Ce n’était pas le hasard. C’est Marti, l’ami roulottier, qui nous avait refilé ce tuyau :
À Vienne, là ou la ville s’effiloche dans la réserve naturelle de la ripisylve, la forêt rivulaire du Danube, se trouve une centrale électrique désaffectée.
La Croix Rouge l’a transformée en camp de réfugiés. Victimes de la guerre, de la misère, de la terreur, ils ont trouvé ici un abri ...
Et juste à côté il y a ce terrain vague où elles et ils se sont installés, ces autres réfugiés. Ces réfugiés du consumérisme, de la saturation, de l’abondance, de l’ennui ?
Ils y vivent dans leurs containers, leurs roulottes de chantier, leurs camions, habitations sans fondations. Mais ils vivent surtout dans leurs théories sur La Société, et dans leurs rêves d’un Autre Monde Possible. En couples, seuls, en famille.
Ils se voient comme un des divers groupes de résistance contre ce qu’ils appellent les oppresseurs et leurs sbires. Ils se disent anarchistes.
Ils sont plutôt jeunes, ne connaissent pas la guerre, ni la misère, ni l’oppression du stalinisme, du nazisme, de Pol Pot. Mais ils ont choisi de souffrir de . . .
Et là, chacun a choisi son propre domaine de souffrance. Des fois, il y a la friction avec l’administration ou la police, et ça crée de l’ambiance, ça donne un sens, une direction aux occupations quotidiennes. D’autres souffrent de la domination des grandes multinationales, ou encore de la morte lente des interactions humaines « live », sans media, sans tablette, sans internet, sans animateur, sans directeur des relations publiques.
Tous ne prônent pas seulement, ils vivent la décroissance et la simplicité volontaire.
Dans l’espace germanophone il existe, suivant différentes sources entre 100 et 200 wagenplätze. Celui ici, « notre » wagenplatz, existe depuis 10 ans maintenant. On y vit en toute légalité avec du courant électrique, de l’eau courante, on est branché au réseau de canalisations. La ville de Vienne a même donné des subventions. La preuve que la vie dans une wagenplatz est tout à fait possible, même légalement .
Environ une trentaine de gens vivent ici avec une machine à laver, un seul point d’eau, une douche, un WC, ce qui ne pose apparemment aucun problème : les Dames se pomponnent un peu moins, les Messieurs ne prennent pas si souvent une douche. Ils ne travaillent pas trop dur ?
En tout cas, vu les dépenses minimales pour le logement, et le coût réduit de la vie, on n’est pas tellement dépendant d’un emploi salarié à plein temps, ce qui est ressenti comme un gain de liberté. Pour de vrai, on a beaucoup plus de temps libre, autogéré, qu’un salarié avec son week-end et ses vacances. En plus on est propriétaire de son logement fabriqué partiellement en autoconstruction, ce qui est fièrement vécu comme un plus en autonomie et en indépendance.
La corvée d’eau, le chauffage au bois, alors la corvée-bois pour l’hiver, la plonge dans les poubelles du supermarché en tant que glanage alimentaire pour les repas quotidiens, tout ça occupe et prend son temps. Mais, et ça c’est ressenti comme une autre grande liberté, tout ça c’est un labeur à son propre rythme choisi. Sans patron, sans emploi du temps autre que le sien.
J’écris ça ici à Zwentendorf, où nous sommes stationnés sur le parvis de la centrale nucléaire. Cette centrale livre le courant le plus propre de toute l’industrie nucléaire du monde : de l’électricité solaire grâce à ses panneaux photovoltaïques. Malgré le fait que sa construction a bien été terminée en 1978, la centrale n’a jamais été mise en route. Un référendum a empêché ça.
En ce qui concerne la décroissance et un train de vie écologiquement soutenable à long terme, nous assistons en ce moment au déroulement d’un référendum non officiel et non déclaré :
Les femmes, les enfants et les hommes des wagenplätze appartiennent à la catégorie de ceux qui votent activement « OUI à la décroissance ».
Mais ils sont une toute petite minorité qui flotte au dessus du fleuve tumultueux de la ruée vers le toujours plus et plus.
oswald