Printemps ou pas printemps ? Le temps hésite. Redoux prometteur. Neige.
Gelées matinales, re-redoux. La température fleurette avec les +10°. Des feuilles de bulbeuses pointent hors de la terre brune. Chouette ! Le printemps arrive. Nouvelles de France : « les jonquilles sont en fleur. » Nouvelles d’Allemagne : « les cigognes sont arrivées ».
On en profite pour nettoyer la montagne. Bon, « nettoyer la montagne », c’est un grand mot. Disons débarrasser du mieux possible les ordures qui traînent entre la roulotte et le pré des juments. Soit environ 500 mètres. Ça fait déjà du boulot !
Et paf ! La nuit suivante, le thermomètre chute à -4°. Hormis quelques perce-neige, aucune fleur n’a encore osé ouvrir sa corolle. Les deux nids de cigogne restent vident.
Bourrasques destructrices. Les tuiles tombent des toits, les arbres un peu fragiles se cassent la figure. Kaplumbağa tient bon.
Encore de la neige.
Au petit matin, Lars vient nous prévenir qu’Ilea lui a téléphoné : nos deux affreuses juments sont en train de dévorer l’une de ses belles meules de foin.
Et merde !!! Les sacro-saintes meules de foin, objets de tant de sueur et de tant de soins. Fauchage à la faux. Endainage au râteau. Montage de la meule avec ces belles fourches en bois. Et puis tout à la fin, engrangeage avec le cheval et la charrette avant la distribution aux moutons, à la vache et au cheval ...
La clôture électrique est arrachée. Un certain nombre d’isolateurs cassés. Le ruban rompu... Deux heures pour réparer les dégâts... Traces dans la neige, juste à côté de la clôture.
Loup ou chien errant ? Nous ne sommes pas suffisamment experts pour décider. Quand même. Océane et Noé n’ont pas peur des chiens, habituellement. Et les traces s’enfoncent dans les fourrés. En général, les chiens évitent plutôt les endroits trop broussailleux. Mais bon, un chien errant, ça peut reprendre des habitudes sauvages.
Oswald, accompagné de Lars, se rend chez Ilea pour demander pardon et proposer un dédommagement. Ilea refuse d’accepter de l’argent (Plus tard,Oswald ira en ville acheter quelques canettes de bonne bière pour Ilea, et des paquets de petits gâteaux et autres gourmandises pour sa femme et les deux fillettes.)
Ilea est formel : « c’est un loup ! » Il a l’air très sûr de lui.
En attendant, après le départ de « la bête », nos deux louloutes ont quand même sacrément tapé dans la jolie meule !
Tiens, d’ailleurs, il n’y a pas que des loups, par ici. Tu le vois, celui-là ? Grand jeu pour Altaï, quand il se promène dans le verger : faire grimper les écureuils dans les arbres.
Nouveau projet de construction d’une maison en bois dans le village. Mais la première chose à faire, c’est de monter la « cabane au fond du jardin ». Elle pourra sûrement être utile le temps des travaux.
Mais dis donc, Février, c’est carnaval ! Nous sommes invités, mais... déguisement obligatoire. Ça se passe à la nuit tombée, dans l’ancienne école qui sert maintenant de salle des fêtes. (Plus assez d’enfants. L’école, maintenant, c’est à Sâncraiu, chef-lieu de la commune, qui comprend cinq villages)
À l’entrée, une effigie de Bonhomme Hiver. Tiens ? Il y en a deux ?
Non ! Un seul ! L’autre, c’est seulement un humain déguisé.
Dans la salle, les enfants s’éclatent.
Derniers préparatifs : fixer les ailes au dos de la petite abeille !
Ouais, on a monté toute une saynète.
Lars est apiculteur. Il protège les fleurs (Robyn et moi) et la petite abeille (Carsten)
Mais attention ! Voilà le vilain-méchant agriculteur (Oswald, qui adore jouer le rôle de l’affreux) avec son pulvérisateur à poison !
Qui prétend bien entendu que c’est justement pour protéger les fleurs, qu’il agit !
À chacun son tour de passer sur la scène. Les enfants récitent des petits poèmes.
En Hongrois. Ce carnaval-là est celui des Hongrois. Les Hongrois et les Roumains organisent toutes leurs fêtes séparément. Normal : la plupart des fêtes sont d’origine religieuse. Les uns sont calvinistes, les autres orthodoxes. Pâques, par exemple, ne tombe pas à la même date pour les uns et pour les autres : les calvinistes sont branchés sur le calendrier grégorien, tandis que les orthodoxes se fixent sur le calendrier julien. (Attention : seulement pour le calendrier ecclésiastique. Dans la vie de tous les jours, tout le monde s’est mis au grégorien. Sinon, ça risquerait d’être un peu compliqué !)
Lars et Robyn, parmi tous leurs projets, ont celui d’inventer une fête chez eux, peut-être dans l’été, qui réunirait Roumains et Hongrois. Quelle belle idée ! On souhaite de tout cœur que la « mayonnaise » prenne. Ce serait vraiment chouette.
Bonhomme Hiver fait une entrée triomphale. Mais dis-donc, le Oswald ! C’est bon, la pálinka ?
Tout ça animé par un vrai musicien au clavier.
On sort pour mettre le feu au Bonhomme Hiver.
Les enfants lancent des boules de neige dans le feu. Elle fondent aussitôt. Joli symbole. Va-t-en, hiver ! Reviens, printemps !
Après quoi, on rentre pour manger tous ensemble.
Chacun a apporté son repas. Oswald a confectionné une grosse salade de pommes de terre et cornichons à la mayonnaise.
Quelle aventure ! Nous devons impérativement faire refaire les tests de Coggins au juments (dépistage de l’anémie infectieuse). Le vétérinaire privé ne veut pas faire les prélèvements, qui sont du ressort du vétérinaire d’état. Le vétérinaire d’état ne veut pas faire les prélèvement si nous n’avons pas d’adresse. Évidemment : il faut bien une adresse où envoyer les résultats. Pas de problème, on donne celle de Lars et Robyn. Non ! Ça ne va pas ! Il faut une adresse officielle. Robyn et Oswald vont à la mairie à Sâncraiu : on peut demander un certificat de résidence temporaire. Là, scandale ! Nous sommes en Roumanie depuis plus de trois mois, sans l’avoir déclaré aux autorités ! Il faut aller se faire inscrire au service de l’immigration, à Cluj ! Ça va pas la tête ? On veut pas rester ici, nous. Pas de papier, pas de test ! Merde ! Impossible de sortir de Roumanie sans ces tests... Même si on avait la chance de passer la frontière sans contrôle, on peut à tout moment se faire arrêter, et qu’on nous les demande (ça nous est arrivé en Italie) Si on ne les a pas, c’est le bazar. Bref, on appelle au secours Léna, qui est venue en Roumanie avec sa roulotte et ses juments. Le véto avait accepté de faire les prélèvements en échange d’une bouteille de Whisky. On appelle au secours Marti et Irène, qui sont en Roumanie aussi, avec leur roulotte et leurs deux chevaux. (Pauvre Marti ! Arrêt forcé, il s’est cassé une jambe.) Marti connaît un véto de douane qui pourrait peut-être nous aider. J’envoie aussi un courriel au consul honoraire de France, à Cluj. Il me répond qu’il connaît très bien le doyen de l’école vétérinaire et qu’il va l’activer pour tenter de résoudre le problème. Tout le monde se remue et se décarcasse pour nous ! Pour rien, finalement : le lendemain matin, le véto d’état et le technicien reviennent, tête basse. Ils se sont renseignés, il peuvent faire les prélèvements et faire envoyer le résultat chez Lars et Robyn. OUF !
C’est 80 lei. Oswald leur en donne 100 et leur dit qu’ils peuvent garder la monnaie. Rien à faire ! Ils nous rendent les 20 lei. Le véto lève les yeux au ciel et nous dit : « Dieu nous regarde ! »
Ce n’est pas ces deux-là qu’on aurait pu corrompre !
Ça fond : maintenant, c’est gadoue. Le thermomètre remonte : +12°. Les gros nuages empêchent le froid d’envahir la nuit. Revers de la médaille, il pleut ! Journées cocon dans la roulotte. On dévore les livres qui parlent de permaculture (on a réussi à en installer quelques uns sur la liseuse électronique). On fouine sur les sites consacrés à ce sujet pour se gaver les yeux d’images qui nous font rêver. Ça faisait déjà quelques années que nous nous intéressions plus ou moins à la question, mais Lars et Robyn ont réussi à nous fourrer ça bien dans le crâne. De la matière pour imaginer un peu notre après-retour.
Lars s’étant absenté quelques jours pour aller donner une conférence en Hollande, Robyn étant très occupée avec Carsten, malade, nous allons matin et soir prendre soin de leurs animaux. J’éprouve grand plaisir à renouer avec mon ancien métier de chevrière.
Ah ! Le bonheur de traire une chèvre ! Le quai de traite est prévu pour une seule chèvre, et le cornadis rustique me plaît beaucoup.
Carsten voulait passer un après-midi avec nous dans la roulotte. C’est chose faite.
Là, on est en train de regarder des photos de maisons en terre, en bois, ou perchées dans les arbres. Des yourtes aussi. Et puis bien entendu des roulottes et autres maisons mobiles. Tiens, je t’en montre une qui nous a fait beaucoup rire. À l’âge qu’elle semble avoir, je suppose qu’il n’y a plus de droits d’auteurs...
Szilárd vient de tuer un cochon. Il nous fait cadeau de boudin noir (une pure merveille !) et de...
Non, c’est pas du boudin.
Non, c’est pas de la saucisse.
Non, c’est pas de l’andouillette.
C’est du pâté de foie. En France, on le met dans des terrines ou des bocaux, en Roumanie, on le met dans des boyaux.
Avec la douceur dans l’air, ça commence à bouger dans le village. On sort de nouveau les vaches, qui ont été confinées tout l’hiver à l’étable.
On apporte le fumier dans les champs, avec la charrette et le cheval. On le dépose en petits tas avant de l’étaler.
Le blé commence à pointer le bout de son nez
La croix que nous avons vue ériger est maintenant pourvue d’un joli petit enclos.
Quelques remarques
6 000 vétérinaires travaillent en Roumanie, dont 2 000 pour les pouvoirs publics (un par commune)
En particulier, tout étudiant vétérinaire recevant une bourse est contraint de travailler dans les services de l’État durant 15 ans.
Pour les enseignants qui nous suivent et d’ailleurs pour tous ceux qui s’intéressent à la question, voici comment fonctionne l’enseignement en Roumanie.
Période pré-scolaire, pour les 3 - 6 ans, dans les "jardins d’enfants".
Enseignement fondamental, période de scolarité obligatoire, de 6 à 15 ans. Cela comprend les classes I à IV, pour les 6 - 9 ans. Les classes V à VIII dites "gymnaziu" pour les 10 - 13 ans. Ensuite, c’est soit le premier cycle de deux ans au lycée, soit l’enseignement secondaire technique dispensé dans les écoles d’arts et métiers, classes IX et X, pour les 14 - 15 ans.
Pour ceux qui ont suivi les classes IX et X au lycée on peut continuer un « secondaire supérieur » sur un cycle de deux ans : les classes XI et XII, pour les 16 - 17 ans.
Pour ceux qui les ont suivi en enseignement technique, une poursuite d’études est également possible : après une année d’études complémentaires en classe XI, ils rentrent en lycée technologique en classes XII et XIII.
Cet enseignement secondaire supérieur se termine par le baccalauréat, qui permet de réaliser ensuite des études supérieures.
Là, c’est l’université. Les études y sont structurées suivant le modèle des accords de Bologne : un cycle de trois ans pour obtenir une licence, deux ans pour le master, et encore trois ans pour le doctorat. En dehors des universités, il existe aussi des écoles post-secondaires dans divers domaines (sanitaire, secrétariat, etc...).
À noter : La langue officielle d’instruction est le roumain, mais à tous les niveaux, l’enseignement est également dispensé dans la langue des minorités linguistiques, c’est à dire : le hongrois, l’allemand, le serbe, l’ukrainien, le tchèque, le croate, le turc, le romani. À Sâncraiu, l’école que fréquentent les enfants d’Alunişu, l’enseignement se fait en hongrois, mais bien entendu on y apprend aussi le roumain. Les enfants qui fréquentent cette école sont donc tous bilingues.
Ben mince ! Pourquoué don qu’on nous dounne point les l’çons en berriaud dans nout’Berry ?
Anne, le 16 février 2016