nous. Au petit matin, elles viennent réclamer leur croûton de pain et leur part de caresses.
D’autres bestioles ont leurs petites habitudes : les hirondelles. Elles arrivent à 8h30 pétantes pour s’abreuver dans l’étang. Leur ballet dure très exactement une demi-heure. Elles virevoltent sans cesse, rasent l’eau pour en avaler une gorgée, avec peut-être une bouchée d’insecte, à l’occasion. À 9h, elles disparaissent. Rebelote le soir, de 19h30 à 20 h. Dans la journée, on ne les voit jamais.
Margot profite de l’absence d’Océane et Noé, qui pâturent chez Gérard, pour offrir une belle partie de pataugeade à son cheval, Narcisse.
14 Août : Barges – Savigny-lès-Beaune 29 km
Il fait CHAUD !!!
Au début, tout allait bien. On a traversé une jolie forêt. On roulait à l’ombre.
Et puis ça s’est sérieusement gâté. Nous voici arrivés… dans les vignobles. Les fameux vignobles bourguignons.
Je HAIS les vignobles. Je ne parle pas de l’esthétique. Moi, perso, je ne trouve pas ça beau, mais à chacun ses goûts, hein ? D’ailleurs, ce n’est pas la vigne, qui me déplaît tant. C’est la monoculture.
Passons.
Le premier problème c’est que ça pue ! Et pas qu’un peu. L’espace tout entier est envahi par les relents des pesticides. Impossible d’y échapper. Goût âcre au fond de la gorge. Nausées. Mal de crâne qui s’insinue petit à petit. La tête tourne. Par deux fois, on croise un petit domaine qui affiche bravement la mention « bio ». Ben franchement, je me demande comment on peut protéger ça des pestilences environnantes ! Le vent, ici, n’est pas bio du tout !
Et t’oses boire du vin ? À ta santé !
Et y-z-en sont fiers, en plus ! Clos-Machin, Château-Truc, Domaine de Bidule… Grand Cru, dégustation, vente au domaine. Grand bien te fasse ! Moi, j’m’en fiche, j’aime pas l’vin. Mais même le Oswald, plutôt amateur, est écœuré. Ah ! Le parfum velouté d’un grand Cru de Bourgogne ! (je m’aperçois que j’exagère avec les points d’exclamation, mais je n’en enlèverai pas un seul, na !!!)
Le deuxième problème, c’est que le moindre mètre carré de terre est occupé. Par la vigne, bien entendu. Pas de place pour le moindre brin d’herbe. Il nous faudra presque trente kilomètres avant de trouver un endroit plutôt bof, bof. Un rectangle d’herbe pour les juments (c’est l’essentiel), de l’eau jaunâtre pour leur boisson (espérons sans trop d’empoisonnade, mais on n’a pas le choix).
La roulotte reste au bord de la route. C’est pas une quatre voies, d’accord, mais ça circule quand même assez pour nous enquiquiner.
De toute façon, faut qu’on s’arrête. Noé dégouline. On va perdre tous les avantages de nos vacances, si on avance d’un pas de plus. Mon dos crie grâce. Au-delà de trois heures de route, ça devient très très compliqué pour ma malheureuse colonne vertébrale. J’ai pas trop l’habitude de me plaindre, mais là, vraiment… Je peux ? Ça t ’enquiquine pas trop ? Ah là là, ces vieilles croûtes !!!
Faut pas croire, tu sais, c’est pas toujours tout rose, de voyager.
Et pis dis donc, faut pas croire que je délire ou qu’on délire à deux, en ce qui concerne la pestilence du coin. TOUS les cyclistes avec qui on papote un peu se plaignent de la même chose. TOUS les habitants de ces lieux (on n’a pas eu l’occasion de tchatcher avec un vigneron, j’avoue) avec lesquels on a eu l’occasion de ragoter se plaignent de la même chose. Alors ? C’est vraiment pas un vilain rêve de notre part. C’est en vrai de vrai.
Mais… voilà qui nous console ! Une autre Anne, qui nous suit depuis longtemps sur notre Fesse-Bouc, et qui habite à Beaune, a profité de notre proximité pour venir nous rendre une petite visite. Avec bière et eau très fraîche, gougères et madeleines ! Miam ! Tu vois que des fois on peut faire connaissance pour de vrai avec des amis Fesse-Bouc. Ça arrive. En tout cas, c’était une belle rencontre très sympathique.
Anecdote locale rigolote. Nous sommes en vue du petit village nommé Pernand-Vergelesses. Anne nous le montre du doigt :
Tu connais la chanson de Graeme Allwright « buvons encore une dernière fois... » ? Et surtout ce couplet-là ?
« j’tai raconté mon mariage
À la mairie d’un p’tit village
Je rigolais dans mon plastron
Quand le maire essayait d’prononcer mon nom. »
Eh ben d’après Anne, c’est justement à Pernand-Vergelesses que Graeme s’est marié, et que le maire, pour de vrai, s’est emberlificoté la langue à essayer de prononcer son nom !
Pendant qu’on papote, montgolfière en vue !
Y’a pas que les voyages en roulotte qui occasionnent parfois des ennuis.Avec les montgolfières, ça arrive aussi ! La preuve, l’aéronaute a beau enflammer son gaz, rien n’y fait ! Le gros ballon se pose en catastrophe au milieu des vignes.
On a dans notre champ de vision de jolies petites constructions rondes, construites en pierres sèches. La photo c’est pas l’diable, mais ça te donnera une petite idée si tu ne connais pas.
C’est Anne qui nous explique :
« Ces cabanes servaient autrefois d’abris ou de resserres aux vignerons de Côte-d’Or. Elles étaient nommées cabottes, ou parfois cabioutes. »
Certaines sont encore visibles dans les vignes, mais beaucoup se trouvent aujourd’hui sous la forêt depuis l’abandon des parcelles de médiocre exposition à la suite des grandes maladies de la vigne à partir de 1860. Maintenant, les nouvelles cabanes de vignes sont pour la plupart construites en parpaings. On ne s’enquiquine plus avec les pierres sèches. Mais… C’est-y qu’ça r’deviendrait la mode ? La demeure auprès de laquelle nous sommes stationnés est justement celle d’un maçon qui construit des murs en pierres sèches. Et il en a construit une, de cabotte, chez lui, absolument toute neuve.
15 Août : Savigny-lès-Beaune – Bouilland 15,5 km
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. On s’engage dans les Côtes. Toute petite route enchanteresse. Montagnes, forêts, prairies, ruisseaux. Parfums de feuilles et chants d’oiseaux.
Nous sommes sur le « mauvais » versant, celui qui n’est pas exposé au bon soleil qui mûrit le raisin. Ce qui fait le bonheur des vaches charolaises. Elles paissent dans de vastes prairies traversées par des ruisseaux gazouillants. Elles s’abritent de la chaleur à l’ombre des sous bois. Comme la prairie longe la route sur une fameuse longueur, les curieuses nous suivent tout au long de la clôture en meuglant de longs bonjours à Océane et Noé… qui s’en fichent royalement.
Nos pauvres juments… On a voulu prendre une petite route de traverse, en se fiant à la carte Michelin. Sur la route « principale » (si l’on peut dire), une côte était indiquée sur la carte. Une flèche : ça veut dire entre 5 et 9 %. Mais tiens tiens, sur la route qui coupe la montagne (peut-être se faufile-t-elle dans une vallée, entre deux monts ?) , aucune flèche. Donc, s’il y a des montées, elles ne doivent pas dépasser les 5 %. Premièrement ce sera plus facile, deuxièmement ça nous raccourcira. On s’y engage bravement. Ouh là ! Mais c’est que ça commence à grimper dur ! À vue de nez, ça me paraît un peu trop costaud pour du moins que 5. Océane et Noé galèrent. Et ça dure, ça dure… On croise un automobiliste. Il nous démonte le moral : le plus raide reste à venir : 14 % ! Pfffttt… On en a fait, en Slovénie, de celles-là, mais c’est pas une raison. L’automobiliste nous assure que la route « principale » est beaucoup plus facile. Ça monte aussi, mais en douceur. Et la fameuse côte marquée sur la carte est bien moins raide que celle sur laquelle nous sommes présentement engagés. On n’a vraiment pas envie de claquer les juments. On décide de faire demi-tour. Voui mais… La route est très étroite. À tribord : le flanc de la montagne. À bâbord : le ravin. On dételle, ou on tente le coup ? Allez, on tente le coup ! Acrobatique. Noé rase le ravin. Elle le sait. Elle se montre très très très prudente. Ça passe ! Ouais !!!! Vous êtes des championnes, les filles !
(Dételer, tourner la roulotte à la main, ré-atteler, ça représente une bonne demi-heure.)
Avec tout ça, c’est 4,5 km de rabiot, dont la moitié en montée pas fastoche. Pour des pimprenelles.
Ça nous apprendra à nous fier à la Michelin… La prochaine fois, on se renseignera sur la carte OSM qui indique les courbes de niveau. (D’hab’, c’est ce qu’on fait. Mais là, on l’avait pas fait. En général, elles sont assiez fiables, les Michelin. Sur ce coup-là, y’a un truc qui leur a échappé. C’est pas très gentil non plus pour les cyclistes.)
Alors au premier patelin trouvé, on s’arrête. Si on ne compte pas notre rabiot, on se trouve donc seulement à 11 km de notre point de départ. Tant pis. Elles ont assez bossé pour aujourd’hui, les Loupiotes. Faut pas exagérer, quand même. Et puis d’ailleurs, à Bouilland, on déniche une halte presque idéale. Terrain communal très fourni en herbe, dont un délicieux trèfle. (T’inquiètes, vu le boulot que fournissent les princesses en ce moment, elles risquent pas une fourbure de gavage intempestif.) Un ruisseau cristallin, de l’ombre, une belle place pour Kaplumbağa.
Ouinnnn… Le resto affiche complet. Faut réserver à l’avance. Tant pis pour toi, la Anne, faudra te mettre à la popotte.
Très longue balade à pied, avec Altaï, jusqu’en haut de cette « montagne », dans la caillasse. L’eau ruisselle de partout. Merles, campanules scolopendres, mousses, hêtres, rochers… Magique !
Nous avons pour voisine une très belle maison ronde en terre-paille, avec toit végétalisé.
16 Août
L’emplacement est si juteux et vert pour les juments qu’on a décidé de rester une journée de plus. Et comme ça, chouette !!! Mon p’tit frère Pascal et sa dulcinette épouse Élisa, qui habitent Beaune (15 km d’ici) peuvent venir nous rendre visite.
Et puis Anne (oui, oui, la même qu’avant-hier) et son mari Bruno doivent venir partager avec nous le petit casse-croûte du soir. Ils amènent l’apéro et moi j’ai préparé un bon petit plat de lentilles-courgettes.
Pile-poil au moment où ils arrivent, Osawld et Altaï (tenu en laisse) se font agresser par un toutou prénommé Gavroche. Le Gavroche en question a probablement pensé défendre vaillamment son territoire en s’en prenant à Altaï. Sauf qu’entre Altaï et les crocs du Gavroche, il y avait la jambe d’Oswald. Vilaine morsure. Soirée aux urgences, à l’hôpital de Beaune. On en sort à 22 heures.
Un énorme merci à Anne et Bruno, qui nous emmenés à l’hosto, ont attendu patiemment la fin des soins, et nous ont ramenés à la roulotte. Merci, merci, merci !
17 Août
Il faut retourner à l’hôpital ce matin pour refaire le pansement. C’est Bruno qui vient nous chercher. Pendant qu’Oswald est examiné, Bruno va faire nos courses.
Encore une fois, un énorme merci à toi, Bruno !
18 Août
Ben ouaip, on est toujours là. Quelques soucis avec le propriétaire du chien mordeur. Ça m’agace, je préfère ne pas en parler.
Du coup, Élisa et Pascal viennent nous chercher en voiture. Ils nous emmènent jusque chez eux, à Beaune, pour déjeuner. Et prendre une bonne douche ! Ça nous change un peu les idées.
Le soir, c’est Anne qui vient passer un petit moment avec nous. Gougères, bière, jus d’orange et bavardages. Le moral se retape encore un peu plus. Elle nous prend en photo. C’est pas si souvent qu’on soit portraitisés tous les deux ensemble !
19 Août : Bouilland – Pont d’Ouche 10 km
Oswald boite encore visiblement. La douleur reste bien présente. Ça ne l’empêche pas de prendre sa part de boulot : démontage de la clôture au départ, montage de la clôture à l’arrivée. On ne fera que dix kilomètres. D’abord, il paraît qu’il existe une bonne place à Pont d’Ouche. Deuxièmement, Oswald est fatigué. Tertio, les juments doivent s’envoyer deux montées d’une bonne longueur avec des portions fichtrement pas fastoches. Donc ça suffit.
D’ailleurs, Pont d’Ouche mérite vraiment qu’on s’y arrête. Ambiance très sympa. C’est un petit port devenu exclusivement de plaisance sur le canal de Bourgogne. Le bistrot du port est aussi un « bar à manger ». Si tu passes par là, tu peux t’y arrêter : DÉ-LI-CIEUX !
Curiosité : le nom du village provient du pont-canal qui enjambe l’Ouche, la petite rivière du coin. Ce pont fait donc passer de l’eau sur de l’eau. Profondeur du canal sur le pont : 2,30 m, quand même.
Le canal de Bourgogne s’étire sur 242 km. Il a été construit entre 1777 et 1832. Il compte 189 écluses. T’imagines l’exploit technique que ça représentait, à l’époque ? C’est qu’ils n’avaient pas de pelles mécaniques, les gars, dis donc ! À Pont d’Ouche, le canal vire à 120° pour s’en aller vers le Nord-Ouest. Tout ça pour faire transporter de la marchandise par des péniches qui pouvaient mesurer jusqu’à 38 mètres de long et peser jusqu’à 350 tonnes. Elles étaient tirées par des chevaux, mais aussi… par des hommes. Tu parles d’un boulot ! Ouais mais voilà, y’a l’train qu’est arrivé. À toute vapeur. Abandon du canal = des hommes au chômage. C’est ça l’progrès.
Maintenant, cette belle voie navigable est utilisée uniquement par les plaisanciers. Les anciens chemins de halage font la joie des cyclotouristes. Et les bas-côtés herbus, celles des chevaux des roulottiers !
Ça, 25 mètres au-dessus de Pont d’Ouche, c’est le viaduc de l’autoroute Lille-Marseille ! Ce viaduc, quand il a été construit, était le plus long viaduc autoroutier de France. C’était en 1970, et il avait été inauguré par Pompidou. À l’époque, c’était un ouvrage exceptionnel. 500 mètres de long, tout en courbe, et de très hautes piles. Il enjambe à la fois la rivière Ouche, la voie ferrée et la route départementale.
Moi, les autoroutes, c’est pas trop mon truc, mais peut-être que toi ça t’intéresse ? Alors je fais un petit effort. Il en faut pour tous les goûts. Tu vois, je l’ai même pris en photo !
20 Août : Pont d’Ouche – Rouvres-sous-Meilly 13 km
Oswald avait dit hier soir : « s’il pleut trop on reste ici. »
Ce matin, il pleut pendant le petit déjeuner. « Alors on reste », me dit mon cher et tendre. OK, on reste. Je me prépare un douillet petit cocon et je m’apprête à une matinée lecture.
La pluie s’arrête.
« Alors on part », m’assène Oswald. Ben merde alors. OK, on part.
On va chercher les juments pour les garnir, et voilà que la pluie se remet à tomber. Très sérieusement cette fois. J’ai enfilé l’imper et le sur-pantalon, crotte de bique, je ne me re-déshabille pas. Tant pis pour toi, le Oswald.
Vive la vie de couple !!!
Résultat, toute l’étape sous la flotte. Ça n’arrête pas. Par moment, ça fouette le visage au point que je suis quasiment obligée de fermer les yeux. Forêt, prairies, vaches Charolaises, Limousines, et croisées entre les deux. Elles se réfugient sous les arbres. Océane et Noé, elles, ne peuvent pas s’abriter. Elles marchent vaillamment, sans se plaindre. Elles n’ont pas le choix, les pauvres.
C’est parfaitement romantique.
On arrive à Rouvres trempés comme des soupes. On dégouline. Pas envie d’aller plus loin.
Petite particularité rigolote de ce bled. En fait, ils sont deux patelins attenants : l’un se nomme « Rouvres-sous-Meilly » tandis que l’autre est baptisé « Meilly-sur-Rouvres ».
La chaleur de l’accueil nous fait oublier le froid. Martine et Alain nous fournissent l’eau pour les juments, et nous offrent chez eux un petit café (pour moi, ce sera thé.) Et petits gâteaux. Cadeau : une laitue cueillie spécialement pour nous au jardin.
Merci, Alain et Martine !
Dans le canton voisin, Pouilly-sur- Auxois, une ancienne gendarmerie vide a été affectée à l’accueil de réfugiés. Il y a surtout des Soudanais, mais aussi des Syriens et des Afghans. Martine, institutrice à la retraite, va leur donner bénévolement des cours de français.
« Au début, beaucoup de gens du village avaient la trouille. Ils pensaient voir arriver chez eux une bande de terroristes. Mais non, voyons ! Ces gens-là fuient justement le terrorisme affreux qui sévit chez eux. Bref. Ce sont des personnes adorables. Ils font leurs courses au village, sont souriants, polis, ne font pas d’histoire. Du coup, maintenant, ils sont plutôt bien acceptés par la population. Sauf par quelques irréductibles et inévitables râleurs. (« tous ces réfugiés, ils viennent bouffer le pain des français ! ») En fait, ils touchent très exactement 4€ par jour et par personne. Ici, ils mettent ça dans une cagnotte commune, se serrent les coudes, pétrissent leur pain, se débrouilleent comme ils peuvent. »
Madame le maire, prévenue de notre arrivée, vient en personne nous souhaiter la bienvenue.
L’après-midi, alors que nous nous blottissons bien à l’abri dans le ventre de Kaplumbağa, Seigneur Soleil daigne pointer le bout de son nez.
Un ex-voyageur vient frapper à la roulotte. Il nous apporte des tomates, des concombres, une aubergine, une courgette et des pommes de terre. Il nous offre aussi de venir chez lui prendre une douche. Il sait ce que c’est : il a traversé les États-Unis, jusqu’au Mexique, et tandem avec son frère. Et les douches, nous explique-t-il, n’étaient jamais de refus !
Sûr qu’on ne refuse pas. Gros gros merci !
Martine nous emmène en voiture faire des courses. Elle en profite pour nous montrer quelques curiosités de la région, dont le tunnel sous lequel passe le canal de Bourgogne. Ben oui, à Pont d’Ouche, le canal passait SUR un pont. Ici, il passe SOUS terre, pendant 3333 mètres. On nomme ce tunnel « la voûte ». Il traverse la ligne de partage des eaux, du versant Yonne (bassin de la Seine) au versant Saône (bassin du Rhône). Impressionnant. Il paraît que la construction, qui a duré 7 ans, a occasionné pas mal de morts. C’était pas trop grave : c’était seulement des ouvriers mineurs espagnols !!! (Tiens tiens ! La main d’œuvre étrangère… déjà !)
Martine nous montre la sortie du tunnel, d’abord, puis l’entrée, qui se trouve à Pouilly-en-Auxois.
Ça s’appelle « entrée » et « sortie », mais on peut le franchir dans les deux sens. Sauf que c’est à circulation alternée, parce que deux péniches ne peuvent pas s’y croiser.
À l’origine, les mariniers mettaient 10 heures pour traverser la voûte, tirés à col d’homme.
Ensuite, en 1867, on a installé un toueur à vapeur engrené par une chaîne immergée pour tracter les péniches. En 1893, l’électricité a remplacé la vapeur, et le trajet a pu s’effectuer en 2 heures seulement. Le toueur est aujourd’hui exposé à Pouilly-en-Auxois (où nous avons, par parenthèse, savouré des glaces et dégusté des chocolats confectionnés maison par un super pâtissier-glacier-chocolatier.)
Autre difficulté : la voûte n’étant pas assez haute, les bateaux les moins chargés touchaient le plafond. Aujourd’hui, les rares péniches, toutes de plaisance, traversent seules. Pour cela, il faut abaisser le niveau de tout le bief.
Petite précision : j’ai chipé les photos de la Voûte sur Wikipédia, pour la bonne et simple raison qu’on n’avait pas emporté l’appareil photo. Martine nous avait seulement dit qu’elle nous emmenait faire des courses. On ne savait pas qu’on allait voir de si intéressantes choses !!!
21 Août : Rouvres-sous-Meilly – Melin 20 km
Petites routes tout d’abord faciles. Pas de grands dénivelés, circulation quasi nulle. Forêts, prairies, très nombreux troupeaux de vaches Charolaises, un seul de Limousines. Quelques moutons. 10° au départ, ce matin. 15° à l’arrivée. On a mis les pulls !
Ça se corse après Chailly-sur-Armançon : très longue montée qui n’en finit pas. On passe de 300 m d’altitude à 500. Ce n’est pas que la côte soit très raide, c’est qu’elle s’étire sur plusieurs kilomètres. Océane est bien décidée, aujourd’hui, à ne pas jouer les flemmardes. Elle tire, et elle tire même très bien. Soulagement pour Noé. Il est temps qu’elle si mette, princesse Océane !
Après quoi, bien entendu, la descente. 8 %. Mais là, pas de problème. Les Louloutes assurent.
Dans le petit hameau de Melin, la première personne interrogée, une femme souriante et fort sympathique, nous propose son pré. C’est à l’écart de la route, c’est tout clôturé, et c’est traversé par un ruisseau. Le rêve. En plus, j’avais préparé la ratatouille hier soir. Pas de cuisine à faire, y’a qu’à réchauffer…
Jolie promenade dans le village,
avec son immense cathédrale !
ses nombreux murets en pierres sèches,
une belle demeure en pleine restauration,
et un vieux tacot qui s’empoussière dans une grange.
Pas besoin de retourner à la roulotte pour avaler notre petit goûter : on grignote sur le chemin.
22 Août : Melin – Pâture de la Raie 19 km
Eh ben oui, ça ne s’invente pas, notre lieu de bivouac, aujourd’hui, s’appelle Pâture.
À Saulieu, on s’est retrouvé tout paumés ! Heureusement, Abel passait par là. Il nous a précédés avec sa voiture pour nous mettre sur le bon chemin. Puis il a filé sans nous attendre. Dix minutes plus tard, coucou, le revoilà ! Il nous a trouvé un emplacement. Génial.
Un gros merci, Abel !
Les juments ont travaillé dur, aujourd’hui encore. Nous voici rentrés dans le Parc Naturel du Morvan. Ça monte et ça descend. Océane et Noé n’auront pas volé leur repos. Pour nous : noisettes et mûres en abondance !
Abel élève et éduque des chevaux de trait Auxois – la race locale. Il utilise ses chevaux pour la culture des vignes. « C’est ce travail qui utilise aujourd’hui le plus les chevaux de trait. Plus que le débardage, et plus que le loisir ! Ils ne sont pas utilisés seulement chez les viticulteurs qui travaillent en bio. Il y a une forte demande aussi de la part des vignerons « conventionnels ». Dans le Bordelais, par exemple, il y a 150 chevaux au travail pour la vigne. Ici, en Bourgogne, une cinquantaine.
On s’est aperçu que certaines maladies du bois de la vigne provenait des blessures faites par le tracteur. De plus, le tracteur compacte trop le sol, et la vigne souffre. Avec les chevaux, le sol est plus aéré, le raisin de meilleure qualité (meilleur équilibre sucre-acide) À condition d’avoir un bon meneur, qui connaisse ET les chevaux ET la vigne. Car c’est un labeur qui demande une précision extrême pour ne pas abîmer les ceps. Cerise sur le gâteau : les vignes sont beaucoup plus vigoureuses dans les parcelles travaillées avec les chevaux, et nécessitent donc moins de traitements. Les tracteurs modernes sont équipés de palpeurs qui, lorsqu’ils touchent le cep, « préviennent » la décavilloneuse (petite charrue spéciale). Celle-ci dévie alors pour ne pas toucher le bois. Malgré tout, le palpeur, même s’il touche doucement, peut blesser le bois. L’homme et son cheval, s’ils sont compétents, sont beaucoup plus précis. Bref, je ne vais pas te détailler tout le cours que nous a donné Abel. C’était vraiment passionnant. Abel a été le pionnier du renouveau du cheval dans la vigne, il y a 20 ans. Aujourd’hui, des personnes du monde entier viennent suivre les formations qu’il propose. Il parcourt la France entière avec ses chevaux pour faire des démonstrations. Pas mal de viticulteurs, surtout ceux qui produisent des grands crus, ont été convaincus. Certains domaines viticoles peuvent avoir une dizaine de chevaux, et cultiver une trentaine d’hectares de vigne presque uniquement en traction animale. Qui aurait parié une chose pareille voici seulement une trentaine d’années ???
Quelques remarques
La Bourgogne doit son nom aux Burgondes. Cette peuplade germanique a créé le royaume de Burgondie, devenu par la suite royaume de Bourgogne puis des Deux-Bourgognes à l’époque carolingienne. Par la suite on distinguera le comté de Bourgogne (ou Franche-Comté de Bourgogne), qui correspond à l’actuelle Franche-Comté, du duché de Bourgogne qui correspond à peu près à l’actuelle région de Bourgogne.
Comme on s’est arrêté une semaine à proximité de Dijon, un certain nombre de nos lecteurices nous ont demandé si on en profitait pour se gaver de moutarde.
Ben tu sais quoi ? La « moutarde de Dijon », c’est pas du tout une appellation d’origine contrôlée. Le terme n’est pas juridiquement protégé, et n’importe quel fabriquant de moutarde forte peut l’utiliser. Et tu sais quoi encore ? Les graines de moutarde utilisées dans la fabrication de cette fameuse moutarde de Dijon proviennent du Canada à 80 %. Et le reste des pour cent arrive des pays de l’Est.
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la moutarde a été beaucoup cultivée en Bourgogne. Tu sais pourquoi ? Il existait dans cette région de nombreux fourneaux à charbon de bois. Après la cuisson du charbon de bois, les « fauldes » (fosses où l’on avait fabriqué le charbon) étaient riches en potasse, ce dont raffole la moutarde. Les charbonniers en semaient donc sur le lieu même où le bois avait cuit à l’étouffée. A la maturité des graines, des commerçants passaient les acheter aux charbonniers pour les revendre aux moutardiers de la région.
Avec la désaffection du charbon de bois et la disparition des charbonniers, la culture de la moutarde, de moins en moins rentable, a quasiment disparu. Faut croire qu’au Canada ça paye encore un peu !
On nous a quand même affirmé que quelques paysans de la région sont en train de se remettre timidement à la culture de la moutarde.
Quand même, il existe une indication géographique protégée « Moutarde de Bourgogne ». Alors là, la culture des graines doit s’effectuer en Bourgogne (Côte d’or, Yonne, Nièvre, Saône-et-Loire) et le vin blanc utilisé pour la fabrication doit être produit en Bourgogne ou dans le Beaujolais.
Anne, le 22 Août 2016