12 Mai : Trnovlje – Ponikva 14 km
Route qui monte et descend sans cesse. Paysage bucolique. Joli pédalo arrimé sur la berge d’un petit lac.
Nous voyons assez souvent de ces sapins plantés tout en haut d’un grand mât, et surmontés du drapeau Slovène. Explication : c’est l’arbre de Mai, planté le 1er Mai. C’est pour ça qu’on en voit tant en ce moment. Mais on en a vu aussi deux ou trois fois avec un cercle cloué dessus et un nombre inscrit dans le cercle. 50, par exemple. Dans ce cas-là, le mât a été érigé pour fêter le cinquantième anniversaire de quelqu’un. C’est la coutume pour fêter les anniversaires des dizaines (20, 30, 40, 50, etc...)
Je vous refais le coup du « coucou dans le miroir », parce que je la trouve assez marrante, celle-ci.
Cette région de la Slovénie est une grosse productrice de pommes. Filets anti-grêle obligatoire, car la grêle est une calamité assez fréquente par ici.
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe !
Oswald avait bien vu sur la carte une côte qui semblait assez méchante, avec des courbes de niveau très rapprochées les unes des autres. Mais on n’avait pas imaginé à ce point là ! Qu’est-ce qu’on peut faire ? Il n’y a pas d’autre route...
Les juments n’ont jamais affronté un truc pareil. Environ 14 % a été leur grand maximum, et c’était dur !
Je les engage quand même, en les encourageant de la voix. Mais ça cale ! On s’arrête pour laisser souffler. Oswald bloque les roues de la roulotte, par sécurité, et pour que je ne me crève pas à garder le pied sur la pédale de frein.
Seulement, impossible de redécoller : la côte est trop raide, le coup de collier des juments pas assez puissant. Elles essaient, pourtant, les courageuses ! Mais ça ne veut pas. Je décide de dételer. On va monter les juments en longe, et chercher un tracteur pour tirer Kaplumbağa jusque là-haut. Avant que je n’aie le temps de descendre, un énorme poids lourd arrive derrière nous. Il essaie de nous doubler, mais ça ne passe pas. Oswald lui fait signe de descendre de son camion pour nous aider à pousser la roulotte sur le côté, mais il ne daigne pas faire attention à nous. Il recule, se serre un tout petit peu plus à gauche, et passe en rasant de très très près les juments. Pendant ce temps, d’autres voitures arrivaient en face. Elles sont obligées de reculer, et de se garer pour laisser passer le bahut.
Un homme qui suivait le camion descend de sa voiture et vient nous demander ce qui se passe. On lui explique la situation. Il téléphone à son beau-frère, qui a un tracteur. Il va venir nous dépanner. Je dételle les juments. Marko (c’est le prénom du Monsieur) nous dit qu’il peut nous héberger. Il habite tout près de là, juste en bas de la côte. Mais ça ne change pas le problème ! Il faut monter la roulotte là-haut ! « On fera ça demain ! J’ai un pré, et vos chevaux ont besoin de repos ! »
Franc, le beau-frère, qui vient d’arriver, dit qu’il peut descendre la roulotte jusque chez Marko avec son petit tracteur.
Quand on voudra repartir, on montera les juments à pied (la côte fait environ Un kilomètre) et la roulotte avec le tracteur.
OK !
Et on est reçus comme des rois. Gizela, la femme de Marko, nous a préparé un plantureux repas à 15 heures. (Comme d’habitude, après notre arrivée, les juments passent en premier, et nous ne déjeunons que lorsqu’elles sont « libres » derrière leur clôture électrique.)
Marko, passionné par les 2CV (et notre moyen de locomotion n’en est-il pas une ?) et son beau-frère Franc emmènent Oswald (dans la 2CV, of course) acheter une tête de lapin qu’on pourra adapter au timon de la roulotte si besoin. Ainsi, en cas de côte trop raide, on pourra faire tracter kaplumbağa par n’importe quelle voiture munie d’une boule d’attelage.
13 Mai
Marko et Gizela sont si accueillants que nous avons décidé de rester une journée. D’autant plus que Marko nous propose de nous faire visiter Celje. Je vous raconte ça ici, sans en faire un article à part, parce que l’appareil photo est tombé en panne de batterie. Vous n’aurez donc droit qu’à quelques photos de Celje, à la portion congrue. Celje est en importance la troisième ville de Slovénie, Après Ljubljana et Maribor.
On commence par un petit tour au marché. Là nous restons un brin baba devant l’étal d’un jeune homme qui vend de la liqueur de cannabis. Le vilain Oswald prend son air le plus innocent pour lui demander s’il vend aussi de quoi fumer. Le jeune homme regarde d’un air interloqué ce vieux monsieur qui ose lui demander une chose pareille et répond par un « non » un peu timide, mi-figue, mi-raisin. Mais c’est qu’il insiste, le Oswald : « Vous avez peut-être des moon-cookies, alors ? » Offusqué, le jeune homme ! « Mais, Monsieur, ce n’est pas légal ! » Il se demande visiblement si Oswald est sérieux ou s’il plaisante. Difficile de garder son sérieux. On pouffe de rire.
Marko gare sa voiture dans un invraisemblable parking « secret ». Mais gratuit. Peu de gens le connaissent, et il y a toujours de la place, précise-t-il. Puis nous entamons à pied la visite de la vieille ville, dont le centre est interdit aux véhicules à moteur.
On rencontre un copain de Marko juché sur son Solex (1966, le Solex !)
Et faut bien qu’on joue un peu aussi aux touristes poseurs !!!
Marko nous emmène à l’intérieur du bâtiment administratif dans lequel les gens font établir leurs papiers d’identité. On se demande bien l’intérêt ! L’intérêt ? Il suffit de regarder le sol ! Il est en verre, et dessous, on peut voir des restes de thermes romains.
Et à partir de là, clac ! L’appareil photo ne veut plus rien savoir. Il a quand même la gentillesse d’indiquer qu’il faut recharger la batterie. Tant pis. On n’a plus qu’à ouvrir nos yeux et nos oreilles pour emmagasiner les souvenirs.
Nous allons boire un pot auprès de la bibliothèque, sur le bords de la rivière. Là aussi, des vestiges romains. Il y en a partout dans la ville, explique Marco. Quand des travaux sont prévus, les archéologues ont du boulot !
Puis nous montons jusqu’au château fort, très bien restauré et entretenu, avec les parties en bois entièrement refaites. Très beaux toits de bardeaux. Vue superbe, d’un côté sur la montagne, de l’autre sur Celje. De là, on s’aperçoit que la vieille ville est toute petite, et que les pustules commerciales et industrielles modernes ont envahi l’espace. C’est là qu’il aurait fallu des photos. Tant pis pour vous ! Si vous voulez voir, payez-vous un voyage en Slovénie, ou interrogez l’inépuisable Google.
Et quand on a voulu repartir... La voiture de Marko n’a pas voulu, elle. Marko appelle Franc au secours. Nous attendons. Il y a une quinzaine de kilomètre entre Ponikva et Celje. Puis coup de téléphone de Franc : il est juste en bas le la montée vers le château, en panne lui aussi ! Plus d’eau dans le radiateur. Marko s’en remet à un André, qui veut bien venir, mais il faudra qu’on attende : il est au boulot, et ce n’est pas encore tout à fait l’heure de la débauche. Bon, il reste encore le fils de Marko, qui arrive avec des câbles de démarrage. Franc, qui a trouvé de l’eau pour se remettre provisoirement en route, arrive aussi. Puis André. Essai de démarrage. Oswald me demande l’appareil photo, pour le cas où... Dernier sursaut d’énergie de la bête. Une photo ! Après quoi, grève définitive. J’aurais préféré garder cette photo pour avoir une image du château, mais tant pis. Souvenir de la panne.
Câble ou pas câble, la voiture ne veut rien savoir. On la pousse jusqu’à la descente. Marko arrive tout en bas en silence, sans que le moteur n’ait même toussoté un peu. Nous, nous sommes dans la voiture d’André, et nous prenons Marko en remorque jusqu’à Ponikva. Nous étions partis à neuf heures ce matin, et il est 17h30. Nous n’avons rien mangé, hormis une glace. Heureusement, Gizela nous a préparé un vrai festin. Ça nous servira à la fois de déjeuner et de dîner.
Hvala, Gizela ! Hvala, Marko !
14 Mai : Ponikva – Poljčane 18 km
Donc ce matin, nous montons à pied jusqu’au bourg de Ponikva, tout là-haut là-haut, avec les juments en longe, harnachées. Franz vient chercher Oswald avec la 2CV, redescend avec lui, et ils remontent un peu plus tard, kaplumbağa attelée au petit camion, avec la belle tête de lapin toute neuve.
Hvala, Franc !
Nous partons l’esprit pas très tranquille : en étudiant les courbes de niveau sur la carte, Oswald s’est rendu compte qu’il nous reste encore quelques grimpettes assez méchantes avant d’atteindre la vallée.
Nous rencontrons un couple de voyageurs en vélo. Ce sont des retraités Danois, qui ont décidé de voyager pendant six mois. Ils sont partis du Danemark voici six semaines et espèrent aller jusqu’à Istanbul. Ils roulent entre 50 et 100 km par jour et dorment sous la tente. Nous papotons un bon moment, et ils nous sortent des photo de … devinez quoi ? Leur roulotte, construite par eux-mêmes, et leurs chevaux ! Mais avec cette roulotte, ils se contentent de courtes randonnées autour de chez eux. Pour les longues distances, ils préfèrent se fier à eux-mêmes plutôt qu’à leurs chevaux. Ils sont sacrément courageux. La montagne Slovène en vélo, moi, je ne voudrais pas le faire !
Les jument grimpent très vaillamment quelques belles côtes. Mais en voici une qui ressemble fort à celle sur laquelle elles avaient calé avant-hier. Mêmes causes, mêmes effets ! Nous voici à nouveau coincés en pleine montée. Ça ne doit pas dépasser 200 mètres de longueur, mais rien à faire. Je dételle, je monte les deux juments à pied, pendant qu’Oswald replace la tête de lapin au bout du timon.
Pas trop longtemps à attendre. Il y existe toujours une bonne âme pour secourir le voyageur en déroute. Ce brave homme arrivait en sens inverse, et il a fait exprès demi-tour pour emmener la roulotte en haut de la côte. Hvala, monsieur !
Après quoi, nous nous farcissons la descente à 14 % qui doit aboutir à la vallée. Les juments assurent. Dans les descentes, elles sont superbes de prudence et d’adresse...
Quand même, on voit des drôles du trucs, sur la route, qu’on ne peut pas s’empêcher de photographier. Que peut bien fabriquer tout là-haut cette coccinelle rouillées ?
Et nous finissons par être accueillis, à Poljčane, à la caserne des pompiers.
16 Mai : Poljčane – Majšperk 18 km
Une étape toute mignonne et tranquille, le long de la vallée de la Dravinja. On trouve tout de suite une place à Majšperk, l’étape prévue, près du centre sportif.
17 Mai : Majšperk – Spuhlja 25 km
Tout a commencé par une superbe montée à 6 % d’environ un kilomètre. De la rigolade, après ce qu’on a connu depuis notre arrivée en Slovénie. Les juments se sont mises dans la tête de s’envoyer ça au galop, et je les ai laissé faire. Tout en haut, dix minutes d’arrêt pour reprendre souffle et grignoter une pomme (les juments, pas nous !)
Le reste de la route, c’était du presque plat. Nous voulions si possible dépasser Ptuj (obligés d’en passer par là à cause du pont) aujourd’hui dimanche : pas de camions et moins de circulation qu’en semaine. Ça ne semblait poser auqu’un problème. Sauf que...
« Tiens, c’est quoi, ce bruit bizarre ? Ils en font un raffut, les ressorts de traction ! » Je me penche un peu. Palsambleu ! Ce ne sont point les ressorts qui grincent ainsi, mais bel et bien notre roue avant gauche. J’arrête, Oswald descend, marche à côté de la roue pour écouter et fait la grimace.
« On dirait que les écrous sont desserrés. » Arrêt. Resserrage. Air très enquiquiné d’Oswald :
« On dirait que c’est foiré. Ça tourne dans le vide. »
Bon. On marche au pas, tout doucement, en espérant trouver un mécano au prochain village.
Et en pleine cambrousse... Crac ! La roue se barre ! Pas complètement, heureusement. Elle s’est décrochée du moyeu, mais reste sagement debout. Juste devant un immense élevage de poules pondeuses. Des ouvrières sont en train de débaucher. Elles emmènent avec elles de pleines boîtes d’œufs fêlés. Les pas vendables. Au moins, ils ne seront pas jetés. L’une d’elles parle allemand. Oswald explique notre problème et demande si on peut rester là pour une nuit, le temps de trouver une solution. Dans l’enceinte de l’élevage, autour des bâtiments, il y a de l’herbe, beaucoup d’herbe.
Pas question : pour rentrer ici, il faut passer par le désinfectoir. Et de toute façon, elles ne sont qu’employées et ne peuvent pas prendre de décision.
Oswald arrête une voiture. La dame ne peut rien pour nous, mais elle nous explique que plus loin, la route est barrée. Pour rejoindre Ptuj, il faut que nous fassions demi-tour, rejoindre le dernier village, et prendre un autre chemin...
De toute façon, pas le choix : il faut dételer. On attache les juments à la clôture qui entoure l’élevage, et là, c’est moi qui pousse un cri d’effroi, en voyant Océane mâchouiller une touffe d’herbe jaunâtre : la clôture a été désherbée avec un pulvérisateur rempli de poison ! Pas question de laisser les louloutes se gaver de ça. De l’autre côté de la route, un chemin s’enfonce dans la forêt. On y emmène Océane et Noé, et on les attache à un arbre.
Pendant que je continue à pied le chemin forestier pour essayer de dénicher une clairière, un pré ou une friche où les juments pourraient passer la nuit, Oswald retourne à la roulotte. Il la monte sur cric.
Je finis par le rejoindre, après avoir découvert une friche qui pourrait faire l’affaire en cas de besoin.
Nous demeurons perplexes au sujet de la conduite à tenir. Deux des trois boulons qui tiennent la roue ont sauté. On les replace dans leur logement, on les enfonce comme il faut à petits coups de marteau, et on remonte la roue. En allant tout doucement au pas, ça tiendra peut-être jusqu’au village, où on pourra faire appel à un mécanicien.
On pousse Kaplumbağa à la main pour lui faire faire son demi-tour et la placer sur le déport où au moins on ne gênera pas les voitures qui passent. Et à peine sur le déport : crac ! Rebelote ! Notre rafistolage de fortune n’a pas tenu.
En désespoir de cause, on hèle à nouveau les ouvrières qui n’ont pas encore quitté leur lieu de travail. Elles semblent toutes forgées dans le même moule : opulentes et joviales...
L’une d’elles téléphone à l’un de ses amis, qui sait souder. "Il vient dans 10 minutes."
Deux hommes arrivent en effet, avec un joli poste à souder. Ils ne parlent ni anglais, ni français, ni allemand, ni italien. Mais on s’explique par gestes. Ils n’ont qu’à regarder la roue, d’ailleurs, pour comprendre. Ils ont apporté une longue rallonge que l’une des femmes va brancher à l’intérieur de l’enceinte.
Et voilà le malheur réparé. Ça nous aura coûté deux heures d’arrêt.
Hvala, messieurs !
Arrivés au village que nous avions déjà traversé tout à l’heure, nous nous renseignons pour savoir quelle route rejoint celle de Ptuj. On se dit que tant pis pour la traversée de la ville un dimanche. On est trop crevés. Dès qu’on trouve un endroit convenable, on s’arrête. Mais au carrefour de la route de Ptuj, un panneau indique : PTUJ 3 Km. Pour si peu... On décide de continuer, et de traverser la ville. Tant pis pour la fatigue.
Dans Ptuj, le pont sur la Drava, très belle et large rivière.
Peu après la sortie de la ville, un village : Spuhlja, sur la route assez fréquentée Ptuj – Ormož.
Immense place de parking, à côté d’un restaurant. En bordure de la place : une vraie barre barre d’attache destinée au chevaux ! Véritable invitation...
Et de l’herbe ! Cette fois, ouf ! On peut s’arrêter pour la nuit. Il est 16 heures. Et nous attend encore tout le boulot de l’arrivée : dégarnir, brosser, vérifier les sabots, monter la clôture, trouver de l’eau... Avec tout ça, on n’a rien mangé depuis ce matin.
On ne l’a pas volé, notre repas au resto, ce soir !
18 Mai : Spuhlja – Savci 15 km
J’hésite : dois-je chausser les clogs ou les Old Macs à Noé ce matin ? Il va y avoir un col assez sérieux à franchir. Les Old Macs me semblent plus appropriés. Pas la peine, dit Oswald. Il faut qu’on trouve un mécano pour vérifier les roues de la roulotte. On ne passera pas le col aujourd’hui. Rien que du plat. Tu peux mettre les clogs. Très bien. Je ne me fais pas prier. 5 mn pour poser les clogs, contre 20 pour les Old Macs. Et puis les Old Macs, il vaut mieux les économiser. On n’en a qu’un jeu.
Sauf qu’on ne trouve ni mécano, ni lieu pour s’arrêter, et qu’on se retrouve au pied de la montée. On l’entame quand même. Mais Noé dérape. J’arrête. On déchausse. Ça glissera toujours moins pieds nus. Et dételer pour lui enfiler les chaussures anti-dérapantes... Flûte ! La flemme... On verra bien. Oswald décide de descendre de Kaplumbaga et de monter à pied. C’est toujours 80 kg de moins à traîner pour les juments
La grimpette n’est pas gentille du tout ! Du 10 -12 % sur un kilomètre, avec des épingles à cheveux, des vraies, qui tournent carrément dans la direction opposée, et ça recommence encore et encore. L’une est si serrée que je suis obligée de la prendre à gauche. Heureusement, aucun bruit de moteur ne parvient à mes oreilles... Les louloutes avalent la difficulté dans un superbe trot très régulier. Dans des cas comme celui-là, je les laisse choisir leur rythme, maintenant, au lieu de les enquiquiner avec mes idées à moi. Après tout, c’est elles qui travaillent, et c’est elles qui sentent ce qu’elles peuvent faire. Et elles s’en tirent fort bien ! Bravo les filles ! Arrivés au col, on s’arrête pour attendre Oswald. Ce qui permet aux juments de récupérer leur souffle. Un p’tit bout d’pomme bien mérité à l’appui.
La descente de l’autre côté, est aussi ardue que la montée. Mais Océane et Noé assurent. En descente, on peut leur faire entièrement confiance. Elles sont d’une prudence extraordinaire.
Le paysage a changé. Petites collines verdoyantes. Beaucoup de prairies de fauche. Des parcelles de maïs, de seigle, de blé, d’orge, géantes à côté de ce qu’on a vu dans la montagne, toutes petites si on compare à la Champagne Berrichonne. Chaque parcelle semble occuper entre disons à peine un hectare et quatre ou cinq hectares, à vue de nez. Les fermes, assez espacées, sont très coquettes, minutieusement entretenues, et on ne voit pratiquement pas de clôtures.
Bon ben c’est pas aujourd’hui qu’on trouvera un mécano. Tant pis. La roue a tenu. On s’arrête devant un bar pour demander si quelqu’un connaîtrait un emplacement où nous pourrions passer la nuit. J’en profite pour clicheter le reflet des juments dans la fenêtre.
Et voilà. Les juments sont une nouvelle fois installées auprès des pompiers, dans un carré minuscule, mais où l’herbe est très drue.
Pendant que Kaplumbağa se retrouve... sur l’arrêt de bus. Avec autorisation, je précise !
19 Mai : Savci – Ljutomer 17 km
Encore une étape pas facile du tout pour les juments, mais très belle pour nous.
Nous avions hésité longtemps. On prend la route qui longe la rivière, plate, facile pour les louloutes, mais qui nous rallonge de 5 km (je rappelle que 5 km, pour nous, c’est pratiquement une heure de route.) et sur laquelle on risque de rencontrer pas mal de circulation ? Ou on choisit la route qui traverse les collines, plus difficile, mais quasi déserte, et avec des paysages sûrement beaucoup plus intéressants ?
L’altitude maxi des collines (autour de 350 mètres) nous décide : ce sera cette route-là.
Ne pas se fier seulement aux altitudes ! On a rencontré des 800 mètres beaucoup plus faciles à grimper !
Ça a débuté par quatre belles montées, pas trop trop longues, mais assez raides, suivies chacune d’un replat ou d’une légère descente. On se croyait au bout de nos peines. Ou plutôt, au bout des peines des juments. En tout cas au point culminant. Puisque nous avions atteint un village, et que les villages se situent le plus souvent tout en haut de la colline. Eh ben raté ! Ça monte encore ! On atteint enfin la ligne de crête qui monte et descend, monte et descend... mais de façon pas trop méchante. Nous nous arrêtons demander de l’eau à une brave dame pour abreuver un peu les juments. Elle nous dit que Ljutomer est encore à cinq kilomètres, mais qu’il n’y a plus de montée, à partir de maintenant.
Ne jamais se fier aux automobilistes !!! Il ne savent pas ce que c’est qu’une montée. Nous en comptons encore sept, entrecoupées de replats. Une jeune femme nous croise, montée sur son vélo. Nous arrête. S’extasie (en anglais) « Oh ! C’est tellement merveilleux de voir ça ! ». Elle est si émue que des larmes roulent sur ses joues. Elle nous explique qu’elle vit un peu plus loin dans les collines, volontairement sans électricité. « Mais vous avez des panneaux solaires ? » interroge Oswald. « Non ! Non ! Pas d’électricité du tout ! Seulement des bougies ! »
Imaginez une montée presque permanente d’une dizaine de kilomètres, entrecoupées de replats et de toutes petites descentes. Imaginez maintenant que Ljutomer se situe à moins de deux kilomètres d’ici, et qu’il faut redescendre en deux kilomètres ce qu’on a monté en dix. Vous aurez une petite idée du beau toboggan que ça représente. Océane et Noé avancent à petits pas prudents. Les freins tiennent le coup. On arrive en bas sans histoire.
Au beau milieu de la ville, une énorme bouffée d’odeur d’essence me monte à la cervelle. Je ne supporte pas. J’ai la tête qui tourne, des nausées, l’estomac qui chavire. Ajoutez à cela le stress de la circulation et celui de la recherche de la direction à prendre... Je me sens très mal. Oswald veut absolument trouver un emplacement en ville, ou du moins tout près, parce qu’on a pas mal de courses à faire. Dont d’urgence un collier anti-tiques pour Altaï : hier, on lui a retiré une bonne vingtaine de ces charmantes bestioles !
Et on trouve ! Dans une friche industrielle, bordée d’une friche tout court pour les juments.
Le propriétaire des lieux nous ouvre une trappe pour nous donner accès à l’eau.
20 Mai : Ljutomer – cambrousse avant Dobrovnik, près du pont sur la Ledava. 25 km
Eh ben dites-donc, on s’en souviendra, de notre dernière étape Slovène !
Tout avait fort bien commencé. Les juments en pleine forme et toutes gentilles. Une route facile pour elles. Pour nous, le panorama manque un peu d’intérêt au début. On est en plaine, donc agriculture. Ici, les parcelles sont bien plus grandes que ce qu’on a pu voir ailleurs en Slovénie, sans atteindre bien sûr le gigantisme Beauceron. Et tout de même, les collines à l’horizon et les nombreux bosquets agrémentent quelque peu le paysage. Mais assez vite, cela change. Nous approchons de la Mura, rivière que nous devons traverser. Plus de cultures. Seulement une immense forêt marécageuse. Féerique... Et la voici, cette Mura. Un pont désert en pleine campagne. Superbe.
Mais même sur les petites routes quasi désertes, il y a toujours quelqu’un pour nous photographier.
Dans les villages, les maisons ont changé. Elles ont oublié leur petit air autrichien. Nous avons vu arriver les cigognes, mais voici le premier nid habité que nous croisons.
On commence à songer à une halte possible. On roule en pleine cambrousse, sur une route tracée en rouge sur la carte, en excellent état (super pour les pieds nus des juments). Pourtant la circulation est vraiment très clairsemée. Ah ! Voici une friche pour les juments, à côté d’une rivière pour les abreuver, et de la place en retrait de la route pour Kaplumbağa. Si on s’arrêtait là ?
On dételle, on déballe, et on s’aperçoit... qu’on a oublié à Ljutomer le ruban électrique pour la clôture !!! Mais comment c’est possible ? On fait toujours le tour de la roulotte pour être sûr de n’avoir rien oublié. La seule explication, c’est qu’on a rangé les piquets, et qu’on a oublié de retourner chercher la bobine de ruban posée près du pré.
Bon. Y’a plus qu’à sortir les chaînes, et à attacher les louloutes à la manouche.
Pendant qu’Oswald repart en auto-stop (il est midi) jusqu’à Ljutomer, je m’occupe d’abreuver les demoiselles. Je vaque ensuite aux occupations habituelles (rangement, écriture) tout en jetant fréquemment un coup d’œil aux juments : Océane a très bien compris comment ne pas s’emberlificoter dans la chaîne, mais Noé est bien moins maline que sa sœur. Pas folle, quand même. Si elle s’embobine une jambe, elle attend sagement sans bouger que je vienne la délivrer. Comment faire pour s’en dépêtrer toute seule, ça, elle n’a pas encore pigé !
Finalement Oswald n’est de retour qu’à dix-huit heures, avec le rouleau de ruban électrique. Le stop marche mal, en Slovénie. À l’aller, pas de problème : non loin d’ici, il a trouvé un arrêt de bus, et il a attendu. Et justement, le bus qui s’est arrêté allait à Ljutomer. Il l’a donc pris. Mais pour le retour, ça a été une autre paire de manches. Une seule voiture s’est arrêtée pour lui faire faire un petit bout de chemin, mais il a dû se farcir une bonne quinzaine de kilomètres à pied. Il est crevé !
Adieu, Slovénie ! Bonjour Hongrie...
Quelques remarques
Une « gasilski dom », maison des pompiers, se trouve dans chaque village, même le plus petit. Et très souvent, outre les pompiers, on y trouve un, deux ou trois petits commerces. Souvent une boulangerie, ou un bar. Sur toutes les gasilski dom, on voit une fresque représentant un légionnaire romain (en tout cas un type vêtu comme un légionnaire romain) géant qui arrose avec un seau d’eau une toute petite maison en flamme à ses pieds. Ce n’est pas du « fait en série », chaque peinture est différente de l’autre, mais le thème est toujours le même.
Des sanctuaires un peu partout, comme en Italie, mais ici, ils prennent très souvent la forme d’une église miniature, très mignonne. Nous les avons baptisées « églises de poche ». Et elles sont très fièrement pourvues de cloches tout aussi bavardes que leurs grandes sœurs ! En Italie, la grande majorité des petits sanctuaires abritaient une Madone. Quelquefois un Saint. Plus rarement un Christ. En Slovénie, ce sont les Christ qui sont largement majoritaires.
Énormément de voies cyclables. Même en pleine campagne les routes sont très souvent doublées d’une voie cyclable à double sens. Les circuits cyclables sont très bien indiqués. On croise donc beaucoup de cyclistes. Pas seulement des sportifs. Le vélo est utilisé pour l’utilité quotidienne.
Bon ben finalement, je n’aurai pas fait beaucoup de progrès en Slovène. Presque tout le monde ici parle anglais, et quand ce n’est pas l’anglais, c’est l’allemand. Même les gosses de 13 ou 14 ans peuvent tenir une bonne petite conversation en anglais. Et ils ne font que l’apprendre à l’école. On doit vraiment avoir un problème dans l’apprentissage des langues en France, quand on voit des jeunes qui après 7 ou 8 années d’anglais à l’école sont incapables d’en aligner trois mots.
Du coup, comme on n’a pas eu de problème pour se faire comprendre, ça m’a un peu démotivée dans mon apprentissage. C’est pas bien, ça, Anne ! Pas bien du tout. Malgré tout, beaucoup de Slovènes rencontrés étaient ravis de m’entendre compter dans leur langue ou réciter les jours de la semaine. Ça fait un peu singe savanrt, mais c’est toujours ça.
J’ai plus qu’à me mettre au Hongrois !
Rigolo : en Slovène, « tabac » se dit « trafik »
Anne, le 21 Mai 2015