Janvier.
L’hiver est installé. On prend nos petites habitudes.
On a droit aux grands froids, avec des températures qui descendent à -18° la nuit, et remontent péniblement à -10° en milieu de journée.
Dans la roulotte, notre petit poêle à bois fonctionne très bien. Mais on ne le charge pas avant de s’endormir. Notre détecteur de monoxyde de carbone fait des caprices, on n’a plus confiance en lui. On préfère se réveiller dans le froid que de ne pas se réveiller du tout ! Quand même, on place deux belles briques sur le poêle avant de se fourrer au pieu.
Elles se chargent de chaleur, et la restituent tout doucement après que le feu se soit éteint. On n’a pas de thermomètre à l’intérieur, on ne peut pas dire jusqu’où descend la température. Ce que l’on constate, c’est que le matin, l’eau et le lait sont devenus des blocs de glace. Y compris dans la petite bouteille placée à côté du lit pour une éventuelle soif nocturne. Sous la couette et la houppelande, blottis l’un contre l’autre, on n’a pas froid du tout. Seul problème : qui se lève le premier pour allumer le feu ? Ben mon vieux, chacun son tour !!! Au bout de 20 minutes, il fait trop chaud. Au point qu’on ouvre la porte. C’est le degré d’ouverture qui règle la température.
En tout cas, on a le plus souvent un beau soleil et pas de vent. Ce qui rend la froidure très supportable
Le sol gelé, les juments ne risquent pas de le défoncer. On les garde donc près de nous.
Noé : « T’aurais pas une carotte ? »
Océane : « Et moi, et moi ! »
La nuit, renfermées dans l’écurie. Le jour, on leur laisse la porte ouverte : elles peuvent rentrer ou sortir, à leur choix. Foin à volonté. On puise l’eau plusieurs fois par jour, au fur et à mesure qu’elles ont soif. Si on remplit l’abreuvoir, ça gèle trop vite !
Chaque matin, il faut sortir le fumier de l’écurie, et l’entasser soigneusement. Plus tard, ça fera un bon compost pour le jardin de Lars et de Robyn.
Le petit chat profite de notre système de régulation de la température pour se faufiler dans la roulotte et squatter le lit.
Altaï, hormis ses deux longues promenades quotidiennes, plus les deux courtes du matin tôt et du soir tard, passe ses journées à dormir dans son lit de foin.
Bien sûr, on n’oublie pas les petits oiseaux : ils ont droit à leur ration de graisse. Mésanges bleues, charbonnières et à tête noire, sittelles, pinsons...
Même un pic épeiche en profite. Et quand il se sert, le coquin, plus personne n’a le droit de s’approcher ! Les petits doivent attendre que Monsieur ait le ventre plein avant de se servir.
Du 10 au 15 Janvier, redoux, dégel, les températures remontent un peu au-dessus de zéro. C’est pendant ce redoux que je parviens à capturer un chevreuil avec l’appareil photo. Pas terrible, la photo, mais enfin, je l’ai eu quand même ! Alors je suis assez contente de moi pour vous la faire partager.
11 Janvier
Parenthèse dans notre train-train journalier : nous allons passer la journée à Cluj-Napoca avec Lars et Robyn. Dans le brouillard. Cluj est la deuxième plus grande ville de Roumanie. T’inquiète pas, t’auras droit à un article tout exprès.
Après le 15 Janvier, grosses chutes de neige. Puis de nouveau les grands froids. Du coup, la neige reste là pendant des jours et des jours.
On en profite pour essayer de déchiffrer les histoires que racontent les empreintes des animaux sauvages.
Renards, sangliers, martres, lièvres, écureuils, blaireaux, mulots, chevreuils, pies, faisans, passereaux...
Et pour photographier nos ombres.
Altaï ne passe pas tout son temps à rien faire : il nous aide à rentrer le bois.
Comment faire, quand on est un petit chat qui a grimpé trop haut dans un arbre ? Facile : d’abord sauter sur le dos de Noé,
et ensuite faire du toboggan sur sa croupe.
Chez Lars et Robyn, les premiers chevreaux sont arrivés. Bébés chèvres des Carpates.
Pauvre Oswald ! En glissant sur le verglas, il est tombé et s’est foulé... les doigts de pied. Rigole pas ! Ça fait très mal. Plusieurs jours de boiterie. L’arnica sort de la boîte à pharmacie.
Pauvre Oswald ! Il sucre copieusement sa tisane. Porte la tasse à sa bouche en se régalant par avance, les yeux pétillants de gourmandise. Et recrache tout avec une horrible grimace. Il s’est trompé de boîte. C’était pas du sucre. C’était du bicarbonate de soude.
27 Janvier
On fête mon soixantième anniversaire.
"À cet âge, sois sans temps et réjouis-toi du temps présent."
Oswald m’offre un énorme dictionnaire visuel quintulingue ! Roumain, français, allemand, anglais, espagnol. Très beau, très gros, très lourd ! Pas vraiment le bouquin à trimbaler dans une roulotte ! Mais bon, si on ne peut pas se permettre une fantaisie de temps en temps... Espérons qu’Océane et Noé nous pardonnerons ce supplément de poids.
Merci, mon Oswald !
De France arrive un joli livre expédié par mon Papa et ma Maman (qui ont fêté en Avril dernier leurs soixante ans de mariage !) « Nous, les enfants de 1956 » qui relate, en textes et en photos, les grands événements qui se sont déroulés entre notre naissance (1956, donc) et notre majorité (1974) Eh oui, nous sommes la première génération de la majorité à 18 ans ! Ce qui fait qu’étant née en Janvier, je n’ai pas pu fêter ma majorité le jour de mon anniversaire, la loi étant sortie un peu plus tard dans l’année.
Merci, mon Papa ! Merci, ma Maman !
Et de France encore, un colis expédié par Christine, ma frangine, avec deux fromages de chèvres bien français (Oswald et Christine avaient comploté dans mon dos par courriel) Mais ce qu’Oswald ne savait pas, c’est que Christine avait rajouté dans le paquet ses fameux macarons de Montmorillon, fabrication maison, dont je raffole. Et Oswald aussi, d’ailleurs. Eh ! Oh ! Oswald ! Ne bouffe pas tous mes macarons, hein ?
Merci, merci, Christine !
Surprise ! Par courriel, cette fois, Dominique, l’autre frangine me fait parvenir un féerique montage qu’elle a concocté à partir de nos photos. Superbe !
Merci, merci, Dominique !
Lars et Robyn, eux, m’offrent un délicieux pain fait maison et une bouteille d’huile de noisette.
Merci Lars, merci Robyn !
Carsten, lui, du haut de ses quatre ans, a dessiné pour moi toute seule un superbe portrait de Kaplumbağa et de ses habitants.
Avec légende, pour le cas où t’aurais pas tout compris.
Merci, merci, Carsten ! Tu m’as fait le plus beau cadeau du monde...
Et puis sur notre Fesse-Bouc, pas moins de 89 personnes m’ont envoyé leurs vœux. En français, en italien, en espagnol, en hongrois, en anglais, en allemand, et même en néerlandais ! Touchée au cœur, la Anne !
Encore une fois, merci à vous tous !
29 Janvier
Un couple de paysans d’Alunişu rentre du foin. Il faut en avoir sous la main pour nourrir les moutons. On va donc dans le pré, avec le cheval et la charrette, démonter une meule. On charge le foin sur la charrette, on le ramène à la grange.
Là, on décharge, et on entasse le foin en vrac, bien à l’abri des intempéries
Demain, c’est la grande foire mensuelle aux bovidés, à Huedin. Ces gens ont l’intention d’y aller pour vendre leur veau, qu’ils emmèneront là-bas dans la charrette tirée par leur cheval. Très gentiment, ils nous a proposent de nous emmener avec eux. Ça nous aurait bien fortement intéressé. Petit hic : ils partiront à trois heures du matin. Ben tu vois, on n’a pas vraiment le courage !
30 Janvier
La foire aux vaches (où nous n’étions pas encore allés) a lieu tous les derniers samedis du mois. Celle aux chevaux-moutons-cochons, (où nous sommes déjà allés deux fois) le lundi qui suit.
Ce matin, on est donc parti à pied direction Huedin, pour tâcher de nous faire transporter par auto-stop. À 8h30, on sortait juste d’Alunişu, quand on a croisé nos inviteurs d’hier, qui s’en revenaient de Huedin au grand trot ! Ils avaient déjà vendu leur veau, un bon prix, et rentraient chez eux tout contents.
Un peu plus loin, une voiture nous a ramassés. On n’a pas été trop rassurés pendant le trajet. Le type coupait tous les virages, et roulait à gauche quand ça lui chantait. Enfin, on est quand même arrivés entiers à destination.
Meuh ! Meuh ! Meuh !
Et ça meugle, et ça meugle ! Vaches, taureaux, veaux...
De plus en plus transportés par camions (la Roumanie se modernise à toute vitesse !)
mais encore assez souvent par cheval.
Certains se contentent de leur voiture.
Les petits veaux changent de propriétaire.
« Allo, chérie... Ça y est ! J’ai déniché une superbe petite génisse... Oui... Oui... Vraiment belle, et un prix tout à fait raisonnable. Tu vas voir ça ! »
Et ça marche en laisse, comme un chien.
Certaines vaches sont plus chouchoutées que d’autres : on leur pose sur le dos une belle couverture.
Parfois c’est un peu plus rustique
Les chevaux, eux, y ont systématiquement droit, à la couverture. Mais celui-ci est particulièrement gâté : la houppelande en peau de mouton, carrément !
Et bébé qui tête maman, c’est-y pas attendrissant, ça ?
Les paysans sont encore assez fidèles aux races locales. Mais attention, danger ! Pour ce qui est du lait, la Holstein arrive en force. Et pour la viande : la Limousine... Plus performantes que les races locales.
Voici une Bālţătă cu negru, race laitière.
une Pinzgau de Transylvanie, race mixte.
et une Bālţătă Românească, race mixte également.
La foire, ce n’est pas seulement les vaches. On y trouve tout ce qu’il faut pour équiper un cheval. Harnais, licols, longes, grelots, clochettes. Et les fameux pompons rouges (ciucurel) que portent ici presque tous les chevaux afin d’éloigner le mauvais esprit. On en a acheté un pour Océane et un pour Noé. Des fois que ce serait un mauvais esprit qui chatouillerait l’antérieur droit de Noé pour déclencher ces foutus abcès. On ne sait jamais...
Et puis les fers et leurs clous : le maréchal, ça coûte cher, on préfère poser les fers soi-même, et on les achète au marché. Et quels fers ! Il faut que ça cramponne.
Comme toujours, les gagne-petit essaient de ramasser un peu d’argent. Une femme étale sur le capot de sa voiture quelques conserves et son surplus de haricots.
Un peu plus loin, on peut acheter pour une bouchée de pain un balai de branche ou une cuiller en bois.
Depuis le temps qu’on en parle, on a fini par l’acheter, cette chapka !
Et puis bien sûr, petite pause casse-croûte.
31 Janvier
Nous sommes invité à un échange de graines, chez Dan et Adela, à Cluj.
C’est donc le moment de sortir le sac Kokopelli. Il reste encore des graines berrichonnes, plus d’autres ramassées en cours de route au cours de nos échanges. On en a d’Italie, de Hongrie, et même d’autres qui viennent de Belgique via la Roumanie. Tu te souviens ? On avait fait un échange avec Thomas et Isabel, deux WWOOfers venus chez Lars et Robyn en Novembre.
Dan gère l’un des services d’un hôpital à Cluj. Adela est professeur de sociologie. Ils possèdent à Cluj un ancien hôtel. Auparavant, ils utilisaient cet hôtel comme tout propriétaire d’hôtel : en en louant les chambres pour gagner des sous. Et puis réflexion faite, ça ne leur plaisait plus trop, de gagner de l’argent de cette façon-là.
Alors, avec leur cœur gros comme ça et leur grande générosité, ils l’ont ouvert... à tout le monde ! Entrée libre. Ils se sont seulement réservé un étage pour eux-même. (Bon, à vrai dire, jusque là, c’était VRAIMENT ouvert à tout le monde. Dan et Adela avaient décidé de ne pas poser de limites. C’était une expérience à vivre. Eh bien ! Ils l’ont vécue pendant deux ans. Et ça leur a pompé pas mal d’énergie : parce que naturellement, certaines personnes en ont un petit peu abusé ! Ils ont donc tout récemment décidé d’en installer, des limites, parce que quand même faut pas exagérer.) Pour le reste :
Au sous-sol, aménagement d’un « freeshop » (boutique libre)
C’est un petit magasin de choses d’occasion. N’importe qui peut descendre y déposer ce dont il n’a plus besoin. N’importe qui peut prendre ce qui l’intéresse. Bibelots, vêtements, livres, petits meubles, jouets, conserves maison, graines, et toutes sortes d’autres choses...
On peut :
Se servir et ne rien donner en échange.
Troquer ce dont on a envie contre quelque chose dont on n’a plus besoin.
Déposer de l’argent (somme laissée au libre choix du preneur) dans le bocal prévu à cet effet.
Tout en haut, les anciennes chambres d’hôtel sont ouvertes à qui à besoin d’un logement (prix libre : ça peut être de l’argent ou un coup de main). C’est surtout ici que Dan est Adela ont été obligés d’instaurer des barrières, et de virer les « trop profiteurs ».
Elles serviront surtout désormais aux amis de passage et aux WWOOfers. Oui, Dan et Adela accueillent aussi des WWOOfers intéressés par leur minuscule jardin urbain.
Car ces deux-là veulent prouver qu’il est possible de jardiner en pleine ville, même sur un terrain microscopique, et ils partagent généreusement leur savoir-faire avec qui le souhaite.
Au rez-de-chaussée, la porte s’ouvre sur une très grande salle. Coin salon avec plantes vertes, chaleureux tissus suspendus au plafond, coin cuisine. Le tout chauffé par un poêle « rocket stove », fabrication maison, avec banquette chauffante pour postérieurs frileux !
Un tout simple message de bienvenue accueille l’arrivant, accroché bien en vue sur le pilier central :
Bienvenue dans ce foyer pour tous, un foyer différent des maisons ordinaires, un foyer d’amour à partager. Alors sois bienvenu, sois heureux. Tu fais partie de cette famille. Ici, tout est libre : un berceau d’amour dans l’océan du capitalisme. Donc, sois le bienvenu dans le train de l’amour.
(Reflexion personnelle : Et il y a eu des personnes pour abuser de ce beau message. De prendre sans partager. Quel dommage.)
Aujourd’hui est un jour un peu spécial, avec cet échange de graines, qui se trouve surtout être une offre de graines gratuites. Une grande banderole annonce :
Si tu veux changer le monde, fais-le avec un jardin
Et il y a foule !
Beaucoup de monde pour venir faire un tour, choisir des semences pour le jardin. Impressionnant le nombre de jeunes. Des couples avec des enfants en bas âges. Tous les deux, on était à coup sûr les plus vieux !!!
Les personnes qui avaient des graines à offrir les ont installées sur des tables.
Des bénévoles ont confectionné des centaines de petits sachets en papier pour empaqueter les graines choisies. Quelle super organisation !
J’ai vidé ma jolie bosse de Kokopelli. Avec un succès fou ! Dévalisée, la Anne ! Heureusement, j’ai pu la re-remplir, avec des graines roumaines... Le maïs à polenta, récupéré en Italie, a trouvé de très nombreux amateurs. Il a fallu que j’en planque quelques graines dans ces fameux petits sachets de papier, afin d’en garder pour moi. (Celui-là, je veux absolument en semer dans mon jardin après notre retour !)
Sur une petite table, dans un coin de la salle, des graines mystérieuses ont été installées. Les personnes capables de les identifier étaient priées de bien vouloir indiquer leur nom !
Un atelier « peinture sur pots de fleurs » était prévu pour les enfants. Les papas en ont profité aussi.
Dans le coin cuisine, chacun pouvait se restaurer. Beaucoup de personnes avaient apporté de la nourriture. Quant à moi, j’avais préparé des pommes-poires-noix, cuites avec de la cannelle et de la cassonade. Il y avait des pâtés aux épinards, des pommes de terre, du zakuska, des sauces délicieuses, des boissons rafraîchissantes aux fruits, et toutes sortes de gâteaux. Absolument tout fabrication maison, bien sûr.
Malgré la foule, le nombre de jeunes enfants, les allées et venues (les gens rentraient, choisissaient leurs graines, cassaient une petite croûte et repartaient) l’ambiance était extrêmement calme et paisible.
Une véritablement remarquable journée !
Anne, le premier Février 2016