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Entre Danube et Rhin

10 Juillet : Immeningen – Längehaus 19,5 km

Encore une étape à bestioles. Trop chaud (32°). Partis trop tard (8h30)
Oswald se démène en balançant sans cesse au-dessus des juments une longue branche de noisetier garnie de ses feuilles. Ça aide un tout petit peu.
Adieu, Danube ! On franchit le dernier pont. Petit pincement au cœur.
Direction le Rhin.
Encore un restaurant ? Dites, la Anne et le Oswald ! Vous le faites pas un tout p’tit peu exprès.
Là, c’était trop tentant ! Après presque vingt bornes et le harcèlement incessant des taons, ce gasthaus isolé en pleine campagne, avec une immense prairie juste derrière, il y avait de quoi s’arrêter demander asile.
C’est d’accord, à condition qu’on s’installe hors de la vue d’une certaine clientèle, qu’un véhicule de ce genre sur le parking pourrait rebuter !
De toute façon, ça nous arrange, nous, pour une toute autre raison : on préfère stationner loin du bruit de la route.

11 Juillet : Längehaus – Am Bahnhof 18 km

Cette fois on a réussi à partir plus tôt. Moins de taons. En revanche, il a fallu se farcir un bon morceau d’Horrible Grande Route à Camions. On l’a évitée quand même pour descendre sur Fützen. La route que nous avons prise est interdite aux gros bahuts, et pour cause : longue descente à 15 % ! Impressionnant. Les juments assurent superbement bien. Quelques uns des automobilistes qui nous croisent lèvent le pouce. Super !
Après quoi, on n’a plus le choix pendant un petit moment. C’est l’Horrible Grande Route à Camions. Comme on est Lundi, tous ceux qui n’ont pas pu rouler hier se rattrapent. Un cinglé nous double en plein virage, sans aucune visibilité, rasant roulotte et juments, pour terminer par une superbe queue de poisson. Il évite de grande justesse la pauvre petite bagnole qui arrivait en face, heureusement pas trop vite. Océane, attelée à gauche, traite tout cela par le plus grand mépris. Elle n’a pas bougé une oreille.
Après quelques kilomètres, on sort enfin de ce bazar. L’ancienne nationale est maintenant interdite aux voitures, autorisée seulement à la circulation agricole. Quasi déserte. Nous sommes dans la Forêt Noire, presque à la frontière de la Suisse.
L’entreprise qui nous accueille conçoit et fabrique des crépis isolants. On nous installe près du parc d’essais, où les crépis sont projetés sur des espèces de grandes tablettes pour tester leur comportement à l’air libre et sur la durée avec toutes les orientations possibles. Il y a là une station météo assez sophistiquée. Tout un tas de détails sont recueillis, qui permettent d’améliorer les produits.

On a là une très charmante source d’eau bien fraîche et délicieusement potable.

Et voici une belle rencontre inattendue. Un couple de roulottiers ! Ils ont construit eux-même leur roulotte, tractée par un Unimog de 1963, nickel. C’est juste que ça fait un peu plus de bruit que le clop-clop des sabots de nos juments. Et que le carburant coûte plus cher que l’herbe. C’est que ça a souvent soif, ces petits bijoux-là !

Les montagnes que tu aperçois à l’horizon, derrière Kaplumbağa, c’est la Suisse.

12 Juillet

Repos ! On profite de l’abondance d’herbe pour les juments, de la source, et tout simplement de la possibilité offerte de rester là une journée.
C’est une place « tournicotage poids-lourds » bien tranquille, utilisée par les camionneurs avertis comme aire de repos. Ils s’arrêtent ici pour une heure casse-croûte, deux ou trois heures de sieste, ou carrément pour y passer la nuit (une demi-douzaine de camions) loin de la bruyante circulation routière.
C’est bien connu, les routiers sont sympas. Bonne occasion pour tchatcher.
Et puis… il pleut ! Toute la journée. La température ne grimpe pas au-dessus des 16°. Ça signifie : pas de bestioles importunes. Océane et Noé peuvent VRAIMENT se relaxer.
Ces derniers jours, chaleur + invasion de taons + pas mal de grimpette = Noé s’est beaucoup énervée, a beaucoup stressé, a sué en abondance. Résultat, elle a maigri. Bon, elle est pas devenue squelettique, mais quand même : deux trous à la sangle.

13 Juillet : Am Bahnhof – Wutöschingen 21 km

Matin : temps nuageux et doux (18°), petit vent bienfaisant chasseur de vilaines grosses mouches, pas de pluie. Idéal pour rouler. Noé est redevenue très tranquille. Elle ne transpire pas.
Très très jolie étape, sur la voie cyclable nommée « Véloroute du Sud de la Forêt Noire ».
On longe la rivière Wutach, qui sert de frontière pendant quelques kilomètres. Nous roulons en Allemagne, de l’autre côté de l’eau c’est la Suisse.

À Eggingen, la frontière s’éloigne de la Wutach. Les deux rives redeviennent Allemandes. On traverse la rivière pour rouler sur la berge opposée. On frôle la douane.

Paysage bucolique, entre montagnes arrondies, forêts, prairies. Quelques champs de céréales (maïs et blé.)

Mais surtout, immenses champs de mélange « spécial abeilles ». Surprenant et merveilleux. Tournesol, bourrache, phacélie, bleuet, calendula, coquelicot, et bien d’autres encore.

Wouaouh ! Notre halte sur la berge de la Wutach va régaler nos joyaux ! Abondance d’herbe bien juteuse, avec en prime luzerne, plantain et pissenlit. De quoi les requinquer.

Eh ben dis donc ! On s’est arrêté juste à temps. Juste le temps de s’abriter dans la roulotte après tout le train-train habituel des arrivées. La pluie se met à tambouriner sur notre vaisseau.

Qui est-ce qui passe par là ? Une randonneuse qui voyage à pied avec son cheval de bât.

14 Juillet : Wutöscingen – Waldshut 15 km

On a sorti les pulls ! Au départ : 12°, vent frisquet. À l’arrivée : 14°, toujours du vent, et pluie par-dessus le marché. Gros avantage : toutes les p’tites bestioles qui piquent ont disparu.

L’une de ces étapes exécrables qu’on ne peut pas toujours éviter. Il fallait en passer par là. Ville presque sans discontinuer. Circulation intense. Et pour couronner le tout, des travaux avec passages rétrécis et circulation alternée (pas prévue pour le pas des chevaux).

Des excités qui voudraient arriver au premier Janvier avant les autres klaxonnent avec nervosité.
Un gros bahut nous double par la droite, rasant le flanc de Noé.
Un autre nous double par la gauche, évitant d’un quart de poil la voiture qui arrive en face.
J’arrête la liste. Dans les travaux, on a provoqué une longue queue derrière nous. Sans scrupule, parce que dans la file qui arrivait en face y’avait pas de chevaux devant, mais la procession était aussi longue et n’avançait pas plus vite.

Le Rhin ! Avec, côté Suisse, une magnifique centrale nucléaire qui crache son gros nuage de vapeur.
Pas de photo : la conduite des juments me demande une concentration de chaque instant. (Heureusement, elles restent d’une sagesse exemplaire.) Oswald reste le nez sur la carte pour tâcher de garder la bonne route.

Arrêt en ville. Oswald va frapper à la porte de chez Polizei pour demander des renseignements au sujet de la voie cyclable de long du Rhin.
J’en profite pour prendre une photo.

La véloroute est imprenable. Trop étroite par endroit. Des barrières. Des ponts trop bas. Les flics ont indiqué à Oswald un endroit, un peu plus loin, juste à la sortie de la ville, où on pourra passer la nuit.
C’est dans une zone commerciale, sur le parking d’une animalerie et d’un restaurant Thaïlandais.

On en profite pour racheter un sac de croquettes-toutou. Et du vermifuge. Aspiré dans un gros bidon à l’aide d’une seringue, pile-poil la quantité nécessaire à Altaï en fonction de son poids (45 kg).
Notre repas sera thaïlandais évidemment. Accueil sourire et riz savoureux. Bien épicé.

15 Juillet : Waldshut – Obersäckingen 19 km

On s’était bien préparé psychologiquement. On savait que l’étape d’aujourd’hui serait un spécial Grande Route Infernale. Tu vois ? Centrale nucléaire Suisse, de l’autre côté du Rhin invisible derrière la rangée d’arbres et gros camions.

Normalement, on devait la suivre, cette route, toujours tout droit. Tiens, c’est bizarre, à Albbruck, notre direction (Bad Säckingen – Basel) est indiquée à droite. On hésite. « Va tout droit quand même, dit Oswald. Puis : « C’est peut-être mieux quand même de suivre les panneaux indicateurs »
Bon, OK, on suit les panneaux. C’est sans doute une rocade pour contourner le bled. Aouch ! Grosse montée à 10 % ! C’était pas prévu au programme, ça… Les juments grimpent vaillamment. C’est quand même bizarre, ce truc. Oh ! Merde !!! On se retrouve sur une voie rapide ! Le carré bleu avec la petite voiture blanche, bien visible… Maintenant, plus moyen de tournicoter… Oswald scrute la carte. Il n’y comprend rien. « Ah ! Si ! Je vois !... » Au moment où notre fichue carte a été éditée, la voie rapide était seulement en projet. Elle est indiquée par des pointillés d’un jaune très pâle. On n’avait pas vu.
Vu qu’on reste sagement sur la voie de droite, les voitures nous doublent à toute berzingue. Mais on se retrouve dans la plus totale illégalité. Aussitôt qu’on trouve une sortie, on la prend. Une petite boucle pour monter sur le pont qui enjambe la voie rapide et de l’autre côté du pont… les flics, qui nous attendent ! Ils ont été avertis par une bonne âme. On ne les a pas vus sur la voie rapide, donc ils ont dû se douter qu’on en sortirait à la première occasion, et ils nous attendaient là.
Explications !
L’un est très sympa et souriant. L’autre a plutôt l’air de nous prendre pour des tarés.
Oswald sort la carte. Il met les policiers dans la position : « aide aux voyageurs ». (Voir le bouquin d’Émile Brager, « technique du voyage à cheval » Merci Émile !!!)

Les flics essaient de convaincre Oswald d’acheter une meilleure carte que celle-ci. Mais à quoi bon ? Dans deux jours elle ne nous servirait plus à rien.
Alors ils nous conseillent sur le trajet à suivre, nous préviennent des difficultés. (Une grosse montée à Laufenburg, par exemple) Et oublient le joli procès que nous avions pourtant mérité. Merci messieurs !
À Laufenburg, effectivement, la grimpette est raide : 12 % pendant 500 mètres. Une bande de jeunes filles accoudées au parapet d’un pont, au-dessus de nous, nous font de grands signes et encouragent les juments de la voix. Ça tire, ça tire, ça ralentit, ralentit encore… je trille : prrrrrrt !
Prrrrrt ! Encore quelques mètres… Ça y est ! Bravo les filles ! On s’arrête. On souffle.
Là-bas, tout en bas, le Rhin.

Sur notre droite, à quelque mètres de la route, deux paysans sont en train de motoculter un grand jardin. Stop ! Oswald descend de la roulotte pour mendier un emplacement. « Oui » Immédiat. On enfile un chemin qui nous mènera loin du bruit de la circulation, au bord d’un petit torrent. Juste à côté de la clôture d’un golf (gazon nickel et razibus d’un vert qu’on croirait presque artificiel...)

16 Juillet : Obersäckingen – Maulburg 27 km

6h30 : 5°, nous annonce le thermomètre.
9 h, heure du départ : 10°.
Ciel bleu le matin, puis quelques nuages. Ça monte à 22° en début d’après-midi, avec petit vent frais.
Pour nous : temps idéal.
Ce qui n’est pas idéal, ce sont les kilomètres de grande route qu’on est encore obligé d’avaler. On suit le conseil que nous ont donné hier les policiers : on quitte la grosse circulation pour couper à travers la Forêt Noire. Huit kilomètres de montée pas trop raide, mais continuelle. Nos louloutes montent bien, avec beaucoup de régularité. Océane en oublie d’enquiquiner Noé. (Depuis quelques jours, va savoir pourquoi, Océane a pris la sale manie d’essayer de mordre l’encolure de Noé pendant qu’on marche. C’est assez agaçant.)
Les juments ont bien travaillé, moi je suis assez claquée, on va bientôt se farcir ville après ville, il faut trouver un lieu pour s’arrêter.
Voici une friche au bord de la rivière. Ça n’a pas l’air d’être cultivé. Il y a là une maison, mais personne à qui demander. Juste u panneau « station de pompage des eaux ».
On dételle, on dégarnit les juments. Oswald commence à poser la clôture.
Une voiture. Le monsieur qui en descend est le gardien responsable de la station de pompage, et c’est lui qui habite ici. Il nous explique avec beaucoup de gentillesse pourquoi on ne peut pas rester.
Sur tout ce territoire, le pâturage des animaux est strictement interdit : risque de pollution des eaux. (Comment font-ils pour virer les cerfs et les chevreuils ???)
Le monsieur est sincèrement désolé. « Je ne peux pas dire que je ne vous ai pas vu : je vis ici, ce ne serait pas crédible.) Il remplit notre réserve d’eau potable. On donne à boire aux loupiotes.
On regarnit, on ré-attelle, on repart. Il est presque 14 h. On commence à avoir faim. Les juments aussi, sans aucun doute. Elles ne sont pas très allantes, les pauvres. Elles n’y pigent rien. Nous voici à Maulburg. On va aux renseignements.
Ah ! Un magasin "vente de meubles", avec son beau parking et une magnifique prairie. Seulement voilà : le parking et la prairie sont fermés par une barrière automatique pré-programmée. Ça ferme à 17h30. Et demain dimanche, ça reste clos. Donc c’est pas possible.
Ah ! Il y a la place où se mettent les cirques. Là-bas. Jarnibleu ! Il y a justement un cirque installé ici ce week-end. Plus de place pour nous. Pas de chance : ça n’arrive que deux ou trois fois dans l’année.
Ah ! Il y a une immense place communale, au bord de la rivière. Et de l’herbe. Allez donc vous installer là-bas. Bon. On tourne à droite, on entame la descente vers la rivière. Stop ! L’endroit est envahi de monde. Justement, aujourd’hui, a lieu ici le grand rassemblement de tous les kindergarten (jardins d’enfants, équivalent de nos écoles maternelles) du canton !
Un gentil monsieur qui promène son labrador noir nous fait signe de le suivre. Il connaît un endroit pour nous.
Ouf ! Ce sera là, à la sortie du bourg, un coin d’herbe, avec trèfle, au bord d’un ravissant ruisseau glougloutant.

Il est 15h30. Le temps de tout installer… C’est à 16h30 qu’on pourra enfin s’asseoir, affamés, devant une bonne pizza (pas si bonne que ça, d’ailleurs) à la pizzeria du coin.

17 Juillet : Maulburg – Huningue 26 km

La chaleur est de retour… +30°.
Très rude étape pour les juments.
On entame une montée assez raide, mais pas trop longue. Océane et Noé calent ! Je propose à Oswald de dételer, de monter les juments en longe, et d’attendre une bonne âme pour tracter la roulotte au sommet avec une voiture. Mais deux jeunes garçons passant par là, on leur demande s’il veulent bien aider les juments en poussant la roulotte pour aider au redémarrage.
« Pas la peine : faites demi-tour, redescendez un tout petit peu, et prenez l’autre route, un peu plus loin : elle monte beaucoup moins raide. Ensuite, ça rattrape par une piste agricole asphaltée. » Ils sont du pays, les petits gars, on suit leur conseil. On n’aurait pas dû !
La piste agricole asphaltée grimpe tout en haut de la montagne, pendant deux kilomètres. Pas tout à fait aussi raide que la route abandonnée, mais costaude quand même, et surtout très longue !
Noé dérape et juge plus prudent de se déporter sur le bas-côté herbu, en bousculant Océane. Pas eu le temps de réagir.
Ben oui, Noé, l’herbe, ça glisse moins que le goudron, mais la roulotte y roule beaucoup moins bien !
Nouveau calage.

Cette fois, un bienveillant cycliste aide en poussant, pendant qu’Oswald marche devant Noé. Qui le suit avec confiance. Oswald va derrière Kaplumbağa pour aider à pousser, mais du coup, les juments refusent de nouveau d’avancer. Il faut qu’Oswald se remette à marcher devant pour qu’elles consentent à l’effort.
On arrive enfin au point culminant. Ouf ! Longue pause pour reprendre souffle. Friandises. Le panorama est d’une vastitude époustouflante. Vue sur les Vosges d’un côté, et sur les Alpes de l’autre. Malheureusement, les pylônes électriques sont décidément inévitables.

Et quand même. Si on avait su, on aurait préféré éviter ce calvaire à Océane et Noé.
Enfin, ce qui est fait est fait…
On redémarre doucement. La descente est vraiment raide, mais nos louloutes assurent. On traverse le « village des artistes », Ötlingen. Presque toutes les maisons sont décorées d’un grand tableau peint par l’un des nombreux artistes habitant le village. Y’en a de tous es styles et pour tous les goûts. Des sculptures, aussi. On est tellement fasciné qu’on n’a même pas l’idée de prendre des photos. Dommage.
On descend toujours.
On arrive sur le secteur des trois frontières (Allemagne-France-Suisse)
On passe au-dessus d’un impressionnant nœud ferroviaire.

La frontière approche.

On aborde le Rhin.

Encore plus bétonné que le Danube. Tout au moins ici.

Et au beau milieu du pont…

Ça fait tout bizarre de revoir du français écrit partout. Et d’entendre les gens dire bonjour.
Notre première halte française sera au bord du canal du Rhône au Rhin, sur la bas-côté de l’ancien chemin de halage.

Océane et Noé cherchent l’ombre.

Nous aussi, d’ailleurs.

Anne, le 17 Juillet 2016

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