Les juments fixent un point
dans le lointain.
Les oreilles mobiles,
la crinière en broussaille,
elles savent bien
ce que promet l’horizon :
Une herbe nouvelle
Un pré savoureux.
Les juments fixent un point
dans le lointain.
La plainte d’un campanile,
le parfum de l’eau fraîche,
elles savent bien
ce que promet l’horizon :
un repos tranquille
sous le chant des étoiles.
13 Septembre : Mindszent – Szegvár 12 km
C’est reparti ! L’argile verte a fait des merveilles sur le pied de Noé. La couronne n’est plus sensible au toucher. Petite étape pour ménager ce pauvre pied. Et on tâchera si possible de ne rouler qu’un jour sur deux, histoire de se remettre en train doucement.
Rencontre sur la route :
Un « descanso » de luxe, très couleur locale. La mémoire des morts sur la route est très présente en Hongrie, avec parfois même une petite tombe miniature, mais c’est la première fois qu’on voit un kopjafa.
Arrivés à Szegvár, il nous faut plus d’une demi-heure pour dénicher notre halte, assez loin du village, au bord de la rivière. La Kurca, affluent de la Tisza.
Là, pas besoin d’aller chercher bien loin pour se rafraîchir les idées. (Le thermomètre est remonté à 30°) C’est à 10 mètres de la roulotte !
15 Septembre : Szegvár – Szentes 15 km
Un peu plus de kilomètres que prévu : on a loupé le bon chemin. On a rattrapé plus loin, mais on a rallongé la distance prévue.
On avait décidé de passer par les chemins plutôt que par la route.
Pas de regret, malgré le détour, parce que quand on l’a rejointe, cette route, on s’est aperçu que ça y circule pas mal !
Pour traverser Szentes – ce qui était notre inquiétude, car c’est une ville de quelque importance, où l’on pouvait facilement s’égarer, pas de problème : une sympathique dame en vélo vêtue d’un maillot rouge nous a guidée jusqu’au centre ville. Là, une autre sympathique dame en vélo vêtue d’un maillot rouge a pris le relais, sur demande de la première, pour nous guider jusqu’à la sortie de la ville. Heureusement : nous n’avons rencontré aucun panneau indicateur !
Mais après la sortie, pour la première fois depuis notre arrivée en Hongrie, nous ne trouvons pas d’emplacement adéquat. À notre droite, la voie ferrée. À notre gauche, des serres et des champs de maïs. D’herbe point, et d’eau encore moins. Nonobstant le pied de Noé encore un peu fragile, nous eussions continué notre chemin. Mais il nous faut absolument trouver un point d’arrêt.
Finalement, un paysan nous fait de grands signes. Il ne peut nous offrir que ce carré d’herbe juste au bord de la route, mais il nous l’offre de grand cœur.
Pour nous, pas terrible : il va falloir se farcir le doux ronronnement des voitures et des camions, sans oublier de très nombreux tracteurs – et pas des petits, je te prie de le croire. Puis le halètement des trains, puisque le voix ferrée longe la route, juste de l’autre côté. Vieilles locomotives - tchakatchak ! tchakatchak ! tchakatchak ! Un raffut qui nous rappelle notre enfance déjà passablement lointaine. Les juments s’en fichent, elles ont de l’herbe et de l’eau. Apportée directement dans leur bassine-abreuvoir par l’entremise d’un tuyau.
Le paysan travaille avec deux chevaux (pas de tracteur). Il possède aussi, pour le loisir, un très joli poney Welsh. Il a quatre vaches et deux cochons. Quantité de poules dont un certain nombre finit sous les roues des voitures. (Il soupire)
Il emporte son fumier dans sa carriole attelée pour engraisser ses prés,
et revient chargé d’herbe pour ses vaches.
Il nous fait fièrement visiter ses étables, fort bien tenues. Il est un peu maréchal ferrant aussi, nous explique-t-il. (En hongrois, avec des gestes.)
16 Septembre : Szentes – Fábiánsebestyén 12,5 km
Route plate, monotone, bordée de champs de grande culture, et de serres. Des serres, des serres, des serres... Paprika et tomate.
Nous avons prévu de faire étape à Fábiánsebestyén, et juste en arrivant à l’entrée de ce village, regarde un peu ce que nous voyons :
Épatant ! On s’engage sans hésiter. L’emplacement en vaut la peine. Seul inconvénient : l’eau est un peu loin, il faut se coltiner le transport des seaux. Mais au moins, on est tranquille ! Pas de bruit de route.
17 Septembre : Fábiánsebestyén – un lieu entre Nagyszénás et Kondoros 28 km
Agréable étape plutôt forestière. Ici, dans la Puszta, les abri-bus sont dans l’ensemble beaucoup plus simples et délabrés que ceux que nous rencontrions avant d’avoir franchi le Danube. Mais en voici quand même un qui attire l’œil.
On avait prévu de s’arrêter à Nagyszénás. Mais tiens donc ! Juste avant d’arriver dans le village, un couple en voiture nous fait signe de nous arrêter. On s’arrête donc, histoire de papoter 5 minutes pour satisfaire leur curiosité.
Du coup, on leur demande s’il connaîtraient un endroit où nous pourrions faire étape. « Mais bien sûr ! Chez nous ! » Seul petit hic, chez eux, c’est dix kilomètres plus loin. En voiture, ce n’est rien. Mais pour nous, ça représente quand même un bon petit bout de temps. Noé marche bien, ne boite plus du tout, semble avoir encore de l’énergie à revendre... alors pourquoi pas ? Oswald monte donc en voiture avec György, et Ágnes grimpe près de moi.
Eh bé dis donc, on ne le regrettera pas ! Quel accueil ! György et Ágnes ont une petite ferme, montée de bric et de broc de leurs propres mains. Ils ont des vaches, des chevaux et des poneys qui pâturent au piquet, et nous zigzaguons au milieu de tout ce petit monde pour garer Kaplumbağa.
À peine les juments parquées, on leur apporte l’eau à domicile.
Et pour nous : un petit café !
Après quoi György et Ágnes nous demandent de les suivre à la maison : bizarre bicoque en adobe surmontée d’un toit de tôles, très riche en objets divers et variés
et entourée de dépendances plus ou moins bringuebalantes faites en matériaux de récup’.
Invraisemblable fouillis de vieux tracteurs, carcasses de voitures et de camions rouillées.
Superbe treille couverte de raisins pour ombrager le devant de la maison.
Ágnes va chercher quatre carrés de polystyrène afin que nous puissions poser confortablement nos délicats postérieurs sur le ciment de la descente de garage pour grignoter à volonté de savoureuses pêches de vigne. Pendant ce temps, le luxe : douche (chacun notre tour) et machine à laver ! L’eau est pompée à 86 mètres sous la terre, et sort bien fraîche (un délice par cette chaleur torride) « c’est de l’eau bio », nous affirme Ágnes en rigolant.
György m’apporte une guitare fortement désaccordée. Il me faut un bout de temps pour rétablir un semblant d’harmonie ! Et puis voilà, depuis notre départ, je n’ai pas touché une corde, et mes doigts se sont quelque peu rouillés. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de regretter de n’avoir pas trimbalé avec nous ma guitare. Mais Kaplumbağa est toute petite, et il fallait bien faire des choix. Sacrifice de la guitare, donc. En outre, j’avais quelque crainte de l’esquinter, ma brave guitare, j’avoue.
Après ce petit apéritif, on rentre à la maison pour partager le repas : une extraordinaire omelette (œufs du jardin) aux oignons (du jardin) et paprika (du jardin) Visite. Dans la chambre à coucher (lit en bois de prunier fabriqué par Ágnes), deux pianos. Un piano droit, devant lequel s’installe György pour nous régaler d’un petit récital. Et un piano à queue, sur lequel est posé une petite voiture à cheval sans ses roues, toute neuve, fabriquée par les mains de György. Pour l’instant, elle sert de lit à leurs petits-enfants !
18 Septembre : entre Nagyszénás et Kondoros – Kondoros lovaspálya 6,5 km
On crève de chaud, encore ! Ágnes et György nous retiennent pour le petit déjeuner. Ágnes a confectionné de fameux croissants au fromage avec lesquels elle nous sert une tisane délicieuse. On n’a pas pu comprendre ce que c’était. Avec tout ça, on part beaucoup trop tard, compte tenu de la canicule (le thermomètre effleure de nouveau la barre des 40 à l’ombre) On ne fera donc qu’une toute petite étape, avec des juments très énervées (Noé nous fait le coup des chaleurs tardives, et pour arranger les choses, György trouve le moyen d’atteler son poney entier pour nous accompagner un bout de chemin !!!)
À Kondoros, on s’arrête à la mairie pour demander un emplacement. On nous installe sur le complexe sportif, entre le terrain de foot et le terrain réservé aux manifestations équestres.
20 Septembre
7 h 30. Tout est prêt pour le départ. Eh bien non, on ne part pas : Noé re-boite. L’ouverture de l’abcès s’est refermée, et une nouvelle poche de pus s’est formée. La pauvre Noé ne peu même pas poser le pied par terre. Rebelote avec l’eau chaude... Noé se laisse soigner comme un ange. Elle commence à avoir l’habitude.
J’explique notre problème à un homme qui passe par là en vélo. Tu vois le vocabulaire hongrois que je suis en train d’ingurgiter ? « abcès, boiter... » J’aurais préféré ne pas avoir à les apprendre, ces mots-là !
Résultat : le monsieur en question revient une demi-heure plus tard avec sa femme et un copain, pour nous offrir, devine quoi ? Une bouteille de Pálinka ! Évidemment.
Altaï’s story
Oswald s’en va faire des courses au village. Il emmène Altaï avec lui pour lui dégourdir un peu les pattes. Devant la COOP, un banc. À côté du banc, une poubelle. Oswald attache Altaï à la poubelle et rentre dans le magasin. Il en ressort, et s’installe sur le banc pour déguster tranquillement sa boisson américaine brune qui fait des bulles. (Qu’est-ce que tu veux que je te dise... il aime ça. Bon, il a une excuse : il fait très chaud, et la boisson est très fraîche.) Il n’a pas détaché le chien, qui somnole, allongé de tout son long, anéanti par la chaleur. Un jeune couple passe. L’homme et la femme entament chacun un beau sandwich. Le jeune homme s’approche de la poubelle pour jeter le papier qui emballait son sandwich. Un bond ! Le somnolent Altaï s’est transformé en fusée. Avant que ce brave pataud d’humain n’ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait, le sandwich était déjà bien au chaud dans l’estomac du chien. Pas pris le temps de mâcher ! Le jeune homme pique un fou rire. Contagieux, le rire. Oswald se plie en deux. Vaguement honteux, quand même, il sort son portefeuille et propose au jeune homme de lui repayer un sandwich tout neuf. Refus catégorique. Le monsieur plante là sa dame et s’en va. Deux minutes plus tard, il revient avec deux sandwiches. Il en croque un... et donne l’autre à Altaï !!! C’est comme ça qu’on éduque les chiens, en Hongrie ?
22 Septembre
Au village, devant la mairie, une exposition de dessins des enfants de l’école primaire. Dont certains vraiment très chouettes. Dommage : on n’a pas pris l’appareil photo. Sur presque tous les dessins, des rues, avec des cyclistes (pas étonnant, vu le nombre de vélos qui circulent) mais aussi des trottinettes, des planches à roulette, des voitures à cheval... Une jeune femme, voyant que nous nous intéressons à l’expo, nous aborde. Son anglais n’est guère plus évolué que mon hongrois, mais en mélangeant les deux, on finit par comprendre : aujourd’hui, c’est la journée sans voiture, et c’est là le thème des dessins des enfants. Effectivement, en observant bien toutes ces œuvres d’art, on ne découvre qu’une seule voiture, rayée de deux gros traits rouges. Sur un autre dessin, deux autobus. Sinon, uniquement des véhicules non motorisés. Les enfants ont parfaitement compris la consigne.
Soirée : un jeune couple avec leur tout petit bébé vient nous voir. Ils sont cavaliers. Ils reviennent de Grande Bretagne et parlent parfaitement l’anglais. Ils nous proposent, si la guérison de Noé tarde trop, de trouver une solution d’hébergement longue durée. András nous assure même qu’il pourra déplacer les juments avec son van si Noé ne peut vraiment pas marcher. Ça, c’est vraiment sympa. Espérons que nous n’en aurons pas besoin.
C’est quand même rageant : il fait maintenant un temps idéal pour rouler. Beau ciel bleu, légère brise, thermomètre qui ne monte pas au-dessus de 25°. Le rêve.
Inquiétude : la Hongrie commence à fermer ses frontières avec la Roumaine.
24 Septembre
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Au secours !!!!!!!
V’là les bons conseilleurs !
Ah ! La gentillesse hongroise !
Quelqu’un qui apprend que Noé a des problèmes. Ce quelqu’un téléphone à un copain qui rapplique. Le copain en appelle un autre. Bon. Quelqu’un a l’ excellente idée d’en appeler un, de copain, qui parle français.
Bien entendu, ils ont tous des chevaux, et bien entendu, chacun y va de son bon conseil. L’un (sans demander le moins du monde notre avis) téléphone à un vétérinaire, et nous annonce péremptoirement que le dit vétérinaire viendra demain matin. « Mais ce véto-là n’y connaît rien ! proteste un monsieur. T’aurais dû appeler celui de..., qui travaille beaucoup mieux ! » Un autre, sans demander davantage la permission, enlève la sandale de Noé et débobine la compresse d’eau chaude posée pour aider l’abcès à mûrir. On nous assène qu’il faut inciser. Jusque-là, j’étais restée tout sourire. Tout cela partait d’un si bon sentiment. Mais cette idée-là est de trop : Nem ! Nem ! Nem ! Le brave homme qui parle français (un excellent français) me supplie de ne pas me fâcher : ils sont tous là pour nous aider. Ventre Saint Gris ! Je le comprends bien ! J’ai l’impression de me retrouver dans une scène de Molière. Tu te souviens ? Celles où tous les médecins sont réunis autour du lit du malade et donnent chacun leur diagnostic...
« Puisque le vétérinaire est appelé, dis-je, attendons donc son avis. » Ouf ! C’était la bonne réponse.
Par contre, un truc vraiment super pour faire un pansement autour du pied : la couche bébé. J’écrirai un p’tit truc là-dessus, photos à l’appui, dans la rubrique "trucs et astuces", dès que j’aurai un p’tit moment.
T’imagines pas le temps qu’on passe à fignoler tous ces fichus articles !!! Tout ça pour te faire plaisir, chère lectrice, cher lecteur. Enfin... J’espère au moins que ça te fait plaisir.
25 Septembre
György et Ágnes, nos hôtes de l’étape précédente, viennent nous faire un petit coucou. Pas les main vides, bien entendu : lait tout frais tiré de leur vache, pêches, prunes, délicieux fromage à l’oignon fait maison, fruits cuits à la cannelle, tomates...
Pas vu l’ombre d’un vétérinaire.
On apprend le soir qu’il est venu à 11 h ce matin. On était dans la roulotte. Mais il n’a pas osé s’approcher à cause du chien, et il ne lui est pas venu à l’idée de klaxonner. Gros bêta, va...
26 Septembre : Kondoros lovaspálya – Kondoros erdő 3km
(lovaspálya = piste des chevaux ; erdő = forêt)
Eh ben on l’a vu ce matin, ce fameux vétérinaire. Bon, c’est assez fastoche, finalement, d’être véto. Tu fais une piqûre d’antibiotiques, une piqûre d’anti-inflammatoires, et tu guéris tout ! Et ça, ça te prend 7 ans d’études...
Ne soyons pas trop méchants. Il est bien brave et bien gentil, ce véto-là. D’abord, il a pas voulu qu’on le paye. Et puis : il trimbale dans sa voiture une bouteille de pálinka pour en offrir à ses clients. À boire au goulot. Oswald a été « obligé » d’y passer. Eh ! Dis donc ! Il a pas trouvé ça mauvais du tout...
En tout cas, en ce qui concerne Noé, il s’agit très probablement d’un abcès aseptique, alors les antibiotiques... Bref. Quand aux anti-inflammatoires, normalement, c’est pas trop recommandé sur un abcès. Passons.
[En tout cas, après deux flagrantes erreurs de diagnostic, on commence à se méfier. Je ne dis pas que c’est facile de reconnaître une fourbure d’un abcès. Les symptômes peuvent fortement se ressembler. Problème : les traitements sont exactement l’inverse. Sur fourbure, eau froide et anti-inflammatoires. Sur abcès, eau chaude et pas d’anti-inflammatoires. Alors ce serait quand même un peu mieux d’avoir le bon diagnostic AVANT.]
On va essayer d’arriver à Alunişu, quand même, cahin, caha, et là je demanderai à Lars de faire des examens approfondis pour tâcher de découvrir la CAUSE de ces abcès à répétition (plusieurs causes sont possibles) Parce que c’est bien joli de traiter les symptômes, mais tant qu’on ne se sera pas attaqué à la raison profonde, on aura des problèmes, j’imagine. En tout cas, à Alunişu , on aura le temps de prendre le temps puisqu’on va y passer l’hiver.
Malgré tout : on a parcouru 3 km ce matin. Ciel gris, 16°, temps idéal pour rouler. Noé n’a pas boité, on croise les doigts ! (grotesque superstition !!!!!!!!!!!) On a déniché un superbe emplacement, une clairière magique, toute ronde, en pleine forêt, à peine 1 km du village, bien pratique pour faire les courses.
Invités chez András. Il nous emmène chez lui dans sa voiture tout électrique. Ça, c’est épatant ! Ça ne fait pas de bruit. Impressionnant ! Et les accélérations sont foudroyantes. Aucune émission nocive. Seul inconvénient : une charge ne tient que 150 km. András nous explique que ça lui suffit largement pour aller en ville, les aller-retour des deux villes les plus proches faisant moins que cette distance. Il met la voiture en charge chez lui la nuit. Comme sa maison est équipée de panneaux solaires et totalement autonome en énergie (elle n’est pas reliée au réseau) sa voiture ne lui coûte absolument rien en carburant. Convainquant !
On apprend qu’il est lui aussi l’un de ces fameux csikosok (voir article : Puszta chapitre un) Il nous montre de beaux portraits de lui en pleine action avec ses chevaux, exécutés par une peintre hongroise spécialiste des chevaux, et très célèbre en Hongrie, nous dit András.
András sort de l’armoire son beau costume de csikos. Je comprends enfin comment ça fonctionne : ce n’est pas une jupe, mais une jupe-culotte.
András fait goûter à Oswald... du saucisson de cheval. Quand il nous propose de goûter un saucisson maison en nous disant qu’il nous dévoilera seulement après de quoi il s’agit, je me suis fortement doutée de la chose !!! András nous explique qu’en principe, les Hongrois ne sont pas hippophages. Mais si un cheval doit être abattu pour une raison quelconque, on ne laisse pas perdre la viande (le niveau de vie est très bas, et le gaspillage n’existe pas). Ce cheval-là, en l’occurrence, a été abattu parce qu’il avait lui-même tué une femme, et blessé grièvement un homme. On entend de ces histoires...
28 Septembre
Le temps s’est bien rafraîchi. Pluie le matin, puis ciel couvert et petit vent frais. 13° à midi. Hier, la grelette sonnette d’un vélo nous avait annoncé une visite : une dame Margit nous apportait un panier plein de raisins de cinq variétés différentes, en nous faisant bien comprendre qu’on pouvait les manger sans crainte : ils n’étaient pas pesticidés.
Aujourd’hui, juste avant midi, la même Margit revient, avec le même fluet « dring ! Dring ! » pour nous avertir de son arrivée.
« C’est moi qui suis la csárda (auberge), aujourd’hui, » nous annonce-t-elle avec un sourire éblouissant.
Elle nous apporte une soupe toute chaude, du pain, des boulettes de viande-légumes, et de la compote de prunes !
Köszönjük szépen, Margit !
29 Septembre : Kondoros erdő – Kamut 14 km
Tôt ce matin, Margit vient encore nous gâter : thé chaud, petits gâteaux. Elle a même prévu notre repas de midi : deux énormes sandwiches et du paprika...
On part ? On part pas ? On part ? On part pas ? Il pleut ! Noé boite très légèrement. On part pas !
11 heures. La pluie s’arrête. Ciel maussade. Allez, on part quand même.
C’est parti ! Chaussée de ses clogs aux antérieurs, Noé ne boite pas. On marche au tout petit trot : au pas, elle semble mal à l’aise. On doit se farcir 8 km d’une grande route avec pas mal de circulation, et surtout beaucoup de camions. Mais tiens, cette route est longée par une jolie voie cyclable, qui fait tout juste la largeur de Kaplumbağa. J’ai grande envie de l’emprunter. Pas Oswald. Je me demande bien ce qu’il a contre les voies cyclables !
On la prend ? On la prend pas ? On la prend ? On la prend pas ?
On se chamaille Oswald grogne. Bon, bon, on la prend pas.
Oswald : « Oh, si tu y tiens vraiment... »
Et puis merde, quoi, j’en ai marre de sentir le vent des camions qui doublent et qui croisent. Et c’est moi qui mène les juments, quand même ! Un passage entre la route et la voie cyclable me tente trop. On la prend ! Sans dire un mot, je m’y engage. Oswald me laisse faire sans rien dire.
Ouf ! C’est que je me sens vraiment mieux ici, moi. Beaucoup plus en sécurité. Quand à importuner les cyclistes... Sur environ 6 km, on en croise un, et un autre nous double. Tous les deux avec un grand salut et un gentil sourire. Je suis certaine qu’on gêne beaucoup plus les automobilistes sur la route que les cyclistes sur la voie cyclable !
On avait prévu une étape d’environ 8 km pour ménager Noé. Mais le lieu repéré par Oswald sur Google map n’est malheureusement pas praticable. Il faut donc continuer. Noé n’a pas l’air d’en avoir trop marre. À l’entrée de Kamut, un emplacement au bord de la route, mais avec un petit déport où il est facile de garer la roulotte. Les juments auront de l’herbe jusqu’au ventre.
À peine installés, nous voici envahis ! Les curieux sont au rendez-vous, et les cadeaux aussi. Une grosse bouteille de Coca Cola, 1 kg de sucre cristallisé, et du lait en poudre à la noix de coco.
Et puis... Non ! Pas possible ! Alors celle-là, c’est la première fois qu’on nous la fait ! Avons-nous donc si mauvaise haleine ? Et puis, donc... un tube de dentifrice.
Eh ! Eh ! Eh ! Ça sent l’approche de la frontière : notre premier contrôle policier depuis que nous sommes entrés en Hongrie. « Passeports, s’il vous plaît ». C’est un jeune flic souriant est sympathique (tiens, ils ne fonctionnent donc pas systématiquement par paire, ici ?) Mais il ne veut pas de bonbon... Je l’interroge au sujet des problèmes possibles à la frontière. Il affirme qu’ici, nous n’aurons pas de souci.
Kamut est un très joli village, tout à fait typique de la région.
Avec son élevage d’autruches. Pas trop typique, celui-là.
Premier Octobre : Kamut – Békés 15 km
Décidément, Noé semble aller beaucoup mieux. En tout cas, l’étape se déroule sans problème, sur une route pas très agréable (circulation)
Traversée de Békés, ville un peu importante. Stress : la ville est interdite aux voitures à cheval.
À la sortie, on déniche un coin de verdure, ancien terrain de foot. Comme d’habitude, il faut faire le tour du carré d’herbe pour ramasser toutes les cochonneries qui traînent. (La Hongrie n’est pas plus propre que l’Italie.)
Juste à côté, un fossé bien encaissé. Assez acrobatique pour aller puiser l’eau.
Un homme apporte des choux raves pour nous. Il se donne la peine d’en couper les racines.
Et d’énormes betteraves fourragères pour les juments.
Croque ! Croque ! Elles en bavent, les louloutes !
Et décidément... Nouveau contrôle de rendörség (c’est comme ça qu’on dit « police » en Hongrois). Passeports. Flic sympa aussi. Il veut voir sur la carte notre itinéraire prévu jusqu’à Alunişu. Les abords de la frontière. J’imagine qu’on va y avoir droit tous les jours !
2 Octobre : Békés – Doboz 13 km
Mince ! Notre réchaud cafouille. Combien de temps pour réparer ? On ne sait pas. Donc pas de petit déjeuner chaud ce matin. Des tartines et du lait froid. Faudra savoir s’en contenter.
Une foule de curieux assiste à notre départ, ce matin. Pas intérêt de faire une bêtise !
Juments un peu trop allantes et excitées ce matin. Pas facile de les tenir.
Temps idéal. Un peu frisquet le matin (+3°) Mais très doux dès que le soleil monte un peu. 25° à la mi-journée, ciel tout bleu.
Superbe voie cyclable, à l’écart de la route. Cette fois, c’est Oswald qui propose de la prendre. Oui ! Oui ! Oui ! Non seulement elle est beaucoup plus large que Kaplumbağa, mais par dessus le marché le revêtement d’asphalte est bien meilleur que celui de la route. C’est tout lisse, la roulotte roule, Océane, qui marche pieds nus, se sent plus à l’aise. Aucun vélo en vue. Personne ne nous gêne, et on ne gêne personne. Un régal. Mais il nous faut quitter ce régal-là pour franchir le pont sur la rivière Fehér-Körös, un peu avant d’arriver à Doboz. Au beau milieu du village, on s’arrête devant la mairie. Pendant qu’Oswald se charge des négociations pour obtenir un emplacement, je reluque, de l’autre côté de la route, juste en face de l’église et de la mairie, une superbe « prairie », avec un point d’eau. Eh bien ! C’est justement ici qu’on nous installe.
On décide de déjeuner au restaurant, juste à côté. Drôle de resto. Aujourd’hui, c’est soupe aux fayots. Aucune autre possibilité. Bon. Va pour la soupe aux fayots. Excellente et fort copieuse, d’ailleurs. On ne nous propose même pas de dessert. Y’en a pour 1200 forints, pour nous deux. Soit l’équivalent de 4 €.
Après quoi, longue promenade digestive avec Altaï dans l’immense et magnifique parc du château de Doboz, situé juste derrière notre lieu de stationnement. Vieux chênes énormes.
3 Octobre Doboz – Sarkad 11,5 km
Cette fois, on n’a pas pu emprunter la voie cyclable. Ou plutôt on l’a prise sur une cinquantaine de mètres, mais les branches des arbres, trop basses, raclaient la roulotte et menaçaient notre jolie cheminée.
En arrivant dans Sarkad, on reluque une immense place toute verte. Mais si bien entretenue qu’on n’ose pas croire à une permission. À tout hasard, quand même, Oswald sort notre billet magique. Il le montre à un homme qui le lit, nous adresse un grand sourire, et nous demande de suivre sa voiture. István nous emmène cent mètres plus loin, et nous invite à nous installer... sur le terrain d’entraînement des chevaux d’attelage de compétition.
Et voilà. L’herbe est bien verte. István va nous chercher de l’eau dans la remorque de sa voiture.
Après un petit tour en ville, nous trouvons un György qui nous attend près de la roulotte. C’est Monsieur le premier adjoint du maire, qui tient à nous souhaiter la bienvenue. S’il avait su d’avance, dit-il avec regret, il nous aurait gratifié d’un accueil officiel. Ouf ! On l’a échappé belle !
Après quoi István nous invite à visiter sa maison.
En pleine ville (Sarkad compte 10 500 habitants), comme beaucoup de gens dans la Puszta, il a ses chevaux (attachés en stalles), ses poules, et ses cochons. L’odeur des cochons est omniprésente dans les villages, et personne ne s’en plaint. Les chiens aboient, et personne ne s’en plaint. Et il ne semble pas que le chant des coqs dérange grand monde.
István est très fier de nous présenter ses coupes, gagnées en compétition d’attelage.
Dans la région, les chevaux sont utilisés dans la semaine pour transporter le foin, le maïs, le fumier, etc... et le dimanche, ils participent aux concours régionaux, avec le harnais d’apparat.
István nous propose ensuite une visite de la ville... en voiture à cheval. Il attelle ses deux chevaux croisés Lippizzan x Furioso.
Deux vraies furies. István insiste sur l’élégance de son attelage. Les chevaux lèvent très haut la tête, et leurs allures sont extrêmement relevées, ça c’est sûr. Mais la contrainte est évidente. István mène le pied sur le frein presque en permanence, les guides hyper-tendues. Les chevaux, bouche ouverte sous la coercition du mors, écument. Ils tentent sans cesse de prendre la main. Explosif ! Je ne suis pas spécialement rassurée, alors imaginez le pauvre Oswald. Avantage : d’un seul coup, le voilà qui trouve qu’Océane et Noé, pas si faciles à mener, sont en fin de compte des modèles de sagesse. Il faut dire que ces chevaux-là, d’un sang d’une nature assez chaude, sont attachés toute la journée dans une stalle étroite, et ne sortent qu’attelés. Pas étonnant qu’ils ressentent une belle envie de se défouler. Malgré tout, István est un meneur très expérimenté. Il sait tenir ses animaux.
Pays d’amoureux du cheval : même les jeux pour les enfants sont contaminés.
Nous voici à côté du buste de Szent István. On le retrouve décidément partout, celui-là !
Puis devant un monument représentant (si on a bien compris) la Hongrie vaincue.
István nous fait faire tout le tour de la ville, nous présentant tour à tour la mairie, l’école, le lycée, l’église des catholiques et l’église des réformés calvinistes. (Dans cette région de Hongrie il y a, nous assure-t-il, 80 % de calvinistes et 20 % de catholiques. Il est à supposer qu’il doit bien exister quelques autres religions, mais à si petite échelle que ça ne vaut pas la peine d’en parler.)
De retour sur le terrain, István lâche la main à ses chevaux. Galop furieux. Oswald se cramponne. Je ne me fais pas beaucoup plus fière que lui.
Figure-toi que c’est sans aucun déplaisir qu’on descend enfin de cet engin-là !!!
Pour clôturer la soirée, István nous invite au restaurant. Excellent.
Köszönjük István !
Quelques remarques
Un peu d’histoire : les Hongrois en sont férus. On voit énormément de statues en bois d’un style assez brut, dans les villages, qui représentent les anciens rois de Hongrie, ainsi que d’autres personnages historiques ou légendaires. Attila, bien sûr, puis les rois Magyars. Les sept tribus Magyars arrivées dans la Puszta, fuyant devant les Petchenègues (tribu Turque migrant vers l’Ouest) se sont élu un roi commun. Un dénommé Árpád, dont le nom signifie « Orge » (845 – 907), qui a donc été le premier roi de Hongrie. Le plus représenté est Szent István, Saint Étienne, (975 – 1038) avec sa petite croix au-dessus de la tête. István est encore très vénéré de nos jours, si l’on doit en croire les bouquets de fleurs, les couronnes et les bougies que l’on voit au pied des statues le représentant.
’’Blague hongroise’’ racontée par les Autrichiens (comme les Français racontent des ’’blagues belges’’)
Un Hongrois va visiter New-York. À son retour, ses amis l’interrogent :
« Alors, c’était comment, New-York ? »
Le Hongrois répond : « Oh vous savez, je n’ai rien pu voir, les maisons étaient trop hautes. »
On voit assez souvent encore des chevaux attelés, la plupart du temps pour de petits ouvrages agricoles.
Les chevaux attelés n’ont jamais de reculement, quelle que soit leur utilisation .
Si nécessaire, ils ralentissent ou arrêtent la carriole avec leurs fesses. On a eu l’occasion d’en voir de brillantes démonstrations. Je n’ose pas imaginer la réaction de nos louloutes, si Kaplumbağa venait brusquement heurter comme ça leurs délicats popotins !
Les chevaux sont reliés au timon par une bande de cuir souple passée autour de l’encolure.
L’éducation des poulains commence très tôt.
En n’oubliant pas de leur octroyer une petite pause casse-croûte de temps en temps.
Nombreux beaux puits encore en service.
Mais dans la Puszta, les fameux puits à balancier ne servent souvent plus guère que pour la décoration.
Ah ! Les gouttières hongroises ! Elles ne sont pas toutes, toutes comme ça, mais il y en a vraiment beaucoup, beaucoup ! Pas si bête. Ça n’humidifie pas les fondations de la maison, et ça va direct au fossé...
Les difficultés de la langue : je suis dans une petite boutique l’alimentation. Je cherche du miel et je n’en trouve pas. Je m’adresse à l’épicière. « Mèz ??? » Elle me regarde avec des yeux ronds. J’insiste : « Mèz ??? bzzzzz ! Pique ! » (je me pique le bras gauche avec l’index droit) Illumination de la dame : « Ah ! Méz ! »
Bon, OK, j’ai pas tout à fait le bon accent. Mais quand même, il lui en a fallu, du temps pour comprendre ! J’imagine un étranger en France qui rentre dans une épicerie et qui demande du « miél » au lieu de prononcer du « mièl ». Ce serait si compliqué que ça ?
Quelques jours plus tard, je raconte l’anecdote à un hongrois qui parle anglais. Il éclate de rire. « Tu m’étonnes, qu’elle n’a pas compris, la pauvre ! « mèz » (qui s’écrit « mez ») c’est un maillot de sportif ! « méz » (qui s’écrit bien « méz ») c’est le miel. Tu vois, ce sont deux choses bien différentes ! Elle devait se demander ce qu’un vieille dame pouvait bien vouloir faire d’un maillot de footballeur. D’ailleurs, elle n’en vendait probablement pas. »
Anne, 4 Octobre 2015