15 Mai
Finalement, on décide de rester une journée sur notre dernière étape hongroise. Nous, on n’a pas volé ce jour de repos, et les juments l’ont plus que mérité.
On a roulé dix jours d’affilée. C’est notre record.
On peut bien s’accorder cette petite pause.
On en profite pour assister à deux matchs de kayak-ball. Un masculin, un féminin. Je n’avais jamais entendu parler de ce sport. Oswald, lui, connaissait déjà. Assez spectaculaire. Ambiance très bon enfant. Vrai plaisir du jeu plutôt qu’esprit de compétition.
Bien entendu, ça n’attire pas les foules. Les spectateurs ? Les familles des compétiteurs !
L’entraîneur, qui joue aussi le rôle d’arbitre donne ses derniers conseils :
Puis c’est la pleine action !
Deux équipes de cinq kayakistes, les jaunes contre les noirs. Le but ? Marquer un panier contre l’équipe adverse. On n’a pas saisi toutes les règles, mais très bien le sens du jeu.
Le camping-restaurant qui nous accueille sur son terrain nous sert du poisson grillé. (Une fois du carassin, la fois suivante de la truite.) Poisson du Danube, nous précise-t-on. À l’intérieur du restaurant, de très beaux sièges en bois.
Et dehors, parmi les jeux destinés aux enfants, une originale cabane qui n’est autre que le tronc creux d’un arbre mort.
Une autre cabane, dans les arbres au bord de l’eau.
Superbes promenades le long de la rivière. Un régal. Parfums de printemps. Musique : loriot, coucou, grive, rossignol, alouettes. Canards ! Chemin faisant, on broute notre apéritif en grignotant de-ci des grappes blanches d’acacia, de-là les fleurs mauves de sauges, plus loin des feuilles de consoude au goût maritime… Oswald croque de têtes d’ortie. Moi, l’ortie fraîche et crue je n’ai jamais osé essayer.
16 Mai : Rajka – Pama (Autriche) 20 km
Vas-y ! Moque-toi bien de moi ! Ce matin, prise d’une envie pressante de me moucher (le nez coule toujours un peu) j’ai cueilli ce qui me tombait sous la main : une belle feuille de houblon. Qui m’a servi de mouchoir. Mais ensuite, aïe ! aïe ! aïe ! Voilà que le nez et le dessus des lèvres me piquent et me brûlent ! J’aurais aussi bien fait d’utiliser une feuille d’ortie !
Oswald se paye ma tête. Je ne savais pas que ça piquait comme ça, moi, les feuilles de houblon ! Je n’avais jamais eu l’occasion d’en cueillir.
« Mais tu n’as pas senti, quand tu l’as prise dans ta main ? »
Ben non : je suis allée trop vite.
Le Marti de la Ritana-roulotte nous a indiqué un super tuyau pour passer en Autriche : une piste agricole paumée dans la campagne, sans aucun contrôle, nous a-t-il précisé. C’est par là qu’Irène et lui sont passés il y a environ 18 mois, avec leurs deux chevaux comtois, dans le sens inverse du nôtre.
Piste absolument déserte. Nous sommes encore en Hongrie. Devant nous, l’Autriche, envahie d’éoliennes. À notre droite, la Slovaquie. Nous nous trouvons aux confins des trois pays.
Passage en Autriche.
Mais tiens, tiens, tiens ! C’est quoi, cette cabane toute neuve, là-bas, qui ressemble vaguement à un abri-bus ? Il ne doit pas passer beaucoup d’autocars dans le coin, pourtant !
Oh ! Ce n’est pas un abri-bus… À côté, une espèce de tipi couleur militaire, qui doit servir de refuge en cas de pluie. Peut-être même que les gardes de nuit y dorment à tour de rôle ? C’est le poste de douane, tout neuf, qui n’existait pas encore quand Ritana était passée par là. Entre temps, l’espace Schengen en a pris un bon coup dans l’aile ! L’Autriche a remis en place les contrôles aux frontières. Y compris aux plus minuscules. Invasion de réfugiés oblige...
Trois jeunes militaires souriants procèdent à la vérification des papiers : « passeports ! »
Les nôtres, seulement. Ils se fichent pas mal de ceux des juments et du chien. Ils ne s’assurent même pas qu’on ne transporte pas deux ou trois passagers clandestins à l’intérieur de Kaplumbağa . Ils nous demandent la permission de prendre des photos.
L’un d’eux nous précise quand même qu’en principe, on n’a pas le droit de passer par cette frontière, exclusivement réservée au riverains.
Heureusement qu’on n’a pas eu à faire à des imbéciles bornés, cette fois.
Oswald voulait qu’on s’arrête devant une banque, au premier village autrichien, pour changer nos derniers forints en euros. On s’arrête donc. Deux femmes qui papotent là rigolent : « Vous ne savez pas que c’est lundi de Pentecôte ? Tout est fermé ! »
Ouh là ! On est complètement déconnectés. Notre calendrier roumain ne nous a pas avertis : en ce qui concerne les fêtes religieuses (je l’ai déjà écrit quelque part, mais je le répète pour le cas où tu ne l’aurais pas lu) les orthodoxes suivent le calendrier julien, et non pas le calendrier grégorien. Donc ces fêtes, hormis Noël, ne tombent pas en même temps que les nôtres.
Ça veut dire qu’on sera déconnectés au sens propre aussi : pas d’Internet, puisqu’à chaque changement de pays, il faut changer la carte SIM de notre jolie boulette connectrice. Aucune chance de trouver un magasin adéquat ouvert aujourd’hui. Tant pis. Les accros à notre Fesse-Bouc n’auront pas leur petite photo quotidienne.
Étape à Pama. Pas facile. On finit par trouver un carré d’herbe. On ne sait pas à qui demander la permission, mais on s’arrête quand même. Une fois de plus (je déteste ça) Kaplumbağa sera stationnée au bord de la route.
Avec éoliennes en vue.
Le voisin nous amène de l’eau pour les juments. Il dit que le propriétaire du terrain habite à l’autre bout du village. Il n’imagine pas que ce proprio pourrait trouver un inconvénient à notre squat pour une nuit.
Une voiture s’arrête. Un homme en descend. Plus de barrière de langue, plus besoin du papier magique. Oswald est ravi de tchatcher dans sa langue maternelle. Je suis larguée. Va falloir que je m’y mette !
Pas besoin de préparer le repas ! L’homme en question nous apporte des tomates (locales, cultivées dans une serre du coin), deux tranches de porc panné, une bouteille de vin, une autre d’eau pétillante, et une grosse miche de pain noir.
Après quoi, petite sieste.
Brusquement interrompue par la roulotte qui nous secoue dans tous les sens. C’est Altaï qui tire comme un fou.
« Je pense qu’il y a quelqu’un », dis-je à Oswald.
« Tu crois ? » me répond-il.
Bref, le temps de secouer un peu notre torpeur et de sortir de notre cocon, plus personne en vue. Je descends. Altaï est couché au bout de sa corde, l’œil terriblement malheureux, la salive aux babouines. À un mètre de lui environ, inaccessible, un gros sac posé par terre.
J’ouvre. Pour découvrir :
trois boîtes de pâtée pour chien, dix œufs, une miche de pain noir (encore !) une bouteille de vin (même producteur que la première, sans doute un viticulteur du coin) un gros morceau de schinken speck (sorte de jambon gras dont le Oswald raffole)
On ne peut même pas remercier nos généreux et mystérieux donateurs…
Allez, encore une petite vue sur les éoliennes, dans les lueurs du crépuscule.
Ce n’était pas fini. À la tombée de la nuit, le type qui nous a apporté notre repas de midi revient avec sa femme. (Oswald lui avait raconté notre ignorance du jour férié. « On n’a même pas pu faire de courses », avait-il expliqué.) Du coup, le monsieur et sa femme ont dû supposer que nous manquions de provisions. Ils nous tendent un grand carton rempli de bonnes choses. Les listes, c’est pas très rigolo, mais je te fais quand même celle-ci, pour que tu te rendes compte :
deux pots de confiture
deux gros paquets de petites gaufrettes au chocolat
une boîte de tisane de menthe
un gâteau au pavot
un concombre frais bio
un litre de jus de fruits bio
deux cannettes de panaché bio
quatre petits pains au lait
quatre petits pains aux graines de sésame et de lin
un paquet de spaghetti bio
deux paquets de farfalle bio
un paquet de pâtes penne bio
quatre boîtes de harengs à différentes sauces
quatre boîtes de maquereaux à différentes sauces.
Rien que ça !!!
Eh ben ! C’est pas l’Autriche qui va nous faire maigrir !
17 Mai : Pama – Stopfenreuth 22,5 km
Nous sommes en train de harnacher les juments lorsque quelqu’un s’arrête. C’est le propriétaire du terrain. Il avait été prévenu par un ami. Il est venu nous voir hier soir, assez tard, nous explique-t-il, mais comme il n’y avait pas de lumière dans la roulotte, il n’a pas osé nous déranger. Il est enthousiasmé par notre aventure et nous pose quantité de questions. Vraiment très sympa. Ce n’est pas toujours le cas, quand on s’installe sans autorisation ! (Ce que nous faisons le moins possible, et seulement quand on ne trouve pas d’autre possibilité.)
Nous nous sommes éloignés du Danube pour franchir la frontière. Maintenant, il faut remonter vers le Nord pour le rejoindre. Arrêt dans le premier village pour entrer dans une banque changer nos forints. Pas de bol, la banque n’est ouverte que l’après-midi.
Bad Deutsch-Altenburg, c’est la ville où nous devons traverser le Danube pour rejoindre la véloroute. Grosse circulation : on doit monter Altaï dans la roulotte. MAIS ! Dans quoi s’est-il roulé en cours de route, cet animal ? Dans quel cadavre ? Il dégage une puanteur absolue. Tant pis, on n’a guère le choix.
Bad Deutsch-Altenburg est un bourg un peu important, où on espère trouver un arrêt pour régler ce problème de change, et trouver une carte SIM pour notre boulette Internet. Et puis… on n’a pas de carte de l’Autriche, ce qui est quand même un peu gênant ! Je gare la roulotte sur un parking, pendant qu’Oswald va aux renseignements à l’office de tourisme. Il en revient avec une carte du coin, qui va jusqu’à Vienne. C’est toujours ça. J’attends encore (les juments sont super sages) le temps qu’il se rende à la banque. Il en revient tout penaud : non seulement on n’a pas voulu lui faire le change, mais encore on lui a affirmé qu’il n’y a aucune boutique de télécommunication dans cette ville.
Du coup, inutile d’y chercher un emplacement. On continue. On va traverser le Danube.
Le pont est immense. Ça n’en finit pas. Non seulement il franchit le Danube, mais également toute la zone inondable. Ça sonne bizarrement sous les sabots des juments. Il y a pas mal de circulation, surtout des gros poids lourds dont le moteur résonne d’étrange façon. Ça fait comme une espèce d’écho continue qui bourdonne désagréablement. Noé stresse !
Elle est infernale, sue, tire comme une folle sur le mors, et gêne considérablement Océane qui essaie, pleine de bonne volonté, de canaliser sa frangine. À un moment donné, je n’en peux plus. J’ai les bras en compote. Je file les guides à Oswald. Noé se met au petit galop, presque sur place : Oswald la tient bon, elle ne peut pas allonger l’allure. Moi, je gère le frein pour tenter de la calmer un peu.
Ouf ! Ce fichu pont est enfin terminé. Je reprends les guides pour tourner à gauche et sortir enfin de la route à grande circulation (Bratislava – Vienne)
À Stopfenreuth, nous sommes tout de suite accueillis à bras ouverts. Pas besoin de tournicoter à la recherche d’un emplacement. On nous offre un grand carré d’herbe pour Océane et Noé.
J’ouvre la porte pour faire sortir Altaï. Wouah ! Je me demande si l’enfer peut puer autant ! On laisse ouvertes porte et fenêtre pour créer un courant d’air salvateur...
Juste à côté de Kaplumbağa, il y a le gasthaus où sont attablés de nombreux cyclistes : c’est ici que nous allons reprendre la véloroute. Enfin, pas exactement la véloroute, qui se trouve sur la digue, et qui est interdite aux chevaux, mais la piste agricole, destinée aux tracteurs, qui la longe en contrebas. Là aussi, nous nous retrouvons dans un Parc National.
Où nous faisons une longue promenade dans la soirée. Vu de la berge du Danube, voici le pont que nous avons franchi ce matin.
Le plancher de l’observatoire, non loin de la berge, est gravé : toutes les deux lames, le nom d’un oiseau et la trace de sa patte.
Au beau milieu de la forêt, un monument à la mémoire des hommes tombés pendant la deuxième guerre mondiale.
Un peu plus loin, la colonne qui indique le niveau des crues et leur date. Le Danube peut avoir des variations de niveau de plus de 7 mètres !
Ripisylve…
18 Mai : Stopfenreuth – Lobau 35 km
7h30, ce matin : polizei !
« En Autriche, il est interdit par la loi d’attacher les chiens. Même à un véhicule à l’arrêt. »
Le flic est sympa. Il a l’air plutôt enquiquiné. Mais il était obligé de venir nous faire un « rappel à la loi », puisque quelqu’un lui a téléphoné pour nous dénoncer.
Problème : il est interdit aussi de laisser les chiens divaguer.
Bizarrerie : on a le droit de tenir les chiens en laisse. On en a même l’obligation dans tout l’espace du Parc Naturel.
Question de Oswald au flic : « On fait comment, dans notre cas ? »
Réponse du flic à Oswald : « Vous faites travailler votre imagination ! »
Je l’ai déjà dit, la véloroute, sur la digue, est interdite aux chevaux. Nous emprunterons donc cette fameuse piste agricole, non asphaltée, qui la longe presque jusqu’au bout, en contrebas. C’est elle qu’on va emprunter. Une merveille. Pas un chat, mais… beaucoup de lièvres. Trop tentant pour Altaï. On le laisse se dégourdir les jambes un petit moment, puis on l’enferme dans la roulotte (il est à peu près débarrassé de sa puanteur). Parce que parmi les incohérences des lois au sujet des toutous, s’il y en a une que je trouve parfaitement justifiée, c’est bien celle de ne pas laisser divaguer des chiens dans l’enceinte d’un parc naturel. À fortiori à la saison des bébés.
Les talus sont couverts de fleurs. Un régal pour la vue et pour l’odorat. De la verdure, de l’eau, la musique des oiseaux. Des arbres d’une incroyable beauté. Promenade de rêve.
J’avais bien précisé « presque jusqu’au bout. » Finalement, la piste agricole rejoint la véloroute, et là :
Comme on ne dispose d’aucune alternative (à part se faufiler entre les arbres), on passe outre l’interdiction. D’ailleurs, sur le panneau, c’est un cheval monté qui est dessiné. On pourra toujours jouer la mauvaise foi, au cas où… Bien sûr, un cheval monté, ça peut passer par les sentes forestières. Mais la roulotte ? En tout cas, sur les grandes routes interdites aux chevaux, c’est un cheval attelé qui est dessiné sur le panneau.
Ensuite, c’est l’approche de la capitale. On traverse une grosse zone industrielle et puante : les réserves de pétrole de l’Autriche ! Impressionnant, quand même…
Après cette traversée de citernes gigantesques, c’est le défilé des camions… Jusqu’à notre arrivée à la « wagenplatz » de Lobau (toute proche banlieue de Vienne), située dans une oasis de verdure.
Les personnes qui ont créé ce lieu ont décidé qu’il est possible de vivre « autrement ». Elles nous accueillent avec beaucoup de chaleur. Océane et Noé ont droit a un pré superbe, bien à l ’écart de la route. C’est l’essentiel.
Pour nous, le lieu est un peu bruyant : ronronnement perpétuel de a circulation, avions (l’aéroport n ’est pas très loin), voie ferrée à proximité. Bah ! On en a entendu d’autres. On fera avec.
19 Mai :
On visite Vienne. C’EST ICI
20 Mai
Ouf ! Un peu de calme. On en profite pour lier plus ample connaissance avec les habitants du lieu. Petit déjeuner bavard.
Lorsque nos nouveaux amis sont venus occuper cet endroit, voici quelques années, ils squattaient. Puis ils ont passé un accord avec le propriétaire. Ils louent désormais ce ravissant coin de verdure on ne peut plus légalement.
Ils ont même obtenu l’addiction d’eau et l’électricité. Et ils vivent avec leur temps, c’est à dire avec Internet !
MAIS…
Les logements sont pour la plupart d’anciennes roulottes de chantier.
Moyen de transport ? Essentiellement le vélo.
Deux salons autour du feu :
Une petite salle de théâtre pour les spectacles, qui sert aussi de salon quand il pleut.
Coin WC, douche, machine à laver, vaisselle :
Barbecue d’un genre un peu spécial…
Et même une serre !
Les motivations de tout ça ? Elles sont assez diverses.
Les discussions et les prises de décision collectives concernent essentiellement la répartition des tâches. Les relations humaines sont plutôt bonnes, dans l’ensemble. Cela se passe parfois moins bien dans d’autres lieux alternatifs, où les différences de visions entraînent des scissions.
Plutôt la recherche d’une vie « autrement », peu coûteuse, tranquille, moins stressante, ayant le moins d’impact néfaste possible.
Le labeur quotidien ? Préparation de spectacle de cirque.
Un punk, sculpteur sur bois, qui navigue d’un lieu alternatif à l’autre : « Je n’aime pas qu’on me suive à la trace. Je préfère vivre hors système. »
Les autres :
« Ici, on vit dans la nature, tout en étant proche de la ville. C’est pratique, il y a le bus. Un magasin à proximité »
« C’est comme un village. Chacun son chez-soi, mais en même temps on vit ensemble. »
« J’aime sentir le changement des saisons. Ici, on vit pratiquement dehors. L’hiver, si t’as froid, faut chauffer. Couper du bois. T’es plus proche de la réalité. Dans un appartement en ville, t’as pas à t’occuper du chauffage. J’aime sentir quand il pleut, quand il y a de la boue. Et puis le soleil. La beauté du printemps. »
Et la petite Kaplumbağa au milieu de tout ça…
Si tu as envie d’avoir l’avis d’Oswald-le-Philosophe à ce sujet, tu peux lire son petit bijou d’article ICI
21 Mai :
On est allés reconnaître la véloroute… en vélo ! (Gentiment prêtés par une habitante de la wagenplatz, les vélos.) Faut voir si on peut s’y risquer en roulotte, pour la traversée de Vienne. On a de partout des renseignements un peu contradictoires. Des « je sais pas », des « ça passe », des « ça passe pas. » Donc, la meilleure chose à faire, c’est d’aller observer le terrain de nos propres yeux.
On a roulé jusqu’à l’autre bout de Vienne sur la véloroute qui longe le Danube, rive Nord. Ça passe partout. La seule inquiétude : deux barrières ouvertes qui pourraient se refermer d’ici à demain matin. On verra bien…
En attendant, on est claqués !
Je n’étais pas remontée sur un vélo depuis ma fracture de vertèbre. Une petite trentaine de kilomètres, pour une reprise : dur ! dur !
22 Mai : Lobau – Korneuburg 20 km
Départ à 7h30 : on suppose que le dimanche matin, les cyclistes font la grasse matinée.
Mais sur les bords du Danube, avec ce beau soleil, l’ambiance est déjà à la fête : on prépare les barbecues.
Toutes les poubelles des barbecues d’hier, soigneusement fermées, ont été vandalisées cette nuit. Certainement pas par des sangliers… Y’en a qui s’amusent bien !
Ça doit être pour éviter que les éboueurs ne se retrouvent au chômage. C’est leur petit camion que tu vois là. Il sont en train de tout remettre dans de grands sacs verts.
Premier pont, Kaplumbağa passe juste-juste.
Là, c’est le métro. Bien entendu, il passe juste au moment où on se trouve sous le pont ! Bruit d’enfer ! Tout vibre. Océane demeure impassible. Noé sursaute mais ne juge pas nécessaire de faire l’idiote.
On va traverser comme ça toute la capitale autrichienne : le fleuve à bâbord, l’autoroute à tribord.
Les gratte-ciel se dressent devant nous.
Le long du Danube, des jardins fort bien entretenus. Il y en a dans tous les styles.
On se fait doubler par une voiture marquée « polizei ». Pas de problème. Ils ont sans doute d’autres chats à fouetter. (les vandaliseurs de poubelles ???)
La Vienne contemporaine…
Sur l’autre rive aussi, ça chatouille le ciel.
Mur et pont réservés aux artistes du tag.
Celui-ci est tout neuf. Les taggers étaient à l’œuvre hier quand nous sommes passés en vélo, bombes de couleurs à la main.
Et bing ! Nous voici devant quatre gros poteaux de béton qui nous barrent le passage ! Heureusement, on peut passer à travers la prairie pour rejoindre la suite de la route…
On aurait pu éviter ça : en fait, souvent la véloroute se ramifie en plusieurs branches qui finissent par se rejoindre, et on n’avait simplement pas pris la bonne.
Et voilà, Wien, c’est fini. On a tout traversé tranquille et sans stress. Essaie donc de faire ça à Paris !!!
Arrivée à Korneuburg, accueil près d’une guinguette au bord de l’eau.
Installation…
On déjeune à la guinguette. Un cycliste nous dit qu’un peu plus loin, il y a un pont en bois à franchir, fermé par une barrière.
Un automobiliste propose à Oswald de l’emmener voir. (S’il y a une barrière, c’est justement parce qu’il y a un parking voitures non loin, et que les voitures n’ont pas le droit de franchir ce pont-là)
Oswald revient rassuré : la barrière s’ouvre aisément.
Au fil du fleuve, les célèbres croisières sur le Danube.
Et le soir, magie du coucher de soleil.
23 Mai : Korneuburg -Tulln 24 km
Voilà donc cette fameuse barrière.
Puis le petit pont de bois…
Le beau Danube bleu. Le paysage est un enchantement. On suit vraiment la rive, car la véloroute, ici, c’est l’ancien chemin de halage.
Mais là, on fait quoi ? Pas moyen de passer à côté : gros cailloux. Verrouillage électrique de la barrière, feu rouge à l’appui s’il vous plaît. Inviolable sauf vandalisme. Oswald essaie quand même de soulever, mais c’est beaucoup trop lourd.
Aucune autre solution que le demi-tour, sur environ deux kilomètres. Après quoi deux options possibles : passer sur la rive sud par le pont-barrage, ou faire un long crochet par la route en restant sur la rive Nord. On discute. De toute façon, il faudra aller à pied voir le pont-barrage pour vérifier si la roulotte peut passer.
On a parcouru à peu près un kilomètre en sens inverse, quand on croise une camionnette « entretien de la voie Danube »
Et tiens ! Le type nous dit qu’il va nous ouvrir la barrière.
Nouveau demi-tour !
Pour ne pas faire perdre trop de temps à ce brave homme, j’offre aux juments un rare plaisir : GALOP !
La véloroute est toute droite, pas une bicyclette en vue...
Elles se défoulent, les filles ! Comme si elles avaient compris qu’il faut suivre cette camionnette, elles allongent l’allure et ne la lâchent pas.
Barrière ouverte, feu vert, on passe (AU PAS !)
Merci ! Merci !
On gagne une journée, et surtout, on n’aura pas à se farcir la circulation (pour le cas où on aurait été obligé de choisir l’option route)
Maintenant, c’est au pas, hein, les filles.
En bas de la digue, des maisons construites sur pilotis. Chacun sa petite parcelle. Pour la plupart, ce sont des résidences secondaires, mais quelques unes sont des permanentes. Zone inondable dangereuse. Pas d’arrivée d’électricité (donc toutes les maisonnettes sont équipées en panneaux solaires) Pas d’adduction d’eau (on se débrouille) Les chalets sur pilotis sont pour la plupart de construction relativement récente, mais l’occupation de ces lieux en petites parcelles individuelles date de la guerre : c’était trop dangereux de demeurer en ville, donc ceux qui le pouvaient venaient se réfugier là. Ils y vivotaient avec leur jardin, quelques poules et quelques lapins. On y risquait beaucoup moins de finir sous une bombe.
(C’est une jeune femme croisée ici, à qui on demandait si elle connaîtrait un lieu de bivouac possible, qui nous a expliqué tout ça.)
Et le bivouac, ce sera un peu plus loin, en pleine cambrousse, sur la berge du Danube. Pas de village, pas de guinguette… mais des gens qui s’arrêtent quand même pour tailler une bavette !
24 Mai : Tulln – Zwentendorf 18 km
Pluie incessante. Bottes, impers et surpantalons étanches de rigueur.
D’abord, franchir le Danube par la route pour se retrouver rive Sud (rive Nord, il n’y a plus de véloroute)
On récupère ensuite la véloroute. Avec ce temps-là, les cyclistes se font rares, mais il y en a, bien embobelinés dans leurs ponchos orange flambant ou jaune flashy.
On doit passer sous un pont. On savait que ça risquait d’être juste. J’arrête les juments ; Oswald descend de la roulotte, regarde bien comme il faut. « Si tu passes tout à fait à droite, en mordant un peu le bas-côté, ça devrait le faire. »
J’engage la roulotte sous le pont. Ça rase, mais ça passe.
Aïe ! L’entrée passait… Mais pas la sortie ! C’est la que ça coince. Noé tire comme une perdue. Je me dis « tant pis pour la cheminée et les éraflures, maintenant qu’on y est. » Mais bernique ! Ça n’avance plus d’un millimètre.
Restons zen. Y’a pas mort d’homme.
On dételle les juments. Elles vont attendre sagement que le problème soit résolu.
On essaie de pousser la roulotte à reculons. Tu parles !
La cheminée est dans un bel état. Si c’est elle qui coince tout, peut-être qu’en finissant de la casser on aura une petite chance de déplacer Kaplumbağa.
Tu parles !
Des cyclistes passent, nous saluent, rigolent… Mais ne nous aident pas. À part aller chercher un tracteur, je ne vois pas trop de solution.
Nouveau groupe de vélocipédistes. Tiens, ça parle français ! Et y’a des gars costauds ! On s’y met à cinq. Ça ne bouge pas d’un pouce.
Mais l’un d’eux a une idée de génie : dégonfler les pneus. (Il paraît que c’est un vieux truc de camionneur) Tant qu’à faire, on dégonfle aussi les boudins pneumatiques amortisseurs.
Et ça fonctionne ! On pousse vers l’arrière, Kaplumbağa est tirée d’affaire !
Reste à lui faire faire un demi-tour.
Mille mercis, les cyclistes !!!
Regonfler. Ré-atteler. Repartir…
Nos aventures de la journée n’étaient pas finies.
Plus loin, encore une barrière impossible à ouvrir.
« Pas de problème, nous explique un monsieur du coin. Vous prenez cette allée forestière, vous tournez à droite, et ça rejoint la véloroute.
On prend l’allée forestière, on tourne à droite. Mais là, les pluies diluviennes qui ont tombé toute la nuit ont transformé la sente en ruisseau.
Noé ne refuse pas de passer dans l’eau si on l’y oblige. Mais si elle estime pouvoir l’éviter, elle passe à côté. Je le sais. J’aurais dû me méfier. Un moment de tête en l’air, et la Noé en profite pour flanquer un grand coup d’épaule à Océane. Elle pousse sa frangine sur le talus pour passer à côté de la « rivière ».
J’essaie de faire redescendre Noé, mais maintenant qu’elle se trouve là, elle a décidé qu’elle ne se mouillerait pas les pieds. Que fait-elle ? Elle s’assoit ! Carrément !
Oswald la tire par la bride. J’ai peur qu’elle ne fasse sans prévenir un écart imprévu et qu’elle ne bouscule mon pauvre Oswald.
Je lui suggère donc de prendre la longe. Ce sera plus prudent.
Oswald accroche la longe au mors, s’écarte et tire, pendant que je m’époumone à crier « droite ! droite ! » Ordre que nos louloutes connaissent fort bien.
Rien à faire. Blocage total.
C’est Oswald qui a l’idée du seau d’avoine.
Qu’est-ce que ça ne ferait pas faire, la gourmandise !
Voici notre Noé les quatre pieds dans l’eau. Elle va patauger sans aucunement broncher, pendant la centaine de mètres de chemin inondé.
Ben tu vois… C’était pas plus compliqué que ça...
Ouf ! Zwentendorf, enfin ! On va camper juste au pied de la centrale nucléaire la moins dangereuse du monde. La centrale nucléaire zéro pollution. Et cette fois, c’est pas un bobard des lobbies du nucléaire. C’est pour de vrai.
En effet, c’est l’unique centrale nucléaire autrichienne. Elle n’a jamais été mise en service. Elle est ouverte au public, en tant que musée, depuis 2010. La construction a débuté en 1972 et a été achevée en 1977. Mais beaucoup d’Autrichiens n’en voulaient pas. (C’était avant Tchernobyl, pourtant) La construction de la centrale est terminée. Elle a coûté l’équivalent de 380 millions d’euros. Un référendum est décidé. Le 5 novembre 1978, le peuple autrichien vote contre la mise en service de la centrale, qui est donc maintenue à l’arrêt. À la suite de ce référendum, le parlement autrichien vote une loi de non-utilisation de l’énergie nucléaire. À la suite de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, la classe politique autrichienne parvient à un consensus sur l’arrêt du nucléaire civil. Devenue inutiles, les pièces de la centrale de Zwentendorf sont vendues depuis 2005 pour réparer les centrales nucléaires allemandes !La loi de non-utilisation de l’énergie nucléaire a été renforcée en 1999 par la loi pour une Autriche sans nucléaire qui a été intégrée à la Constitution de l’Autriche. En 2005, le producteur d’électricité EVN a racheté le site. Elle l’a transformé en site de production d’énergie solaire.
Voilà pourquoi on ne risque rien à camper juste à côté !
Les juments ont de l’herbe jusqu’au ventre.
Et si on regarde dans l’autre sens…
Consolation après nos mésaventures : il y a sur le site une très chaleureuse auberge en bois. Ici, ce n’est pas comme en France : on peut manger à toute heure du jour. Avec tout ça, il est déjà 15h30 quand on peut enfin se permettre la pause repas. Délicieux, le repas.
Et l’aubergiste a même l’obligeance de nous prêter un escabeau pour pouvoir panser le gros bobo de Kaplumbağa. Comme on ne fait plus de feu, on enlève carrément la cheminée cassée. Et on met un gros pansement (un sac de croquettes toutou) sur le trou pour qu’il ne pleuve pas à l’intérieur de notre petit nid.
25 Mai
On part ? On part pas ? On part ? On part pas ?
Pas de pluie. Temps tout gris, maussade. Beaucoup de vent.
Flemme.
Oswald : « Je ne suis pas trop motivé »
Anne : « Les juments sont bien, là ! On peut rester. Sauf si tu veux absolument partir »
Oswald : « C’est toi qui décide »
Anne : « Et après, tu diras que c’est toujours moi qui commande ! »
Oswald : « C’est que je suis indécis... »
Anne : « Rien ne nous oblige à partir. Et puis… J’aimerais bien me remettre un peu des émotions d’hier. »
Oswald : « Alors on reste »
On reste ! Vue du hublot de Kaplumbağa : le Danube. Majestueux. On ne se lasse pas de le regarder. Une grosse grosse péniche remonte péniblement le courant. Elle avance moins vite que nos juments. Nous sommes surpris de ne pas voir plus de navigation que ça, sur ce grand fleuve. Quelques péniches.
5 ou 6 bateaux de croisière par jour, dont on se demande comment ils sont amortis financièrement : quelques touristes sur le pont, jamais plus d’une dizaine. Pour ces gros machins qui doivent coûter des fortunes à construire et à entretenir, sans parler du prix du fonctionnement, ça fait peu. Peut-être se remplissent-ils en Juillet-Août, et que ça suffit ?
On reste ! On va en profiter pour quelques bricolages d’entretien. Pour mettre nos écritures à jour. Pour lire un peu. Pour flâner le long de l’eau, dans une ambiance grise et feutrée, romantique à souhait.
26 Mai : Zwentendorf – Krems 16 km
Superbe étape le long du Danube, tout à fait tranquille et paisible.
On est quand même arrêtés par une barrière. Nous étions prévenus : « il y a un interphone, vous n’aurez qu’à appeler, et on vous ouvrira la barrière à distance. » Ah oui ? Il faut quand même au pauvre Oswald un quart d’heure de négociations pour parvenir à convaincre le type, à l’autre bout du fil, de nous ouvrir. « C’est interdit ». Il y a effectivement un beau panneau précisant que l’accès est interdit aux chevaux, mais c’est un cheval monté qui est dessiné dessus. Pas un cheval attelé… etc... etc...
Oswald explique qu’on vient de France, qu’on y retourne. Il explique et supplie, tant et si bien qu’au bout du compte, la barrière finit par s’ouvrir.
Autre passage un peu délicat, un chantier d’extraction de gravier.
On doit le traverser pour éviter un tunnel sous lequel Kaplumbağa risque de ne point passer. (merci, l’expérience d’avant-hier, ça suffit !)
Heureusement, aujourd’hui, c’est la Fête-Dieu, jour férié en Autriche. Donc le chantier est désert, hormis le gardien qui nous salue très gentiment.
Et m…. ! Altaï s’est mis dans la tête d’y laisser un petit souvenir.
Après quoi, tout est facile. Paysage magnifique.
Des hors-bords font la course au-dessus du barrage, et des vagues viennent frapper la berge avec force. Noé s’inquiète. Elle tremble un peu, pointe les oreilles. Quant à Altaï, il en fait un jeu, se précipite dessus et tente de happer l’écume.
Ah ! Voici le pont qui mène à Krems, sur l’autre rive du fleuve. Pour les cyclistes qui veulent traverser ici, la véloroute monte en colimaçon. Elle traverse le fleuve, toute peinte en bleu, suspendue sous le pont.
On s’arrête juste après le pont : de l’herbe pour les juments !
Depuis quelques kilomètres, on a beau écarquiller les yeux, on ne voit que des verges d’or qui envahissent tout ! Et les verges d’or, nos louloutes ne les mangent pas. Alors on ne va pas faire trop les difficiles, surtout qu’il y a un déport un tout petit peu plus loin pour garer la roulotte, et que l’eau dans le Danube est facilement accessible. (ce qui n’est pas toujours le cas.)
Mais… En plantant l’épingle sur la carte du site, on s’aperçoit qu’on a fait moins de kilomètres que ce que l’on imaginait : ce pont-ci est tout neuf, et pas marqué sur notre carte ! Celui près duquel nous croyions nous trouver se situe quelques kilomètres plus loin. Bah ! C’est pas bien grave. Seize kilomètres c’est quand même une bonne petite étape.
Vue du hublot tribord : le Danube.
Vue du hublot bâbord : la forêt.
Trois cyclistes s’arrêtent : un couple de retraités et un très beau petit garçon aux grands yeux noirs, fasciné par les juments et la roulotte. Des grands parents qui sortent leur petit-fils de ses jeux vidéo ? Pas du tout. Le petit garçon est Syrien. Le couple de retraités accueille une famille de réfugiés. Ils se promènent en vélo avec l’un des enfants… Ils sont extrêmement chaleureux et sympathiques et laissent au gosse tout le temps qu’il veut pour câliner Océane et Noé (ravies).
Puisqu’on parle de Syriens, voici un très émouvant portrait de réfugiés Syriens, exécuté par un artiste Syrien. (Ça n’a rien à voir avec notre voyage, c’est juste que ça nous a touchés.)
27 Mai : Krems – Mautern 15 km
Rencontre sur le bord du Danube. Rob, un jeune Flamand, est parti depuis trois semaines de son pays natal. (Eh oui, ça va plus vite en vélo qu’en roulotte !) Il a planté sa tente au bord de l’eau. Il espère aller jusqu’en Chine. Mythique route de la soie… Il roule, sans plan bien précis, sans savoir jusqu’où ni jusqu’à quand.
Échange bref, mais intense !
Mautern : arrêt d’urgence !!! les freins avant ne répondent plus. Dès qu’on trouve un emplacement, stop.
Cette fois, entre le Danube et Kaplumbağa, il y a une route très circulante ! Donc, du bruit…
La voisine de ce beau terrain enherbé nous assure qu’il n’y a pas de problème pour rester là. Elle passe même son tuyau d’arrosage à travers le grillage de sa clôture pour nous éviter la corvée d’eau.
Un peu plus tard, un énorme monsieur qui balade son minuscule yorkshire vient nous dire qu’on ne peut pas occuper la place comme ça : c’est un terrain public où les gens promènent leurs chiens. D’après lui, on devrait faire traverser la route aux juments pour les parquer sur le bord du fleuve. Pfffttt ! Mauvais coucheur ! Il y a largement la place à côté pour promener les chiens. Oswald lui montre la pièce de frein démonté, et lui explique pourquoi on s’est arrêté là.
Ouais, bon, on pourrait aussi changer les juments de place. On ne le fait pas. On verra bien.
Diagnostic : il semble que les freins fonctionnent, mais la pédale va trop loin. Oswald la règle en la rallongeant un peu. Ça devrait aller…
28 Mai : Mautern – Aggstein 20 km
Et non, ça ne va pas… Le réglage n’a pas tenu. Les freins arrière fonctionnent, mais sont beaucoup moins efficaces que les freins avant. Heureusement, il n’y a pas de raide descente sur notre route du jour. Il va falloir qu’on trouve un mécano. Pas avant Melk, nous dit-on. Et demain, c’est dimanche…
Le Danube, ici, coule bien encaissé entre deux montagnes.
La véloroute est devenue une sorte de trottoir assez étroit qui longe la route. Ce ne serait pas très gentil pour les cyclistes si on l’empruntait, en prenant toute la place. Donc on roule sur la route. Heureusement, la circulation reste très raisonnable. Mais nos juments, elles, ne le sont pas, raisonnables. Noé, en tout cas. C’est elle qui entraîne Océane dans sa folie de « toujours plus vite. » J’en ai plein les bras. Perçoit-elle, la Noé, que je n’ai pas l’esprit tranquille avec cette histoire de freins ? Ou bien sent-elle, justement, que ça ne freine pas comme d’habitude ? Ou a-t-elle décidé de faire la course avec les motos ? Il y en a plein qui nous doublent à des vitesses folles, des motos. Et Noé n’apprécie pas trop.
Vignes et abricotiers. Abricotiers et vignes. Ça veut dire : pesticides à outrance. Ça pue. Ça nous prend à la gorge. Ce n’est vraiment pas agréable… (Les cultivateurs Autrichiens ne travaillent pas tous en bio, faut pas croire. Même s’il y a nettement plus de bio qu’en France)
Ce qui ne fait pas notre affaire, c’est qu’on n’a aucune prairie en vue.
Ouf ! Enfin, quand même. Un gasthaus, avec de la verdure en face. Tout là-haut, là-haut, un château fort. Tu l’aperçois ?
On purge les freins avant. Apparemment, il y avait de l’air dans le circuit. On dirait que maintenant, ça freine.
29 Mai : Aggstein – Pöchlarn 23,5 km
Très joli départ sur la véloroute. Paysage bucolique, les cyclistes sont encore au lit. Le rêve.
On croise une hollandaise, aussi « vieille croûte » que nous (et même plus proche du Oswald que de la Anne, à en juger les apparences), vélocipédiste solitaire avec sa petite tente sur le porte-bagage. Elle est partie des Pays-Bas, s’en va jusqu’à Budapest, puis retour. Elle pense mettre 8 à 10 semaines en tout. Et elle avale ses 100 km par jour !
Un peu plus loin… Diantre ! Encore une !
Pas ouvrable et incontournable. Demi-tour. On rejoindra la route par un petit chemin agricole. Et on la gardera. Il n’y a pas une circulation intense, ça ira.
On arrive à Melk. Arrêt devant l’abbaye.
Pour les fans d’Umberto Eco, c’est l’abbaye d’où venait Adso, le jeune narrateur du « nom de la rose » (plus exactement, le vieux narrateur qui conte sa jeunesse, depuis cette abbaye de Melk, justement.)
On voudrait rejoindre la voie cyclable ici, mais on se goure. Tant pis, on va aller par la route jusqu’à Pöchlarn.
Jusque là, ça freinait bien. La purge semblait avoir été agissante. Mais voilà que ça ne freine plus, encore une fois ! Tant que ça monte, ça va. Mais là, c’est qu’faut redescendre. Freins arrière pas trop efficaces, frein à main à retendre, freins avant presque inutiles… les trois freins bloqués à fond, la roulotte s’en va quand même dans les fesses des juments. Elles sont quand même incroyables, ces deux-là ! Elles ne s’affolent pas, ralentissent leur pas autant que possible, retiennent le tout avec le reculement, les traits en guirlande. Bravo ! Super !
C’est pas une raison pour continuer comme ça.
À Pöchlarn, on déniche un mécano. Bien sûr, comme c’est dimanche, il faudra attendre demain matin pour lui demander s’il peut faire quelque chose pour nous.
Juste à côté du garage, un pré, un parking, et une station service ouverte (pour l’eau.)
Inconvénient (pour moi, pas des moindres), c’est au ras du rond-point qui fait échangeur avec l’autoroute Wien - Linz. Ça veut dire bruit infernal, continuel, très difficile à supporter.
Bien entendu, à s’arrêter dans un lieu pareil, on a de la visite :
Polizei ! Passeports, s’il vous plaît… Avec un joli sourire, quelques explications et des bonbons, tout finit toujours par s’arranger. On a dû rompre un peu la monotonie de leur service dominical.
30 Mai : Pöchlarn – Sarling 10,5 km
Ce matin, dès l’ouverture du grand garage Ford, Kaplumbağa sur le pont !
Le tuyau de circuit du liquide freins est percé. Le lookheed coule goutte à goutte. Il faut changer le tuyau. On a à faire à des vrais pros, qui travaillent comme des chirurgiens. Tu connais la blague ?
« L’enfer, c’est un cuisinier Anglais, un policier Allemand et un mécanicien Français. Le paradis, c’est un cuisinier Français, un policier Anglais et un mécanicien Allemand. »
Bon, c’est vrai, on est en Autriche, pas en Allemagne…
On en profite pour demander au mécano de réparer la valve de l’un de nos boudins amortisseurs pneumatiques, qui perd de l’air et qu’on est obligé de regonfler tous les trois ou quatre jours. Je te rassure : pas avec la bouche, ni avec la pompe à vélo. On est équipé d’un gonfleur électrique qui fonctionne au solaire.
On part assez tard, du coup. Ça freine.
On roule seulement une heure. On trouve un emplacement assez tranquille au bord du Danube. Arrêt. On est tous les deux très fatigués. Mal dormi. Le bruit de la circulation n’a pas arrêté de la nuit. De ce point de vue, ça aura été l’une de nos pires étapes. Mais enfin, la roulotte est réparée.
31 Mai : Sarling – Dornach 30 km
Après un petit bout de voie cyclable, on reprend la route pour traverser Ybbs. J’aime pas beaucoup ça mais… Il faut bien qu’on se réapprovisionne de temps en temps. En plus, on n’a plus d’argent liquide. On doit donc dénicher quelque part un distributeur de billets… Ça fait toujours un peu sensation quand on se gare sur le parking d’un super marché. Pendant qu’Oswald se charge de la corvée courses, je reste avec les juments et je papote avec les curieux.
Si tu es un ennemi intime des super-hyper-méga-marchés, pas la peine de nous engueuler. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on trouve. On achète le pain à la boulangerie. En Hongrie et Roumanie, pas de problème : des petits commerces dans tous les villages. À Alunişu, on s’est nourris presque exclusivement sur place. Mais en Autriche… Tu crois que c’est facile ? On s’arrête là où on trouve. Faut bien qu’on se nourrisse ! La petite épicerie, encore faut-il passer devant. Et la voir. Et trouver une place où on peut stationner les juments sans gêner la circulation, ce qui est loin d’être toujours évident. En ce moment, on longe le Danube par la véloroute. Tu crois qu’elle est semée tout du long de petits commerces ?
On récupère la véloroute après la sortie de la ville. Une de nos plus belles étapes. Le Danube coule entre deux montagnes. Un peu castré par des barrages qui le coupent de loin en loin : production d’électricité et régulation des crues.
Forêts de conifères et de feuillus, énormes rochers moussus, fougères, cascatelles. À chaque tournant, on s’attendrait presque à voir paraître un elfe, un lutin, une fée. De loin en loin quelques maisons avec chacune un bateau calé dans la cour. Quelques rares cyclistes. (On sera témoin de la chute spectaculaire d’une jeune femme. Heureusement, plus de peur que de mal.) Cette toute petite route n’est pas interdite aux voitures, limitées à 30 km/h, mais on n’en croisera que cinq sur une vingtaine de kilomètres.
On avait décidé de faire étape à Grein, où se trouve un pont qui traverse le fleuve, afin de décider tranquillement, carte en main, si on continuerait par la rive Sud, ou si l’on se déciderait pour la rive Nord. Deux-trois kilomètres avant le pont, on commence donc à reluquer les emplacements possibles. Un jeune homme gare sa voiture devant nous, en descend, et nous arrête avec de grands signes des bras. Il s’appelle Michel. Il est maréchal ferrant. Il nous invite à stationner chez lui. Mais… ! C’est sur la rive Nord, après le pont, à une dizaine de kilomètres. Et il est déjà midi. Moi qui me délectais déjà à l’idée du repos imminent… J’hésite à accepter l’invitation. Par-dessus le marché, ça nous fait passer sur la rive Nord sans réflexion préalable. Oswald insiste un peu. On aura une douche, une vérification des pieds des juments, et peut-être une journée de repos. Mouais… Allons-y.
Jarnicoton ! C’est que pour se rendre chez notre futur hôte, il faut reprendre la route, avec tout plein de camions. Dur-dur après la tranquillité bien pépère de notre chemin matinal. Enfin, on y est, on y est. Pour couronner le tout, ce Michel habite une ferme isolée dans la montagne. Donc, il faut se farcir une côte assez ardue pour arriver chez lui. Au bout de trente bornes : dur-dur pour les juments !
Nous y sommes. Récompense : l’endroit est très vert, très calme.
Océane et Noé se vautrent dans l’herbe. La compagne de Michel, monitrice d’équitation de son état, (elle travaille dans un centre équestre à une quinzaine de kilomètres d’ici) apporte de l’eau aux louloutes avec son petit tracteur.
Enfin ! Repos !
Quelques remarques :
Le village de Pama, notre première étape Autrichienne, possède un double nom :
Pama, son nom autrichien
et Bijelo Selo (village blanc) qui son nom Croate.
Un habitant du coin nous explique que ça date du siège de Vienne par les Ottomans. Des mercenaires Croates se seraient battus du côté des Viennois et auraient reçu des terres ici comme récompense.
En 1984, le gouvernement avait décidé d’abattre la forêt qui longe le Danube pour en bétonner les berges. Les amoureux du lieu ont occupé le terrain, dans la neige et le froid. Ils avaient planté leurs tentes le long des berges, partout où ils pouvaient. Les écologistes ? Pas seulement. Il y avait là aussi des Monsieur et Madame Tout-Le-Monde, des artistes, des politiciens, des célébrités très « people », des idéalistes, bref, simplement des personnes qui aimaient ce lieu enchanteur.
Des flics ont été envoyés pour les déloger. Sans succès.
Les ouvriers qui devaient s’occuper du chantier ont décidé à leur tour de chasser de là ces emmerdeurs d’écolos, puisque les flics n’y parvenaient pas. Il y a eu de la bagarre, de nombreux blessés, mais les défenseurs des arbres ont tenu bon. 2000 flics ont de nouveau été dépêchés sur place, tandis que 40 000 manifestants, à Vienne, protestaient eux aussi contre le projet de déboisement.
Ça ne s’est pas fort bien passé, mais les résistants ont tenu le coup.
Le 21 Décembre, le gouvernement a retiré les forces de l’ordre : trêve de Noël.
Et début Janvier, la nouvelle tombe : les défenseurs de la nature ont gagné leur bataille. On renonce au projet. C’est ainsi qu’est né le Parc National des Rives de Danube, d’une beauté sauvage époustouflante. Des milliers d’oiseaux, reptiles, batraciens, mammifères (dont des castors). Une végétation luxuriante, des arbres splendides. Tu vois que ça paye, des fois, de se serrer les coudes et de tenir bon !
Alors, tenez, tenez bon, ne lâchez pas le morceau, ô, vous, ceux de nos lecteurs qui vous bagarrez pour la bonne cause, à Notre Dame des Landes, et ailleurs. (Pour une fois, on peut bien laisser filtrer un peu nos idées personnelles, non ? C’est bien joli d’essayer de tout regarder avec le plus d’impartialité possible, mais on a quand même nos opinions !)
Dans la forêt, on a même érigé un monument à ses vaillants défenseurs ! « La raison a eu raison de la déraison. »
La rive d’en face n’a pas eu la même chance : le bétonnage et en cours. De monstrueux engins sont en train de dévorer la montagne. (Tant qu’on aura besoin de routes on creusera des gravières et on rasera des montagnes… T’as beau râler ou pleurer, tu conduis quand même ta voiture !)
Avant que les rives du Danube n’aient eu droit au statut de Parc Naturel, on avait planté ici des peupliers hybrides, à croissance très rapide, pour le rapport (pâte à papier). Ces peupliers sont petit à petits abattus, et l’on replante en leur lieu et place des arbres d’essence variés, originaires du lieu, avec l’idée à long terme de « laisser la nature se débrouiller seule ». On lui donne le petit coup de pouce de démarrage. Quand l’humain fait des bêtises, il tente (parfois) de les réparer...
Le premier mot d’allemand que j’ai appris toute seule comme une grande, en regardant les panneaux explicatifs du Parc Naturel (d’habitude, j’apprends avec Oswald), c’est « cistude » (sumpfschildkröte). Vachement utile dans la vie quotidienne, comme mot. Mais ce qui est rigolo, c’est que si tu traduis mot à mot (ça c’est le Oswald qui m’a expliqué) ça donne « crapaud à bouclier des marais ». Pratique l’allemand (même système que le hongrois, d’ailleurs) t’apprends plein de mots en en retenant un seul. Maintenant, non seulement je sais dire « cistude », mais je sais aussi dire « marais » (sumpf), « bouclier » (schild), « crapaud » (kröte) et « tortue » (schildkröte).
Tout ça, ça m’avance pas beaucoup pour demander si on peut laisser les juments brouter là. Mais comme de toute façon c’est Oswald qui s’en charge...
Événement en Autriche pendant notre passage : les élections présidentielles. Ça fait jaser dans les chaumières. Suspense intense. 50-50. Il faut attendre le dépouillement des votes par correspondance qui vont faire pencher la balance. Du coup, nous aussi, on retient notre haleine. Au petit matin, vite, la radio !
Fin du suspense. L’écologiste l’a emporté de justesse sur l’extrême droite.
T’imagines, en France, un deuxième tour Marine le Pen contre Éva Joly ou José Bové ou encore Nicolas Hulot ?
Anne, le 31 Mai 2015