28 Juillet : Ludas tó – Gedeon tanya 19 km
Adieu Ludas tó.
Ça y est, on a osé !!!!
Osé quoi ?
Essayer les brides sans mors, pardi ! Et sans œillères par-dessus le marché !
Noé ? Comme si elle n’avait eu que ça toute ça vie.
Océane ? Les 50 premiers mètres on été un peu difficiles ! Non pas à cause de l’absence de mors, mais à cause de l’absence d’œillères : elle avait la trouille de VOIR la roulotte derrière elle. Mais Océane est une jument intelligente. Elle a compris bien vite qu’elle n’était pas poursuivie par un tigre, et que ÇA n’allait pas la dévorer. Après quoi, plus aucun souci. Nous avons parcouru les 10 premiers kilomètres sur un chemin de sable, et croisé trois voitures.
C’était le moment ou jamais pour tester ces Nurtural venues à grand frais du Canada. Oswald était terrorisé !
Pour les juments, ce n’était pas une totale découverte : elles avaient été montées avec, et je les ai travaillées aux longues rênes avec. (la photo ci-dessous avait été prise à Chalamont)
Et bien... aucun problème ! Les juments obéissent parfaitement. Arrêts immédiats, sagesse à l’arrêt, changement de direction peut-être un tout petit peu moins précis qu’avec les mors ? Je soupçonne que ceci va s’améliorer avec l’expérience. En tout cas, pas un instant nous n’avons eu peur.
Arrivés sur la route, plusieurs gros camions nous ont doublé et croisé. L’absence d’œillères n’a absolument pas perturbé nos louloutes.
« L’attelage sans mors, c’est la mort », avons nous entendu dire. C’est bien possible, si on commet l’imprudence d’atteler avec un licol. Mais les Nurtural sont très loin d’être un simple licol. Ce sont des brides dont l’action, assez puissante, a été soigneusement étudiée.
Gros avantage : si on s’arrête pour une pause casse-croûte, Océane et Noé peuvent en profiter pour s’empiffrer sans être gênées par le mors.
Tiens, voici un grand panneau indiquant une ferme auberge, avec un cheval dessiné dessus. Si on y allait ? On s’engage sur une piste de sable (il y en a décidément beaucoup dans le coin) et on suit les flèches. Ça n’en finit pas ! Enfin, au bout de presque trois kilomètres, nous y sommes.
Nos juments vont avoir de la compagnie : vaches hongroises et moutons racka, cochons, volailles en veux-tu en voilà...
Toute la ferme traditionnelle de la Puszta : le pigeonnier typique, le poulailler (cet espèce d’obus en terre, blanchi à la chaux), la petite porcherie, et le mât pour que les cigognes viennent bâtir leur nid. Ce qu’elles n’ont pas (encore) fait ici !
Ce soir, nous mangerons à l’auberge. Très belle, l’auberge, mais la nourriture : bof ! Et le prix : aïe ! Ouille !
Ceci dit, l’accueil était assez sympa, et les juments, en sus de l’herbe, ont eu droit à un foin fort savoureux.
29 Juillet : Gedeon tanya – Móricgát 16,5 km
Gentille étape, les juments, guillerettes, trottent joyeusement.
On ne fait pas d’économie sur les panneaux routiers, ici. Ils ont peur que les cyclistes ne voient pas le panneau réservé aux automobilistes ? L’réglement, c’est l’réglement ! Le passage à niveau doit être indiqué à droite de chaque chaussée, il l’est. Ah mais !
« Là ! Regarde ! » Superbe terrain communal, juste en face de l’église.
Mais voilà que notre Noé, lorsqu’on l’amène dans le parc, se met à boiter très méchamment de l’antérieur droit. On n’y comprend rien. Elle avait si bien marché... Pourvu qu’elle ne nous fasse pas une rechute d’abcès au pied. Comme elle a le canon un peu sensible, je le badigeonne d’argile, à tout hasard. Ça ne peut toujours pas faire de mal. Trois beaux taureaux, dans le pré d’à côté, viennent prendre des nouvelles...
Au secours, Bo, au secours !!!
30 Juillet
Le réseau « Bo » fonctionne à merveille. Bo a un ami nommé Tamás, qui a lui-même un ami nommé Tibor. Ce Tibor habite ici, à Móricgát. Chance : Móricgát est un village vraiment minuscule.
Tibor nous prend en charge ce matin. Il appelle le vétérinaire, et emmène Oswald jusqu’à sa ferme, trois kilomètres plus loin : nous pourrons y rester aussi longtemps que nécessaire ; les juments auront 10 ha de prairie pour elles toutes seules, et de l’eau. On attend donc le véto, qui ne peut pas venir avant demain midi. Quand le diagnostic sera posé, on déménagera les juments si nécessaire.
En attendant, Tibor nous fait fièrement visiter son élevage. Il possède de ces fameux gris de Hongrie. Et 250 moutons et chèvres. Ses moutons ? Des Racka, bien sûr, mais aussi des Mérinos, des Suffolk... et des brebis laitières Lacaune, qu’il a fait venir de France !
Viola (la Viola du manège enchanté), nous avait dit que Bo était un berger très recherché, très estimé, et très bien payé, parce qu’il est le seul berger de Hongrie qui ne soit pas alcoolique ! Eh bien là, nous avons eu droit à un petit échantillon de vrai berger Hongrois !
Tibor sourit avec patience. Il hausse les épaules, l’air de dire : « il faut bien qu’on embauche un berger quand on a des moutons. C’est comme ça, que voulez-vous y faire. Obligés de les prendre comme ils sont... »
Pendant ce temps, le berger, qui a certainement ingurgité plus de pálinka que d’eau fraîche, engueule copieusement son patron résigné. On ne comprend rien à ce qu’il raconte, mais ça n’a pas l’air d’être particulièrement gentil !
Oui mais un berger est absolument nécessaire pour promener toute la journée le troupeau dans la vaste Puszta. Ici, pas de clôtures, pas de parcs... Que voulez-vous que fasse le berger, tout seul toute la journée derrière son troupeau, sinon sortir la fiole de sa poche et s’en enfiler un petit coup ?
31 Juillet
Un très gros monsieur fort jovial, doté d’un superbe double menton, vient nous rendre visite en compagnie de son épouse et de leur petit garçon (environ dix ans) Leur vocabulaire se limite au hongrois. Ils nous offrent une bouteille de tokaji blanc. Je saisis le mot « ló » (cheval) dans le discours volubile du monsieur, qui se met à marcher en boitant. Ah ! Il est au courant de nos malheurs et nous demande des nouvelles de Noé. Moi, toute fière de mes bribes de hongrois : « ló,
ma, jobban. » (cheval, aujourd’hui, mieux). Et j’ajoute : « állatorvos, dél » (vétérinaire, midi) Youpi, il a compris !
On finit par saisir qu’il est le maire du village, et qu’il vient nous souhaiter la bienvenue.
Une gentille journaliste hongroise vient nous presser de questions. Elle veut tout savoir. Très curieuse, elle demande même la permission de regarder à l’intérieur de Kaplumbağa. Dans l’ensemble, pourtant, les Hongrois sont extrêmement discrets. Mais un journaliste reste un journaliste !
À midi, Tibor vient nous dire que le véto n’arrivera qu’à deux heures. Et à 15 heures, le véto n’est toujours pas là.
Il finit par arriver, examine Noé. Douleur intense au sabot. Il pense qu’une radio est nécessaire. Téléphone à l’un de ses collègues « spécialiste des chevaux et beaucoup plus compétent que moi », assure-t-il. En nous demandant si on aura les moyens de payer, parce que ce sera cher !
Quand il faut, il faut !
Donc à 20 heures, voici notre spécialiste. Sa compétence en ce qui concerne les chevaux saute aux yeux. De plus il a manifestement eu une formation en maréchalerie, ce qui augmente encore notre confiance.
Il ne pense pas qu’il s’agisse d’un abcès, mais n’en est pas certain à 100 %. Il soupçonne qu’il s’agit plutôt d’un coup violent, et que ce sera une affaire de quelques jours.
Il pose un cataplasme autour du sabot, l’embobine dans un bandage, et nous protégeons le tout avec une belle sandale « jogging shoe ». Décidément, elles nous auront servi, depuis le début du voyage, ces fameuses chaussures. Pas de la façon qu’on aurait pu prévoir...
Enlever le cataplasme dans deux jours. Si ça va mieux, reprendre la route après une petite semaine de repos. Si ça ne va pas mieux, rappeler le vétérinaire qui cette fois fera une radio.
Premier Août : Móricgát face église – Móricgát prairie 3 km
Nous déménageons donc jusqu’à la prairie proposée par Tibor. Tibor tracte Kaplumbağa par la route avec sa voiture : 3,05 km.
Nous, à pied, on emmène les juments en longe, tout doucement, par le chemin, en les laissant brouter de temps à autre : 3,190 km. Il faut ménager le pied de Noé.
Noé marche bien. Boiterie à peine perceptible. Cependant elle a le pied embobiné dans un cataplasme, et protégé par sa jolie chaussure rouge. Par-dessus le marché, elle est sous anti-inflammatoire. Ne chantons donc pas trop vite victoire.
Le jeu en valait la chandelle : superbe prairie bien verte et bien juteuse, d’une dizaine d’hectares. De quoi tenir le coup un bon moment en cas de nécessité !
Comme il n’y a pas d’eau à proximité, Tibor nous en apporte dans une citerne.
Nous sommes installés dans une zone Natura 2000. Sous les arbres, bien cachée, nous découvrons une rivière dont la vitesse du courant avoisine le zéro centimètre à l’heure. Sa couleur et son odeur, ne nous incitent pas vraiment à vouloir patauger dedans ! Pas même à y amener boire les juments. Mais ça plaît aux grenouilles.
La prairie grouille de criquets. On ne peut faire trois pas sans en voir sauter et voler les centaines. Ce qui fait bien l’affaire des trois cigognes posées là, à quelques dizaines de mètres de Kaplumbağa.
2 Août
Tiens ! De la visite ! Monsieur le maire nous fait l’honneur de venir nous présenter, accompagné de ses deux petits-enfants, son magnifique attelage à deux lipizzans... bais. Eh oui, ça existe. Le lipizzan est un cheval est connu pour sa robe grise et claire. Mais quelques rares individus restent bais. L’École espagnole de Vienne, qui n’utilise que des lipizzans, dispose d’ailleurs par tradition d’un étalon bai à côté de ses étalons gris.
Petite parenthèse pour ceux de nos lecteurs peu au fait du charabia des gens de cheval, et qui pourraient imaginer que les lipizzans sont des chevaux blancs. Un cheval blanc naît blanc. Sous son poil, sa peau est rose. Un cheval gris naît noir ou bai, ou même parfois alezan. Lorsqu’il perd son poil de poulain, il devient gris, et plus il avance en âge, plus son poil blanchit. Il devient donc, aux yeux du profane, un cheval parfaitement « blanc ». Mais sous le poil, la peau reste noire. Dans le jargon équestre, donc, bien que ce cheval paraisse blanc, il n’en garde pas moins la dénomination de « cheval gris ». C’est comme ça, na !
Après quoi, nous allons nous promener à pied avec Altaï. Très longue promenade, pieds nus (ben oui, nous aussi, figurez-vous. Ici, sur ce sable si fin et si doux, c’est un régal. Sauf à la mi-journée, quand le soleil a trop chauffé : gare aux brûlures !) Gigantesque élevage d’oies « en plein air ». Mais parquées, les oies, et vu leur nombre, pas un brin d’herbe à leur disposition. Souvenirs lointains des troupeaux d’oies qui se dandinaient librement dans la Puszta, se gavant d’herbe et d’insectes, accompagnés de leurs gardiennes. Elles mangent quoi, celles-ci ? Des céréales gavées de pesticides et du soja arrivé du Brésil ?
Mais quelle est donc cette fleur ? Quelqu’un de nos lecteur saurait-il nous renseigner ? On nous dit ici que c’est une mauve. C’est bien joli, mais des mauves, il en existe plus de mille espèces !
Voici des panneaux dont je ne comprend pas le sens. Bon, terület, c’est le territoire. « Natura 2000 terület. » Mais ces autres, là, plus loin ? « Magánterület » et puis « tilos az átjárás » et « tilos a horgaszas ». « tilos », ça on sait que ça veut dire : « interdit ». On en voit partout, des « tilos ». Pour les autres mots, il faudra que je m’en souvienne pour en chercher la signification au retour. (pas de carnet dans la poche.) Alors je m’invente une histoire. « átjárás » se prononce « atiarache » ça fera « ah ! Tu arraches ! » « magán » ? « mon gant », qui deviendra « ma gant ». « horgaszas » se prononce « horgassache » ça deviendra « orgue à chasse » en me souvenant qu’on bafouille avec l’histoire du « chasseur sachez chasser sans chien » et que j’ai bafouillé, donc il faudra que je change le « chasse » en « sache ». Bon, alors à cause d’un chasseur qui a fait trop de raffut avec son « orgue à chasse », un pauvre chevreuil s’est enfui. Il s’est embourbé dans cette immonde rivière, et il faudrait pouvoir le tirer de là. Je prête « ma gant » à Oswald, et je lui demande d’attraper le chevreuil par un bois et de tirer, pendant que je lui crie « Ah ! Tu arraches ! » Voilà notre chevreuil libéré.
De retour à la roulotte, j’ouvre le dictionnaire. Grâce à mon histoire, je me souviens de tous les mots que je voulais chercher. C’est comme ça que j’apprends le hongrois, moi. C’est plus amusant que de rabâcher quinze fois un mot, pour ne même pas s’en souvenir quand on en a besoin. Pour conclure : « Magánterület », c’est « propriété privée » ; « tilos az átjárás » … c’est passage interdit. « tilos a horgaszas », c’est l’interdiction de pêcher. Vu l’état de la rivière, je ne sais pas trop quel goût pourraient bien avoir les poissons.
En tout cas, on n’avait pas vraiment le droit de passer par là. Bah ! On aurait toujours eu l’excuse de ne pas avoir compris. Ça, je sais dire : « nem értem magyarul » (je ne comprends pas le hongrois)
Ouais, mais c’est pas l’tout d’s’amuser avec les mots. Faudrait p’t’être penser aussi un peu au boulot. Réglage des brides Nurtural sans mors, dont les muserolles étaient placées trop bas. Et pour cause : les montants de bride en étaient à leur trou maximum. Il faut donc repercer des trous pour pouvoir ajuster. Essai sur les juments. Ça a l’air concluant. On verra à l’usage, quand on repartira. J’aimerais bien obtenir un confort maximum pour Océane et Noé.
Il faut aussi que je couse un renfort au pad d’Océane, à l’endroit où frottent les traits : le tissu est usé, et le rembourrage apparaît.
Oswald a bricolé un support pour le petit ventilateur de Lada acheté au marché de Kecskemét. Par les chaleurs qui courent, qu’est-ce que ça fait du bien, un petit brassage d’air ! Inconvénient : la bestiole est un peu bruyante. Il faut choisir : soit dégouliner de sueur en étouffant, soit avoir les oreilles cassées. On alterne.
Tout le long du pré, des sureaux dont les grappes mûrissent. Cueillette des baies, confitures. On ajoute du citron, quelques clous de girofle. Délicieux !
Soir : coucher de soleil en attente d’orage. Spectacle sublime. On s’en met plein les yeux.
Promenade vespérale et romantique avant l’obscurité. Cigognes : je vous la mets quand même, cette photo-là, on aurait qu’à dire que ce serait un flou artistique.
Hirondelles, martinets, criquets, héron, chevreuils, guêpiers qui regagnent le nid, grillons, étourneaux, moustiques. Depuis une dizaine de jours, les chevreuils sont en plein rut. Toutes les nuits, on a droit à leurs déchirants cris d’amour.
Invasion de mouches ! Oswald est horrifié. Quant à moi, quelques mouches ne me gênent pas du tout, mais trop c’est trop. Là, ça exagère un peu quand même. Tapettes, vinaigre, papier glu (pas très efficace, le papier glu hongrois, mais enfin c’est toujours ça de moins, les quelques unes qui s’y prennent.) Le jour, on est bien obligé de laisser la porte ouverte : ça provoque un léger courant d’air avec la fenêtre du fond, équipée d’une moustiquaire. Si on ferme, la roulotte se transforme très vite en étuve. Le soir, on ferme la porte, et on joue de la tapette à deux voix avant de se coucher. On en zigouille combien ? Cent ? Deux cents ? On ne les compte pas.
Et s’il n’y avait que les mouches ! La porte fermée, la fenêtre moustiquairée, les mouches assassinées, on se croit enfin tranquille. On se couche, on allume la lumière, et je commence à lire à haute voix. (En ce moment : « les Misérables ». Victor Hugo. Oswald ne connaissait pas.) Et tout d’un coup, les pages de la liseuse électronique qui se mettent à tourner toute seules ! C’est quoi, ça ? Des moucherons ! Des moucherons si minuscules qu’ils passent à travers les mailles de la moustiquaire, attirés par la lumière. Si seulement ils se contentaient de venir nous picoter les trous de nez. Mais non ! Il faut encore qu’ils se posent sur la liseuse. Trop sensible, la liseuse : les chatouillis des pattes moucheronesques lui font croire qu’il faut tourner la page. Les pages, même : des fois, c’est trois ou quatre d’un coup qui sautent. Tu parles si c’est énervant ! Il faut que je retourne en arrière, et je ne sais plus où j’en suis. Deux fois, trois fois, dix fois !
J’épingle un foulard par-dessus la moustiquaire en espérant que ça empêchera au moins l’entrée de nouveaux venus... Je termine tant bien que mal le chapitre commencé. Il va falloir prendre des dispositions sérieuses. Fermer les volets, par cette chaleur, la barbe !
6 Août
Toujours très chaud. Le gros orage d’avant-hier, accompagné de pluie diluvienne, n’a un tout petit peu rafraîchi l’atmosphère que le temps d’une soirée. Depuis, ciel bleu et soleil de plomb. Fondu, le plomb. On dégouline. Le ventilateur ne nous rafraîchit que le temps qu’il fonctionne, et on ne le laisse pas tourner trop longtemps : son boucan nous abasourdit. On mouille les tee-shirt, on s’arrose d’eau froide, ça soulage deux minutes trois quart.
17 h. Oswald pique un petit roupillon dans son hamac à moustiquaire, dans l’ombre des sous-bois. Je lave le linge derrière la roulotte. Je n’ai sur moi qu’un ample maillot de corps, sans rien dessous. Encore heureux que je ne sois pas à poil ! Un voiture quitte la route. (Elle se trouve à environ 50 mètres Kaplumbağa, la route, et nous sommes stationnés à environ un kilomètre du village. Aucune maison alentours.) La bagnole traverse le pré avec un épouvantable bruit de moteur maltraité. Elle vient se ranger contre la clôture des juments. Un type en descend, saoul à tomber par terre. Jeune et assez beau garçon. Quel gâchis ! Après, on s’étonne de voir des « descansos » partout au bord des routes ! Si encore ce genre d’individu ne prenait de risques que contre lui-même, ça le regarderait. Mais risquer comme ça la peau des autres... Je m’aperçois que mes vieux traumatismes ne sont pas vraiment cicatrisés. Tout ça m’écœure et me fait trembler. Le type titube, grommelle, bougonne, marmonne... Je saute dans la roulotte pour au moins enfiler vite fait un pantalon. Il crie. Je ressort. « Nem Magyarul », que je lui dis. Aucune envie de tester mon hongrois balbutiant avec ce pochard. Du coup, il se met à dégorger quelques mots en allemand, que je ne saisis guère mieux que le hongrois. Il finit par me montrer sa cigarette, et me faire comprendre qu’il veut du feu. Je sors le boite d’allumettes qu’il fixe avec un regard ahuri. Il s’attendait manifestement à un briquet. Il est incapable de frotter une allumette contre le grattoir. Je le fais pour lui. j’allume la cigarette qui tremble entre ses lèvres. Il avale une bouffée avec une manifeste volupté (il devait souffrir d’un sérieux manque.) Il balbutie un vague « köszi », abréviation de « köszönöm », je suppose, remonte dans son tacot, fait hurler le moteur, manque d’un quart de poil le panneau indicateur, enfile la route « à l’anglaise ». Deux cyclistes qui pédalaient tranquillement ont juste le temps de se jeter su le bas-côté. Assassin, va !
Les deux cigognes et le héron qui nous tiennent compagnie sont toujours là, à se gaver de criquets. J’ai enfin réussi quelques photos pas trop moches. Fort heureusement, les cigognes ont dû nous juger trop décrépis pour laisser leur petit colis à la porte de Kaplumbağa.
8 Août : Móricgát – Jászszentlászló 8 km
Petite étape pour ne pas trop bousculer Noé. (Ni trop bousculer la Anne et le Oswald : il fait très chaud.) Mais une semaine d’herbe verte et de repos l’ont bien émoustillée, la Noé. Elle est tout électrique, ce matin. Tellement excitée de repartir qu’elle en marche sur le pied d’Oswald. Aïe ! Voilà que c’est Oswald qui se met à boiter !
Comme toujours depuis notre arrivée en Hongrie, aucun problème pour trouver un emplacement. De l’herbe, de l’ombre, un gentil monsieur qui nous propose sa charrette à bras pour ramener le bac plein d’eau aux juments, une gentille dame qui nous offre des tomates, des poivrons, des brugnons et des tisanes, que demander de plus ?
Cerise sur le gâteau : pas de mouche !
Deux femmes âgées, en vélo, arrivent jusqu’à Kaplumbağa en brandissant triomphalement un journal : elles viennent rendre visite aux « célébrités. » Sur le journal, l’article écrit par la jeune journaliste qui était venue jouer les curieuses à Móricgát. Je photographie l’article, parce que la dame tient manifestement à conserver son journal. Photo floue et loupée, mais on peut y lire le titre quand même. Donc, je ne peux m’empêcher de l’insérer ici, juste pour te montrer que les journalistes Hongrois sont aussi exagérateurs que leurs collègues français : « Világjáró » signifie en effet « tour du monde ». Rien que ça !!! Nous avions pourtant fait part de nos projets, beaucoup plus modestes, à cette jeune femme. Visiblement, ça ne lui suffisait pas !
9 Août : Jászszentlászló – Csengele 13 km
Partis suffisamment tôt pour arriver à Csengele à 8 heures. Il fait déjà 30° à l’ombre !
On s’arrête devant l’épicerie. Oswald descend présenter le petit mot magique écrit par Bo. Aussitôt, tout le monde se plie en quatre pour nous dénicher un emplacement. Pendant qu’Oswald discute, une jeune femme toute blonde et toute souriante vient me proposer ses services comme interprète : elle parle un excellent anglais et se prénomme Tündi.
Un monsieur veut emmener Oswald en voiture pour reconnaître les lieux. Oswald me crie de rester ici pour l’attendre et monte dans le véhicule. Puis il me fait signe par la fenêtre qu’il faut suivre. Il en a de bonne, lui ! Il a placé une cale devant une roue de la roulotte pour que je n’aie pas à rester le pied sur le frein pendant qu’il parlementait. Je ne bouge pas. Un homme resté sur le trottoir me fait impérativement signe d’avancer. Je lui fais signe, moi, de venir ici, en lui montrant la roue de la roulotte. Il ne comprend pas et continue son geste. Un autre passe en vélo. J’ai l’idée de lui montrer l’autre cale, posée à côté de moi. TILT !
(Je n’ai pas assez confiance en la sagesse des juments pour descendre enlever la cale sans laisser personne aux commandes : et si elles démarraient toutes seules avec la roulotte au derrière ?????)
Tout cela m’a fait perdre pas mal de temps. J’ai à peine avancé d’une centaine de mètres qu’Oswald revient déjà. Il me rejoint dans la roulotte. Au moment où on s’apprête à démarrer, revoilà Tündi. Elle nous dit de la suivre. Elle va nous emmener jusqu’au pré, et nous montrera où on peut prendre l’eau. On suit donc. Les juments ont compris le rôle de la voiture de Tündi, qui roule tout doucement devant elles. Même pas besoin de les guider. Quand Tündi change de direction, elles tournent derrière elle. À l’une de ces intersections de route, justement, quelqu’un nous siffle. Strident, le coup de sifflet ! Je n’ai jamais réussi à en sortir de mes lèvres un aussi sonore, même pour appeler mes chiens ! Plusieurs gamines nous courent après en criant : « kavé ! kavé ! » (café)
On explique à Tündi qu’elle doit expliquer à ces gens qu’on veut bien un café... mais quand les juments seront installées. Tündi traduit.
Terrain à l’ombre de grands peupliers, herbe abondante, eau à proximité...
Une fois les juments libérées et le chien abreuvé, nous retournons à pied chez nos inviteurs.
Non seulement café, mais on nous invite à manger un petit quelque chose (il est environ 10 heures). Petit quelque chose ??? Poule au pot avec carottes, navets et plâtrée de choux ! Les fillettes sont vraiment adorables. La plus petite, âgée de trois ans, tient absolument à ce qu’Oswald essaie sa minuscule paire de lunettes de soleil. Bien dommage qu’on n’ait pas pensé à apporter l’appareil photo. Je ne raconte pas chacune des invitations qu’on nous fait (déjà que j’en écris trop long, prétend Oswald) mais celle-ci est à noter dans les annales. Car l’homme de la maison, Imre, est un csikos ! Kati, sa femme Roumaine, apparemment très fière de son époux, nous montre des vidéos, où Imre, puis son frère, dans leur superbe costume traditionnel, galopent debout sur deux chevaux, un pied sur chaque cheval, menant devant eux trois autres chevaux. Ce qu’en France on nomme « la poste hongroise », quoi. Là, ça commence à fortement nous intéresser. Avec mon tout petit hongrois et force gestes, on arrive à se comprendre. Kati nous montre une autre vidéo où des csikosok mènent ainsi onze chevaux à la fois. Je soupçonne, à la sonorité du coup de sifflet lancé par Imre pour attirer notre attention, que ce genre de « musique » doit pas mal lui servir dans ses « discussions » avec les chevaux.
10 Août : Csengele – Pusztaszer
Route sans histoire, avec un très bel emplacement à l’arrivée, que Bo nous avait indiqué. Derrière le terrain de foot. De l’ombre. Très important pour les juments par les temps qui courent : 35° à l’ombre à 9 heures du matin. Un bistro juste à côté. Très important pour les humains par les temps qui courent : 40° à l’ombre à 11 heures. On n’a pas de frigo dans la roulotte : y’en a marre de l’eau tiédasse. Mmmmmm.... un bon jus d’orange bien frais. Pour Oswald, ce sera un Coca Cola, kérek (s’il vous plaît) !
Pas très loin, un joli petit étang.
Kaplumbağa tout près d’un puits à balancier... qui ne se trouve plus là que pour la décoration.
12 Août : Pusztaszer – Pitricsom (commune Ópusztaszer) 16,5 km
Départ : Noé trotte allègrement.
Au bout de deux ou trois kilomètres, elle se met à boiter très sérieusement. Merde. Arrivera-t-on au bout de l’étape prévue ? Où nous voulons rester quelques jours, justement, le temps de faire venir le meilleur vétérinaire de Budapest pour poser un diagnostic fiable.
Je me décide à croiser les traits sous le timon, comme Léna nous avait suggéré de le faire, de façon à égaliser le force de traction des deux juments.
Océane obligée de tirer au même rythme que Noé.
Noé qui peine moins se remet au trot d’elle-même.
Je laisse faire. Après tout, c’est bien elle qui sent dans quelle allure elle se sent le plus à l’aise.
Ópusztaszer. Une voiture nous double, s’arrête devant nous. En descendent un homme et une femme, l’air pas contents du tout : « kutya ! kutya ! » (chien ! Chien !)
Quoi, qu’est-ce qui se passe encore, avec le chien ? Il court en liberté à côté de nous, on va pas encore nous en faire tout un fromage ! D’accord, il fait chaud, d’accord, il tire la langue, mais les juments aussi ont chaud. Et nous aussi, d’ailleurs !
Je dis gentiment au monsieur qu’on vient de France, pendant que la dame se précipite à l’arrière de la roulotte. Le monsieur crie « kutya » en se frappant la poitrine. Il est fou, ou quoi ? La dame réapparaît toute penaude et dit « nem, nem ». D’un coup, on comprend ! Ces gens croyaient qu’Altaï était leur chien à eux, qui aurait entrepris de nous suivre. Éclats de rires. Salutations cordiales. Faut croire qu’Altaï a un presque sosie ici.
L’endroit que nous a indiqué Bo se trouve à environ 5 km du village. Toute petite route ombragée. Forêt d’acacias. Puis chemin de sable.
(Le long bâton que tu peux voir sur la photo ci-dessus, rassure-toi, c’est pas pour taper sur les juments. C’est juste pour chasser les taons qui les enquiquinent sans descendre de la roulotte.)
Le hameau, quelques maisons éparpillées çà et là, se nomme Pitricsom. Là, Tamás, l’ami de Bo, nous attend. Bo lui a téléphoné pour le prévenir que nous arrivions. Il nous fait signe de le suivre. Il chevauche une grosse moto.
Soudainement, sans que rien n’ai pu le laisser prévoir, le bloc freins se décroche ! Les juments paniquent (Pourquoi ? Secousse de la roulotte ? Sensation bizarre en tirant ? D’habitude, elles ne s’émeuvent pas si facilement. Même pas pour le « bang » d’un avion.) Elles se lancent au galop. Plus de frein du tout. Plus du tout du tout. Elles ont l’habitude, quand je les arrête, que je ponctue mon ordre d’un petit coup de frein. Je n’y pense même pas, tellement c’est machinal. N’ayant pas cet ordre-là, déboussolées par le déséquilibre de Kaplumbağa, elles n’obtempèrent plus.
Tamás gare sa moto sur le bas-côté pour leur laisser le champ libre.
Une prairie fraîchement fauchée sur la droite. Je dirige Océane et Noé dessus. Heureusement, elles obéissent aux ordres directifs. J’entame une large volte, les oblige à tourner. Elles finissent par s’arrêter, pantelantes, dégoulinantes de sueur. Oswald descend de la roulotte, les caresse, les rassure. C’est moi qui ne suis pas rassurée du tout ! Réminiscences de l’accident avec Râli et Sekü, nos deux mulets déboussolés. Mal au bras, qui a heurté je ne sais quoi. Et puis du coup, on a dépassé le chemin où on devait tourner.
Une femme arrive. C’est elle qui va nous guider parce que Tamás doit aller travailler. Le bloc frein bringuebale dans la roue. Ça fait un vacarme effrayant. Nos louloutes suivent tranquillement Oswald, qui marche devant elles. Je tremble. Si elles allaient recommencer ? Mais non. Elles ont compris que quelque chose ne tourne pas rond et marchent à tout petits pas, avec la plus grande prudence.
La femme, Shikha, une Italienne qui vit depuis plus de vingt ans ici, nous installe dans une mignonne petite ferme inhabitée qui appartient à sa fille. Laquelle n’y vient que rarement.
La corvée d’eau est assez baroque. Une pompe manuelle qui se désamorce sans cesse !
Un temps fou pour remplir la bassine.
De plus, cette eau là n’est pas potable. Il faudra bien que Noé, Océane et Altaï s’en contentent. Pour nous, on a quand même 15 litres d’avance. On est loin de tout, ce qui me plaît bien à moi, pas trop à Oswald. Bah, on finira bien par s’organiser.
La clôture montée, les juments au pré, on s’en va constater les dégâts.
Ben dis donc, c’est pas drôle. Ce n’est pas seulement un boulon dévissé. Le bloc frein s’est dessoudé. Bien sûr le tuyau de lookheed est cassé, et on a perdu tout le liquide. Ce qui explique pourquoi les freins arrière ne fonctionnaient pas non plus.
Mais... On est vraiment stupides ! La panique rend idiot. On aurait tout bonnement dû serrer le frein à main ! Il n’est pas relié au système, lui ! Enfin, ça ne sert à rien d’éprouver des remords. On est vivants, c’est le principal.
Du 13 au 24 Août
Tamás a organisé le sauvetage. 14 Août : Adam, un éleveur-dresseur de chevaux de traits hongrois, vient chercher Kaplumbağa pour la remorquer avec une voiture jusqu’au garage à Kistelek.
Le mécano a promis le travail pour lundi. Il va tout vérifier et tout consolider de façon qu’une chose pareille ne puisse plus arriver. Shikha met la petite maison de sa fille à notre disposition. On a déménagé Kaplumbağa avant de la laisser partir. C’est pas rien : le matelas, les provisions, les ordinateurs, les appareils photos, la nourriture du chien, le matériel de pansage pour les juments, les carnets de croquis, les cahiers, les affaires de toilette, nos papiers, les sous, la liseuse électronique (on vient de terminer les misérables du petit père Hugo, on se lance dans dans le « David Copperfield » de Dickens.) On n’oublie rien ? Ça serait bien étonnant !
La chambre où on dort est équipée d’un beau poêle de masse. Ce n’est pas qu’on en ait vraiment besoin...
Les petites fermes traditionnelles étaient bien entendu bâties avec les matières disponibles à proximité immédiate. Argile est roseaux. Maisons d’adobe et toit de chaume. Ici, à Pitricsom, il y a encore un petit atelier pour la fabrication des briques :
Les toilettes au fond du jardin ? Acacia (ça pousse à foison par ici), et roseaux
Un joli poulailler un peu délabré
nous permet de voir comment on fabriquait les plafonds : 5 ou 6 couches de roseaux croisées, et par-dessus, une épaisse couche de ce fameux mélange : argile + paille + bouse de vache.
Et voici la rustique toiture : linteaux d’acacia écorcé et chaume de roseaux.
Intrigués. Les juments lèchent le sol avec assiduité et semblent de régaler. Elles ont pourtant une pierre à sel à leur disposition. Jusque là, elles ne semblaient pas avoir un attrait particulier pour le sable...
Pigé ! Ce n’est que sous le grand mûrier, qu’elles font cela. Tout bonnement, elles se régalent des mûres ratatinées et racornies comme des raisins secs, depuis longtemps tombées de l’arbre.
Longues promenades pieds nus sur les chemins de sable tout doux tout toux. Plantes envahissantes dans le coin : herbe aux perruches et chanvre.
Tamás élève des paons de plusieurs variétés, et des buffles. L’élevage des buffles est encouragé par le gouvernement hongrois : 300 € de subvention par an et par bufflonne. Les bufflonnes ne donnent pas énormément de lait, mais c’est un lait d’excellente qualité, très riche en matières grasse. Tamás ne trait pas ses bufflonnes, il laisse les bufflonneaux accomplir ce travail-là, et les vend à l’âge de huit mois.
Visite sous la pluie du grand parc d’Opusztaszer, national, grandiose, patriote, à la gloire de la Hongrie, de ses rois, de son drapeau, de sa fierté nationale. Ma parole ! Y’a pas que les Français qui chantent Cocorico !
Superbes dômes censés représenter des yourtes, chacun construit pour honorer une chose, un événement, une personne ou plusieurs, pourvu que ce soit Hongrois.
L’un d’eux, par exemple, est dédié à tous les Hongrois expatriés qui vivent hors de leur pays. Au pied du dôme, une grande mappemonde indiquant, pour chaque continent, le nombre de Hongrois qui y vivent. Juste au pied de ce dôme, nous rencontrons un couple franco-hongrois, vivant en France, mais passant dans le coin ses vacances. Le jeune homme, lui-même Hongrois expatrié, se lance dans une assez violente diatribe contre les étrangers qui viennent envahir la Hongrie !!! Oswald lui fait remarquer que les Magyars, dont on chante ici les louanges, n’étaient pourtant autres que d’affreux envahisseurs, lorsqu’ils sont arrivés dans la région ! Et puis si on allait rouspéter, nous, contre les Hongrois qui viennent envahir la France, au point même de devenir président de la république ? C’est une chose qui s’est déjà vue, non ???
Village restauré en respectant « le bon vieux temps », habité seulement aux heures ouvrables par des dames en costume traditionnel qui filent la laine au rouet sous l’œil émerveillé des touristes.
Échantillon de diverses sortes de dépendances de ferme. Intéressant.
De belles yourtes quand même, qu’on n’a pas eu l’idée de prendre en photo !
En fait, on était surtout venu pour voir des démonstrations de csikosok et de tir à l’arc à cheval. Ce ne sera que dans l’après-midi. Il pleut à seaux. On n’a pas le courage de rester là, à poireauter... On retourne donc à la roulotte, mi-figue, mi-raisin, un peu déçus quand même. Heureusement, c’était journée porte ouverte, l’entrée était gratuite.
Récupéré la roulotte.
Voilà, voilà... Visite du vétérinaire. Radios pieds Noé . Diagnostic : fourbure chronique. La première phalange de chacun des antérieurs a commencé à basculer légèrement et n’est plus exactement parallèle à la paroi du sabot. Ça ne date pas d’hier, selon toute apparence. Probablement de la fourbure aiguë à laquelle on a eu droit en Septembre dernier. Le problème n’est pas très important, et ça ne nous empêchera pas de continuer la route. Mais ça peut gêner Noé périodiquement...
Pas dramatique, mais il va falloir prendre des précautions. Le vétérinaire serait partisan de ferrer les antérieurs pour tenir les sabots. Nous ne sommes vraiment pas chauds. Nous attendons la visite d’un maréchal en début de semaine prochaine, puisque de toute façon, un parage drastique s’avère nécessaire. Nous attendons aussi l’avis et les conseils de Pierre Enoff, grand spécialiste du cheval pieds nus. Nous savons qu’il aime trop les chevaux pour nous suggérer quoi que ce soit qui puisse mettre en danger la santé de Noé.
À SUIVRE ...
Quelques remarques
La Puszta, c’est la steppe de la Hongrie. Puszta, en hongrois, signifie « nu, vide, désert ». C’est un paysage ouvert composé d’une végétation herbeuse sauvage, touffue et buissonnante. Beaucoup de roseaux, qui autrefois protégeaient les habitants (eux seuls connaissaient les passages.)
Elle était à l’origine principalement habitée par des bergers et des vachers cavaliers, les fameux csikósok (voir plus loin)
Malheureusement (à notre goût du moins) une partie de la Puszta, en tout cas celle où nous nous trouvons actuellement, est désormais plutôt vouée à la culture. Assez surprenant, d’ailleurs, au premier abord, parce que le sol de la Puszta, c’est du sable, du sable, encore du sable. En fait cette région était autrefois entièrement recouverte par la mer de Pannonie au Miocène et au Pliocène. Les pierres sont si rares que chacune d’entre elles est soigneusement ramassée tant elle est précieuse. Sous le sable, de l’argile, d’où les constructions en briques d’adobe. Pour cela, la matière première ne manque pas. Malgré tout, ça pousse ! Ce sable-là est en effet parfaitement fertile et cultivable. Ben oui, quoi, en fait c’est pas du vrai sable, c’est du loess, déposé au Pléistocène (encore un terme barbare ! t’exagères, la Anne) par le vent, après que la mer se soit retirée. (J’vais pas faire un cours de géologie, pis quoi encore ! Si tu ne sais pas ce que c’est que du loess et que ça te titille de l’apprendre, t’as qu’à demander à Google, na !) L’eau se trouve partout, à faible profondeur (5 mètres environ) De nombreux puits sont d’ailleurs encore en service, mais on en tire l’eau désormais plus souvent avec une pompe qu’avec un balancier. Le maïs (irrigué), des céréales, des pommes de terre, du tournesol, des cultures maraîchères, des oies de plein air qui ne mangent sûrement pas beaucoup d’herbe, vu leur concentration et l’état du sol (autrefois, les oies étaient menées au champ par une gardienne et bénéficiaient de vastes parcours, comme c’est encore le cas pour les moutons et pour les vaches. Mais il faut croire qu’en ce qui concerne les oies, les clôtures reviennent moins cher que les gardiennes.) Bonjour les odeurs quand on passe à côté !
Beaucoup d’arbres, quand même, mais ce n’est que rarement de la forêt naturelle : il s’agit de plantations peuplier-acacia, qui si j’ai bien compris, sont mises en place pour deux raisons.
* Une vraie exploitation à courte rotation : les arbres sont régulièrement taillés pour produire de la biomasse. On récolte tous les 2 ou 3 ans ou tous les 7 ou 8 ans pendant 20 ou 25 ans : le bois est entièrement déchiqueté et vendu sous forme de « plaquettes », destinées à des fins énergétiques.
* Une plantation faite seulement pour occuper la terre. En effet, en Hongrie, lorsqu’on est propriétaire d’un terrain, il est obligatoire de l’utiliser. Soit pour la culture, soit pour l’élevage, soit pour la plantation de bois. On croise donc quand même des parcelles de grands arbres. Le bois d’acacia sera utilisé pour la construction. Et ces superbes peupliers blancs sont paraît-il une variété relativement récente, à croissance très rapide, dont le bois est suffisamment dur pour servir aussi à la construction, et faire du bon bois de chauffage.
Malgré tout, plus au Nord, il existe un vaste espace protégé, nommé « Parc national de Hortobágy - la Puszta », devenu patrimoine mondial de l’UNESCO en 1999.
Et plusieurs petits parcs régionaux, ou territoires classés « Natura 2000 », comme celui où nous étions installés à Móricgát.
Leçon de Hongrois, puisque j’ai parlé de ma méthode d’apprentissage. Un mot très important pour nous : ROULOTTE.
Ça se dit comment roulotte, en hongrois ? LAKÓKOCSI. C’est composé de deux mots : « lakó » qui signifie « habité » et « kocsi », qui veut dire « voiture ». Lis bien. Allez, je t’aide un peu. Le « cs » se lit « tch ». Tu devines le moyen mnémotechnique que j’ai inventé pour retenir ce mot-là ? Non ? Vraiment pas ? Je n’osais pas l’avouer, mais puisque le Oswald enfreint allègrement les tabous, pourquoi que j’en ferais pas autant, hein ? Dis ?
Ben voilà la réponse, au cas où tu n’aurais pas encore trouvé : LAKÓKOCSI se prononce très exactement « la cocotte chie ».
Oswald est très étonné qu’il n’existe pas en français un mot ou une expression populaire pour dire « moyen mnémotechnique », qui fait quand même un tout petit peu langage châtié. (Ou quelqu’un en connaîtrait-il un ?) En allemand, ça se dit « Eselsbrücke » c’est à dire, si on traduit littéralement : « passerelle de bourricot ». Mignon, non ?
Csikós (pluriel csikósok) ? Kéksékça ?
Les csikósok, cavaliers de la steppe hongroise, gardiens de troupeaux de chevaux, ont une technique équestre pour le moins originale. Avec leur partenaire le cheval Nonius ils excellent dans ce qu’on appelle en français la Poste Hongroise et cherchent à préserver leurs traditions et leur savoir-faire équestre.
Cette technique est née des besoins militaires de l’empire austro-hongrois : elle permettait d’amener des chevaux frais aux armées sans selle ni attelage. Un seul homme pouvant mener entre 5 et 11 chevaux.
Les Hongrois ont été l’un des grands peuples cavaliers d’Europe centrale, héritier des guerriers magyars venus de l’Oural. Du coup, les csikósok restent les fiers représentants de cette tradition.
Ils ont donné aux armées européennes nombre de ces fameux cavaliers légers : les Hussards.
Csikós signifie : « gardien de troupeau de chevaux » On prononce « tchicôche »
Les csikósok sont donc les éleveurs et les gardiens des chevaux en Hongrie. Un gardien de vaches est un gulyás (prononcer gouliache). Un gardien de moutons est un juhász (prononcer youhasse, en aspirant fortement le h). Un gardien de porcs est un kondás (pronnoncer konnedache).
Les csikósok pratiquent des méthodes de dressage très spéciales. Ils utilisent notamment un fouet qu’ils fabriquent eux-mêmes. Ce fouet, animé par la rotation des poignets, décrit dans l’air un jeu de cercles. Il n’est en aucun cas utilisé pour toucher les chevaux. Il claque bien au-dessus de la tête des cavaliers, et le son qu’il émet en frappant l’air permet de diriger les troupeaux.
Les csikósok passaient au XIXème siècle pour de rudes types, voire pour des brigands. Mais ces brigands à cheval, appelés "betyár", avaient la réputation plutôt vertueuse de voler aux riches pour donner aux pauvres.(Il y existe de nombreuses légendes à ce sujet).
Les csikósok, qui étaient des milliers autrefois, ne sont plus aujourd’hui que quelques dizaines.
Ces derniers Csikos travaillent principalement pour le Haras d’Epona (Hortobágy) comme gardiens de chevaux. Certains d’entre eux possèdent, en parallèle, leur propre petit élevage.
Leur travail consiste à mener chaque jour les chevaux de l’écurie à la Puszta et à les faire courir à travers la plaine à l’aide de leur célèbre fouet pour les faire suer. Cette suée permet de développer une musculature puissante, qui a fait la renommée mondiale de l’élevage de Hortobágy.
J’ai parlé d’Océane et Noé qui se régalent de mûres séchées tombées sous les mûriers.
Des mûriers, il y en a partout en Hongrie. Souvent superbes. En juillet, lorsque les fruits tombent, on entend sous leur ombre un bourdonnement intense. Ce sont de grosses mouches grises qui viennent faire bombance.
Puisque je parle de mûrier, je me sens maintenant obligée d’aborder un sujet fort éloigné de mes matières de prédilection. Tous ceux qui me connaissent savent à quel point je l’ai en horreur ! Passons. Je suis bien certaine que cette question-là va intéresser sérieusement un certain nombre de nos lecteurs assidus. Je vais donc essayer de passer outre mes petites phobies toutes personnelles. Difficile de traverser la Hongrie en escamotant cette chose dont il ne se passe pas un jour sans que nous entendions prononcer son nom :
Pálinka !
La pálinka est une eau-de-vie traditionnelle à double distillation produite dans les régions de langue hongroise du bassin des Carpates, surtout en Hongrie et en Transylvanie. Le mot « pálinka » dérive du slave « pálit », qui signifie brûler, distiller. La pálinka peut être faite à partir de prunes, de pommes, de poires, d’abricots, de coings plus pomme ou poire ou de cerises. La pálinka est considérée comme la boisson nationale hongroise.
La quantité d’alcool peut varier de 35 à 70 %. Le maximum légal pour la vente en magasin est de 40°. Les versions les plus alcoolisées sont surnommées en hongrois « kerítés szaggató »
(« défonceur de barrière »)
« En petite quantité un médicament, en grande quantité un remède », voilà ce que disent les Hongrois de la pálinka. Autrefois, ils aimaient commencer la journée par un bon petit verre de pálinka. Ils étaient tout à fait convaincus qu’ils lui devaient leur bonne santé. (Permets-moi d’émettre, chère lectrice, cher lecteur, quelques doutes tout à fait personnels et qui n’engagent que moi)
Le premier écrit connu où il est fait mention d’une eau-de-vie Hongroise date du XIVème siècle. Cette eau-de vie apparaît sous le nom « Aqua vitae reginae Hungariae » de l’épouse du roi
Charles Ier de Hongrie. Ce spiritueux contenait du romarin et il était utilisé pour soigner le roi et la reine, qui souffraient d’arthrite.
En Hongrie, pour les anniversaires, les mariages, les enterrements, il est inimaginable de ne pas boire un coup de pálinka, soit pour rehausser le plaisir, soit pour soulager la douleur.
« Pálinkás jó reggelt ! » est une salutation hongroise : « Bonne journée avec la pálinka ! »
La pálinka traditionnelle était un élément important de l’alimentation villageoise. Le travail agricole était physiquement exigeant et les repas comprenaient surtout du pain, du lard, du jambon et des oignons. Le petit verre de pálinka aidait à faire passer cette alimentation malsaine. Néanmoins, l’alcoolisme était fréquent, à tel point qu’un berger pouvait se vanter de boire un litre de pálinka et d’être encore capable de guider son troupeau. (note personnelle : l’alcoolisme EST fréquent, surtout parmi les bergers, si je dois en croire ce que nous a dit Viola à Csöde, et le peu que nous avons pu observer des bergers rencontrés.)
La fabrication de pálinka a toujours été étroitement contrôlée par l’État. Seules les distilleries enregistrées sont autorisées à en fabriquer.
Mais, mais, mais... La distillation clandestine reste assez fréquente, à ce qu’il paraît !
C’est là qu’intervient notre mûrier. Les mûriers étant fort nombreux en Hongrie, leur fruit est utilisé assez couramment, nous a-t-on dit, pour la fabrication de pálinka hors-la-loi. La très mauvaise pálinka artisanale est nommée en « guggolós » : désormais, vous passerez « courbé » sous les fenêtres de la maison où on vous en a servi de façon à éviter une nouvelle tournée. Selon une autre explication, ce serait plutôt la position du corps de celui qui se sauve de la maison en courant pour aller vomir dans les buissons.
À l’inverse, « Fütyülős » sera l’excellente pálinka qui vous fera « siffler » de plaisir.
« Egészségére ! » ( « Santé ! »)
Ah ? Tu veux savoir comment ça se prononce, au cas où... « èguéce chéguérè ». Je ne sais pas trop comment écrire ça, donc je précise : le « e » au bout de èguéce est muet, et le « r » de chéguérè est roulé. T’as plus qu’à t’entraîner...
« Egészségére ! »
Après la parution du dernier épisode de notre journal de voyage, une question nous a été posée à plusieurs reprises : Jozsef nous a offert du ghee, O.K., mais c’est quoi, ça, le ghee ???? Non mais, et puis quoi, encore ? Ça sert à quoi, Wikipédia ? Si tu lis notre site, c’est que t’as aussi accès à Wikipédia, non ? La flemme ? Bon allez, je vais faire ma bonne pâte, pour cette fois. Surtout que ça peut servir à d’autres voyageurs sans réfrigérateur. La découverte de ce truc-là va nous être super-utile : c’est une manière d’avoir du beurre en été sans problème de conservation !
Petite explication :
Le ghee (ou ghi) est un beurre clarifié. On le fait fondre très doucement pour le débarrasser de ses impuretés. La fonte, en effet, permet la séparation des différents composants du beurre. On écrème les éléments solides qui flottent à la surface (essentiellement la caséine). On filtre les autres particules solides qui ont coulé au fond.
Le ghee peut se conserver plusieurs mois sans frigo, même en plein été. Et c’est aussi bon que le beurre.
En plus, il peut remplacer l’huile pour la cuisson : son point de fumée est plus élevé que celui du beurre.
On jette les résidus solides, mais il paraît que dans le nord de l’Inde, où on les appelle mehran, ils sont conservés et mangés en tant que friandise avec des chapatis. On n’a pas essayé.
Kopjafa assez original, pour footballeurs passionnés !
Anne, 24 Août 2015