18 Juillet : Dunaegyháza – Szabadszállás 35,500 km
Notre étape record depuis le début du voyage. On aurait dû s’arrêter plus tôt. Cinq heures de route par cette chaleur, c’était un peu de la folie. On est claqué, les juments aussi. C’est Altaï qui souffre le moins : à chaque rivière, à chaque fossé, il se roule dans l’eau avec volupté et continue le route tout dégoulinant.
Pour nos premiers pas dans la Puszta, nous voici bien déçus : grandes cultures à perte de vue, sur des parcelles immenses. Essentiellement maïs et tournesol, irrigués par d’impressionnants arroseurs. L’eau est pompée dans le Danube. Mais aussi monoculture naturelle, par endroits : roseaux ! Roseaux ! Roseaux ! (Ça, c’est la vraie de vraie Puszta !) Et ça ne doit pas être évident d’éradiquer tous ces roseaux pour les remplacer par des céréales ou autre chose. Car, surprise, ça on n’avait encore jamais vu : des parcelles de carottes d’une dimension impressionnante. On ne se rend pas vraiment compte sur la photo. Je peux me tromper, mais a vue de nez, je dirais que cette parcelle devait compter une bonne soixantaine d’hectares (je compare avec la superficie de la Roche, pour me donner une idée : à peu près aussi grand ? Moins grand ? Plus grand ? Beaucoup plus grand ?)
Et dans les mêmes proportions : pommes de terre, citrouilles, oignon, poivron. Bref, des végétaux qu’on a pas trop l’habitude de voir en gigantesque monoculture.
Malgré tout, on a droit à un petit coin de Puszta telle que j’en gardais des souvenirs (de 1973, les souvenirs... Peut-être que ma mémoire avait sélectionné !)
Les bas-côtés de la route sont colonisés par du chanvre, du chénopode, et aussi par les plantes à perruches qui pullulent.
En arrivant, on trouve un emplacement dans la ville même, juste en face d’une marchande de fruits et légumes, qui vend aussi... des glaces ! Pas besoin de t’expliquer à quoi on dépense nos sous !
Je prépare un jeu de clogs tout neuf pour Noé : les siens commencent à être bien usés. Ils peuvent encore servir un peu, mais on va les garder en dépannage.
19 Juillet : Szabadszállás – Izsák 16 km
On a été plus raisonnables aujourd’hui. 16 kilomètres, c’est largement suffisant, aussi bien pour les juments que pour nous.
Route toute plate et toute droite.
D’abord les mêmes grandes cultures qu’hier, puis une très belle forêt (acacias, frênes, peupliers, sumacs) De l’ombre ! Un semblant de fraîcheur !
Puis à la sortie de la forêt, toujours des cultures, mais en parcelles de dimensions beaucoup plus raisonnables, et avec une grande variété : vigne, légumes divers. Encore du maïs et du tournesol, mais non irrigué, donc beaucoup plus rachitique. Le Danube est trop éloigné, désormais...
De grands arbres longent la chaussée, platanes et superbes peupliers argentés. Nous roulons donc presque toujours à l’ombre. Nous apprécions.
À l’arrivée, Imre, un sympathique épicier qui tient une toute petite boutique telle qu’on en trouve partout en Hongrie, nous permet de nous installer derrière son magasin.
Là vient nous rejoindre Csaba, un ami de Bo, dentiste de son état, qui nous indique un excellent emplacement où nous pourrons rester plusieurs jours au repos. Génial !
20 Juillet : Izsák – Helvécia (lieu-dit Ludas tó) 20 km + 2 km = 22 km
J’avais peur d’avoir un peu trop forcé la dose de « pieds-nus » : hier soir, Noé boitillait un peu. Antérieurs devenus un peu trop sensibles. Je culpabilise : et si on avait fait une bêtise ?
Donc, ce matin, on met les chaussures. Les toutes neuves préparées l’autre soir pour Noé.
Bêtise ? Tu parles ! Ce matin, nos deux louloutes sont dans une forme étourdissante. C’était bien la peine de me tracasser...
Après une petite dizaine de kilomètres sur la route, tout au trot, nous empruntons une belle piste de sable qui longe un parc naturel. Au pas, cette fois. Oswald reprend les guides pour me permettre de marcher un peu.
Pourquoi + 2 km ? Parce que nous avons loupé le lieu où nous devons nous arrêter ! Un kilomètre de trop, donc. Un joli demi-tour, et nous voici à Ludas tó . Ludas, ce sont les oies, tó, c’est le lac. Les lac des oies, donc. Sauf que le lac a été asséché pour être transformé en prairie, et que d’eau il n’y a point . Ni d’oies non plus, d’ailleurs.
Par contre l’endroit est idéal pour un repos de quelques jours. Forêt de peupliers et d’acacias. De l’eau au robinet. Ancienne petite ferme typique de la Puszta, avec ses toits de chaume, très joliment restaurée.
Une belle plate-forme en haut d’un énorme peuplier.
Un four à pain en briques d’adobe.
Ici vit une petite communauté d’adeptes de Vishnou et de son avatar Krishna. Nous sommes accueillis à bras ouverts. English spoken ! Le maître moine, Géza, nous invite à déjeuner avec le groupe. En plein-air. Soupe de légumes absolument délicieuse, et melon d’un goût sublime. Oswald, qui adore discuter philosophie, est à son article ! Notre hôte aussi apparemment. La discussion vole dans les hautes sphères de la métaphysique.
Tout est beau, minutieux, arrangé avec un goût exquis. Pour le plaisir des yeux et bien entendu pour plaire aux dieux.
La douche ? Une jolie hutte de roseaux. Un côté hommes, un côté femme. Juste un robinet, et un seau. Il faut remplir le seau d’eau et se le balancer sur la tête. Eau froide seulement. Mais par cette chaleur, c’est plutôt bienvenu !
Nous allons goûter ici quelques jours aux joies du farniente.
21 Juillet
Otilia est artiste peintre.
Le temps de son séjour ici, où elle peut peindre en toute tranquillité, elle est chargée de la fonction de cuisinière. C’est sa façon de participer à ses frais d’hébergement. Nous proposons de lui donner un coup de main pour préparer le déjeuner. Difficile apprentissage ! Nous n’arrêtons pas de commettre des bévues. Ces dieux-là ont des exigences assez complexes. Par exemple, on ne doit pas goûter à la cuisine que l’on prépare (ce sont les dieux qui sont chargés de goûter. Tant pis si la soupe est trop salée !) Très bien pour une cuisinière expérimentée, mais pour une débutante...
J’ai apporté des pommes, des tomates et des courgettes. Sur la table se trouve une coupe remplie de tomates et de paprikas. Pensant bien faire, je pose mes tomates dans la coupe. Sacrilège !!!! Ce qui était placé là avait déjà été purifié, ou je ne sais trop quoi, et mes tomates allaient tout souiller. Oups ! Heureusement, les dieux sont indulgents avec les ignorants. Oswald sort dehors avec les carottes pour les éplucher. Otilia (s’adressant à moi) : « où sont les carottes ? » Moi : « Oswald est sorti les éplucher. » Otilia, affolée : « Oh ! Non ! Non ! Non ! Tout doit être préparé dans la cuisine. Dehors, c’est impur ! »
Je fonce chercher Oswald. Heureusement, il n’avait pas commencé l’épluchage. Il rentre à la cuisine, tout penaud.
Je demande à Otilia si on ne prépare jamais la cuisine en plein-air. Oh ! Si, bien sûr, mais alors le rituel est tout autre. Ouille, aïe, aïe ! C’est bien compliqué, tout ça.
Otilia nous console en nous expliquant qu’elle aussi a commis quelques impairs au début.
Otilia cuisine et nous servons de marmitons. Tout de même, Oswald prépare le dessert : des pommes caramélisées et épicées.
Otilia est vraiment une cuisinière hors pair. Nous nous régalons. Elle met en avant le fait que nous l’avons aidée. Mais nous ne sommes pour rien dans l’assaisonnement des plats, ni dans leur cuisson ! Oswald est félicité pour le goût de ses pommes, et c’est vrai que c’est très réussi.
Dans la soirée, pendant que je m’installe confortablement dans notre fauteuil pliant pour dessiner, Otilia s’assied tout simplement dans l’herbe pour peindre notre roulotte... Voici le résultat provisoire (le tableau n’est pas terminé)
22 Juillet
Nous sommes invités à assister à la cérémonie matinale, à six heures, dans le temple. Pourquoi pas ? Nous nous faisons tout petits. Il y a là Géza, le maître et Isvarán, l’autre moine, revêtus de leurs vêtements de fonction (dans la journée, ils s’habillent comme vous et moi.) Deux jeunes Bulgares, qui sont venus ici pour aider maçonner une nouvelle bâtisse un peu plus loin. Otilia, la cuisinière. Et nous deux, les spectateurs curieux. On nous propose un confortable canapé un canapé. J’obtempère, tandis qu’Oswald préfère rester debout près d’Otilia. Géza s’assied par terre, face à l’autel où sont placées des photos de Gourous (ils sont six) des bougies, des fleurs, et tout un tas d’objets dont nous ne connaissons pas le premier mot de la fonction. Sur la droite, une grande statue (quel dieu ???) Géza joue du sitar et chante. Isvarán, souffle dans une conque, agite une clochette, encense, présente quatre bougies allumées au-dessus desquelles on doit passer la main et s’effleurer la tête. Puis il balance un plumeau en queue de yak, et un cercle en plumes de paon. Pendant tout ce temps, Géza ne cesse pas de jouer de son instrument et de chanter. Les autres répondent. Après quoi, chacun prend un petit coussin de méditation. Otilia en tend un à Oswald, qui s’allonge par terre et l’utilise comme oreiller. Tout le monde sourit, nul n’est choqué : on peut méditer dans n’importe quelle position. Voilà.
Quelques questions :
Anne : pourquoi avez-vous deux perroquets en cage ?
Géza : parce que les perroquets sont les messagers des dieux.
Anne : Mais comment peuvent-ils être les messagers des dieux, s’ils ne volent pas ?
Géza : Mais il volent.
Anne (désignant la cage) : comment ça, ils volent ?
Géza : En Inde, ils volent.
Anne : mais je parle de ceux-là, ici, comment peuvent-ils, pour vous, être les messagers des dieux ?
Géza (sourire pétillant de malice) : par la méditation.
Anne : Et vos deux moutons racka, ils ont une raison symbolique d’être ici ?
Géza : pas les moutons en eux-mêmes. Leur couleur. Un blanc un noir.
Anne : Le yin et le yang ?
Géza : en quelque sorte. Mais autre chose aussi. Ce sont deux couleurs qui se complètent et qui sont très fortes au niveau symbolique.
23 Juillet
Isvarán nous emmène en voiture jusqu’à Kecskemét. Il nous laisse chez Jozsef, surnommé Jokó, un beau jeune homme âgé de 33 ans, qui nous invite à déjeuner chez lui. Jokó a repris la petite ferme de son grand-père. Sept hectares, aux abords de Kecskemét, qui ont progressivement été encerclés par la ville. L’autoroute passe juste à côté ! Dans ce petit havre, Jokó pratique le maraîchage biologique. Il a un âne, une vache, des poules, des chiens. Une adorable fillette de dix ans, Ester. Sa compagne (que nous n’avons pas rencontré, car ils vivent dans deux maisons séparées) est spécialiste du feutre. Elle a voyagé dans tous les pays où le feutre est une matière traditionnelle pour étudier les diverses techniques. Il en est résulté un très beau livre, que Jokó nous a prêté. Le texte est hongrois, mais nous admirons les photos...
Nous devons d’abord faire quelques courses. Nous allons donc à pied jusqu’à un grand Auchan, situé à environ 500 mètres de là. Oswald achète un sac de croquettes pour Altaï (10 Kg), ce qui m’inquiète un peu. Comment allons-nous transporter toutes nos courses, plus ce sac, jusque chez Jokó ? Ça va être dur !
Oswald râle parce que bien entendu, nous avons choisi la mauvaise caisse. Ça traîne, ça traîne.
Enfin, nous voilà sortis. On range le chariot, et pile à ce moment qui voit-on, juste à côté de nous, au volant de sa petite Lada Niva 4X4 ? Isvarán ! On charge toutes nos courses dans son coffre. Il emmènera tout ça à la roulotte, et on le récupérera ce soir. Nous voilà tout légers pour marcher jusque chez Jokó. « Tu vois, que je dis à Oswald, si on n’avait pas fait si longtemps la queue aux caisses, on n’aurait pas croisé Isvarán ! »
Nous déjeunons donc avec Jokó, son copain Imre, et sa fille Ester. Le repas est délicieux. Pommes de terre toutes fraîchement arrachées, légumes de son jardin, pain fait maison... Il n’y a que le riz qui ne vienne pas d’ici.
Pour gagner un peu d’argent, Jokó fabrique des briques d’adobe (terre + paille + bouse de vache)
Il nous dit qu’il aime énormément travailler l’argile. Jokó a une très belle philosophie de la vie. Sa voix est douce. Ses gestes fluides. C’est un régal de l’écouter conter. Il connaît bien l’histoire de son pays. Passionnant. Il fabrique aussi des instruments de musique, dont une fujara, sorte du flûte au son grave, normalement fabriquée dans du bois de sureau. Jokó a fait le sien en Bambou.
Imre nous régale d’une petite démonstration.
Cette grande flûte à trois trous est originaire de Slovaquie. Elle est composée de deux tubes. Le plus grand mesure environ 2 mètres de long et le plus petit de 50 à 80 cm. Elle est typique de la musique slovaque. Et si tu ne la connais pas, tu devrais avoir honte : elle fait même partie du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité ! (Depuis 2005.)
Son origine ? Les flûtes à trois trous populaires en Europe aux XIIème et XIIIème siècles. La fujara aurait pris sa forme actuelle dans la région de Slovenská Ľupča à l’époque de l’occupation turque de la Hongrie.
Après avoir mangé, Jokó nous emmène visiter Kecskemét, dans sa poétique et antique Skoda.
Promenons-nous dans la ville.
Jokó nous servant de guide.
La mairie est immense, et pourvue d’un carillon qui, à 17 heures précise, entonne un joli concert de cloches.
Kecske, en Hongrois, c’est la chèvre. Kecskemét, si j’ai bien compris, c’est le carrefour des chèvres. Toujours est-il que la bannière de la ville arbore fièrement... une chèvre !
La chaleur est toujours terrible. Heureusement, sur la place, une douche de fines fines gouttelettes d’eau permet aux passants de se rafraîchir.
Minuscule marché, où l’on a seulement le droit de vendre du bio fait maison !
Une curiosité : au centre de la place, un cercle qui indique les directions de toutes les villes de Hongrie, et le nombre de kilomètres auquel elles se trouvent d’ici.
Nous léchons des glaces, et nous nous asseyons à l’ombre pour déguster des boissons fraîches, en écoutant Jokó parler. Un vrai plaisir. (Précision : c’est en anglais que nous communiquons)
Oswald lui demande comment il se fait que la Puszta, que nous imaginions plate, plate, plate, est quand même assez ondulée (en tout cas par ici). Il nous explique que les Huns, lorsqu’ils sont arrivés, ont fait paître là leurs immenses troupeaux de chevaux, chèvres, moutons, vaches et même chameaux. La terre, ici, c’est du sable. Un sable extrêmement fin. Le territoire, lorsque les troupeaux ont eu fini de tout brouter, est devenu un désert. Le vent y a formé des dunes. D’où les actuels reliefs en vagues.
Le tonnerre gronde au loin. Le ciel noircit. Va-t-il enfin pleuvoir ?
Sur le chemin du retour, le ciel orageux nous offre un spectacle sublime.
24 Juillet
Longue promenade dans les alentours. Rencontrons des troupeaux de chèvres et de moutons, menés par leurs bergers.
Problème : la pompe est en panne et nous n’avons plus d’eau pour les juments ! Isvarán passe l’après-midi ici pour résoudre le problème. Il y parvient, ouf !
La vache de Jokó, qui vit en liberté autour de l’ashram, vient nous rendre visite. C’est une très jolie vache nommée Özika (petit chevreuil) Croisement entre un gris de Hongrie et une jersiaise. Elle est gentille comme tout. Mais... elle a découvert le seau plein des pommes destinées à nos juments, et n’en laisse pas une seule ! Voilà donc pourquoi elle tournicotait comme ça autour de la roulotte : pas tout à fait désintéressée, la bestiole !
25 juillet
Nous prenons enfin le temps d’aller jusqu’au chantier où se construit le nouvel ashram.
Mis à part les fondations, toutes les briques sont en adobe (les fameuses briques fabriquées par Jokó et quelques autres.)
Mais comme le chantier est grand et qu’il en faut vraiment beaucoup, une partie est achetée à une petite fabrique, non loin d’ici. Les briques sont maçonnées avec un mélange d’argile, de sable, et de bouse de vache ou crottin de cheval. (Dans la composition des briques elles-même entre, en plus de ces matières-là, de la paille.)
Les maçons possèdent leur réserve d’eau fraîche : des bouteilles plastiques qui trempent au fond du puits, attachées par une ficelle.
Retour à l’ashram. Nous prenons tous nos déjeuners et dîners là-bas : pratique, convivial et délicieux. Pour le petit-déjeuner, nous avons décliné l’invitation, préférant nous lever à l’heure qui nous convient. Vacances obligent ! Quand même, on a pris l’habitude d’aider Otilia. On continue à le faire. Elle nous file des tuyaux, et je lui apprends à cuisiner les herbes sauvages. Échange de bons procédés.
Après le déjeuner, nous restons papoter jusqu’à 17 heures. Papoter philosophie. Sujets ? Dieu, le cosmos, l’évolution, les sciences... Bajan, l’un des Bulgares venus aider à la construction pendant environ un mois, a accompli des études supérieures de philosophie. Il a traduit Francis Bacon en Bulgare, ce qui n’avait jamais été fait. Comme quoi, on peut être philosophe, et capable de mettre les mains dans la gadoue pour monter un mur (je précise pour les personnes qui prétendent que les intellos sont des bons à rien !)
Devine ! Il y a dans le coin des adeptes d’une religion Amérindienne (Amérique du Nord) Ils viennent pratiquer ce soir leur cérémonie, avec hutte à sudation et tout et tout, juste à côté de Kaplumbağa.
J’avais bien repéré la carcasse de cette hutte à sudation, et je soupçonnais son emploi, sans penser que nous aurions l’occasion de voir pour de vrai une telle cérémonie.
Les adeptes de Krishna, religion de la vraie Inde, qui prêtent leur terrain pour les pratiques religieuses venue le la fausse Inde, celle qu’à "découvert" le sieur Colomb... C’est pas beau ça, comme symbole ??? En tout cas nous sommes gentiment conviés à participer à la cérémonie. Nous avons préféré décliner l’offre de pénétrer dans la hutte à sudation : on a eu assez chaud comme ça, pas la peine d’en rajouter exprès. D’ailleurs, d’après ce que j’ai pu lire sur la chose, c’est très éprouvant physiquement. Cela demande une préparation physique (jeûne) et mentale, que nous sommes très loin d’avoir. Et puis mon Oswald, la seule fois de sa vie où il a expérimenté le sauna, il a tourné de l’œil ! Et ça, c’est pire qu’un sauna !
Comme tu peux le constater, nous voici en pleines expériences mystiques !!! J’avais imaginé pas mal de choses avant le départ, mais sûrement pas des cérémonies indiennes des deux Indes, l’ancienne et la nouvelle, sur le même lieu en Hongrie !!!! Ce voyage nous réserve décidément quelques surprises.
Le groupe arrive. Ils sont une quinzaine. Hommes et femmes. Un long et beau jeune homme, torse nu, a une patte de loup tatouée en relief, sans encre, couleur chair, sur la poitrine. Il porte aux bras des cicatrices qui m’intriguent. Irait-il jusqu’à pratiquer la danse du soleil ? Je n’aurai pas le loisir de poser la question. Il y a là aussi un chien dont l’ancêtre loup ne doit certainement pas être fort lointain.
Un grand feu est allumé pour chauffer les pierres.
La hutte est recouverte de plusieurs épaisseurs de toile.
L’orage, enfin ! Une énorme averse dégringole du ciel, pendant que nous nous trouvons à l’abri sous l’auvent, à discuter avec Otilia et Jokó (qui veut entrer dans la hutte, lui. Ce n’est pas la première fois qu’il le fait.)
La nuit est tombée. Il ne pleut plus, mais les éclairs se succèdent, et le tonnerre gronde. Les adeptes se rangent en file indienne (c’est le cas de le dire) devant l’entrée de la hutte. Silence. Crépitement du feu. Bruissement des arbres. Le maître de cérémonie tient à la main un morceau de bois dont l’extrémité est un tison rougeoyant. Il souffle dessus. Le rouge s’intensifie. Il se passe le tison sur la tête, les bras le corps, et sous la plante des pieds, puis le transmet à l’homme qui se trouve derrière lui. Enfin, il se baisse pour pénétrer dans la hutte à quatre pattes.
Chacun des participant à son tour accomplit les mêmes gestes dans le plus profond silence.
L’homme qui est chargé de placer les pierre au centre de la hutte les retire une à une du feu avec une fourche. Une jeune femme les époussette avec un un bouquet de plantes (je n’ai pas pensé à demander ce que c’était)
À l’intérieur de la hutte, on jette sur les pierres des herbes aromatiques, puis de l’eau. La vapeur s’en dégage. La température doit monter intensément. Un cri, un espace de temps, un autre cri. Le tambour. Les éclairs, le tonnerre, le crépitement du feu, les volées d’étincelles. Le battement du tambour, comme un cœur. Envoûtant.
Par quatre fois, de nouvelles pierres seront déposées au centre de la hutte. On commence par invoquer l’Est, puis l’Ouest, le Nord et enfin le Sud. Les mélopées montent à la rencontre des arbres et du ciel. Un autre monde s’ouvre...
26 Juillet
Isvarán nous remmène à Kecskemét, ce matin, car il y a un immense marché-brocante-vide grenier, un peu en dehors de la ville. Pour être immense, c’est immense ! Quelques professionnels, mais surtout énormément de petites gens qui viennent essayer ici d’arrondir leurs fins de mois. La place est très bon marché. Donc, on essaie de tirer quelques forints avec les surplus de jardins (surtout maïs, patates et poivrons), une portée de chiots, de la récup, la table de la grand-mère qui vient de mourir. Il y a seulement un point où l’on peut boire et se restaurer, inutile de préciser qu’on y fait la queue. Nous nous payons, Oswald et moi, l’un de ces fameux langos. (Un peu l’équivalent de la pizza en Italie. Mais la pâte est frite et non cuite au four.) Alors que dans ce genre de manifestation en France, on trouve partout des buvettes et des marchands de sandwiches et autre hot-dog !
Par contre, ce qu’on ne voit jamais en France, (et pour cause : c’est interdit), ce sont les vendeurs de produits alimentaires (récupérés comment ?) café, pâtes, riz, conserves, etc... etc... Micro-épiceries, pourrait-on dire.
Oswald déniche un petit ventilateur qui marche sur 12 Volts pour rafraîchir la roulotte en cas de canicule. Pour l’équivalent de 1,5 € ! (je n’y reviendrai pas, je précise dès maintenant qu’après petit bricolage d’adaptation fait par Oswald au retour, il fonctionne très très bien !)
Je lave notre linge dans le superbe « évier » en bois.
Ce soir, Jokó arrive avec un panier plein. Nous ne mangerons pas à l’ashram, mais ici, sous l’auvent, près de la roulotte, avec Jokó et Otilia. La température a baissé. Après la tombée de la nuit : 14°. C’est pour ça que le ventilateur fonctionne bien ! On supporte la petite laine. Le changement est un peu brutal. Mais franchement, je me sens mieux maintenant. Mon énergie refait surface !
Jokó a apporté des tomates.
Du ghee (fabriqué par lui : il en est un grand consommateur, et nous en vante tous les bienfaits. Il nous fait cadeau d’un petit pot pour la route)
Du pain, fait maison également, qui est une véritable merveille.
Des prunes et des petites poires.
Mais surtout, le clou du repas, un fromage de brebis fabriqué par l’un de ses amis, berger en Transylvanie. Ben je peux t’assurer que le roquefort, à côté de ça, c’est du caramel doux !
Tiens, en parlant de caramels, Otilia en a apporté de délicieux. Des caramels Bulgares offerts par Bajan.
On converse longtemps. Les sujets sont variés. Biodynamie, état du monde, valeur de l’argent, et puis la vie en général.
Oswald : Que peut-on faire ?
Jokó : Nager dans le fleuve à contre-courant.
C’est ce qu’il fait en prenant soin de sa petite ferme de 7 ha, et en s’appliquant de son mieux pour produire de la qualité. C’est ce qu’il fait quand il donne ou échange le fruit de son labeur plutôt que de le faire payer.
Et n’est-ce pas un peu ce que nous faisons aussi, en voyageant avec des chevaux ?
27 Juillet
Ce matin, Otilia joue à la journaliste : elle vient nous interviewer, sur la suggestion de Géza qui aimerait avoir un article à notre sujet sur le site le Ludas tó.
Jokó, qui a dormi ici cette nuit, dehors, sous les arbres, nous rejoint.
Otilia doit rentrer chez elle aujourd’hui. C’est Jokó qui la conduit. Nous partons demain matin, nous ne nous reverrons pas. Les adieux sont pleins d’émotion.
Déjeuner à l’ashram. Aujourd’hui est un jour spécial pour la religion ici pratiquée : c’est le onzième jour après la nouvelle lune. Vishnou dort ! Par conséquent, on ne doit manger aucune céréale.
Encore un lieu qu’il va nous être difficile de quitter. Géza me fait cadeau d’un superbe carnet, papier première qualité, pour mes croquis. J’en suis vraiment très touchée.
Köszönjük, Géza and Isvarán. Köszönjük, Otilia, Jozsef, Imre. Köszönjük, all the other wonderful persons who we met in Lodas tó !
Quelques remarques
Dans ce secteur, beaucoup de plantation de fruitiers, qui ont contribué autrefois à l’opulence de la région. Pêchers, abricotiers, pommiers, vigne, pruniers. Mais tout à fait surprenant pour nous : des hectares de sureau ! Très usité, ici, le sureau, pour différentes boissons.
Pour tous les enseignants qui suivent notre périple, si ça peut les intéresser :
Le système éducatif hongrois est divisé en plusieurs niveaux : pré-élémentaire (óvoda) de 3 à 6 ans, élémentaire (általános iskola) de 6 à 14 ans, secondaire (gimnázium) jusqu’à 18 ans, professionnel (szakmunkásképző iskola) jusqu’à 18 ans, technique (szakközépiskola) jusqu’à 18-19 ans et supérieur. Il faut prendre également en compte les écoles de rattrapages (szakiskola)
L’école est obligatoire jusqu’à 18 ans.
Anne, 30 Juillet 2015