Je m’appelle oswald, j’ai un passeport N° C4V2FPT23, et je suis en vie.
Encore.
Mais ce n’est pas si simple que ça ! Il faut, à la fin de chaque année, que la Caisse de Retraite de la Basse-Saxe, celle qui verse ma paye stoïquement sur mon compte, le sache également. Bien coincé ici entre Chalamont et Crans, impossible de faire un saut vers chez eux à Aurich, qui se trouve dans les fondrières du nord de la Basse-Saxe.
Malgré sa balourdise bien connue, l’administration basse-saxonne a quand même eu, chose rare, une bonne idée : elle fournit à ses sujets vadrouillant à l’étranger, un formulaire nommé « Lebensbescheinigung », avec traduction en anglais et en français aussi. En français ce papier est appelé « Certificat officiel (Certificat de vie) ».
Ce papier est à remplir par l’administré, donc par moi. Mais il faut l’enjoliver d’un beau tampon délivré soit par une mairie, soit par la police, soit par le curé, soit par la Croix-Rouge, soit par tout autre organisme officiel du pays où le bas-saxon pose ses grosses pattes palmées.
Tout ça est bien expliqué dans un français pas trop érudit de façon que le maire d’une bourgade comme Chalamont, par exemple, le comprenne aisément. Ce n’est pas tout le monde qui à fait ses études à l’ÉNA. . .
En traversant la Dombes dans ses ornières bourbeuses les plus collantes j’ai pensé à mon pays chéri et à sa gadoue : la Basse-Saxe. Et là je me suis dit que ce serait ici, dans la bourbe de la Dombes, que je laisserais attester que je vis encore.
Alors, à Chalamont, point culminant de la Dombes, je me rends à la mairie, muni de mon passeport et du formulaire avec son explication en français. La secrétaire le tourne de la droite vers la gauche, puis jette vers moi un regard un peu égaré et dit : « Non, on n’a jamais fait ça. »
Je lui explique de nouveau en l’assurant que la France ne sera pas vendue aux Allemands si le maire signe le papier. Je laisse tout, passeport, explication française et formulaire dans son bureau pour qu’elle le présente bien à Monsieur le Maire. Elle me le promet avec un ton qui signale qu’elle serait heureuse si je quittais le lieu aussi vite que possible. Comme une mauvaise odeur.
Le lendemain elle me dit que ce n’est pas possible, que Monsieur le Maire n’a jamais signé un tel papier, et que je dois me présenter à la gendarmerie avec ma demande. Elle me tend les papiers pincés entre son pouce et son index. Comme un chiffon contaminé par je ne sais quel virus.
Je vais donc à la gendarmerie.
Là, une gentille gendarmerine me reçoit. Je lui explique une fois, deux fois, en lui assurant que sur le papier c’est bien rédigé en bon français si elle ne me comprend pas, si je m’exprime trop mal.
Elle s’en va dans un bureau caché quelque part dans les bas-fonds de l’édifice. Elle murmure quelques mots, sans doute à son supérieur. Aussitôt après j’entends la voix sonore d’un mâle : « Non, je ne suis pas médecin, je ne peux pas faire ça. »
Ma timide remarque que Monsieur le Gendarme daigne sortir pour constater que je suis bien en vie reste infructueuse. Je n’ai donc pas eu l’occasion de l’admirer, ni de me prosterner devant lui.
Je sors quinaud.
Je crois que pour conserver des postes dans les services publics on ne forme pas les gendarmes, même les spécimens d’une certaine importance, de sorte qu’ils sachent distinguer avec certitude un cadavre d’un vivant. Ça risquerait sans doute de mettre le médecin fonctionnaire au chômage.
Quoi faire ?
Le maire et les gendarmes de Chalamont (2000 habitants) sont probablement coincés et timorés de la sorte tout simplement parce que cette commune est limitrophe d’un autre village nommé Crans (200 habitants). Apparemment ce fait est tellement intimidant que le cran des Chalamoutons descend encore un cran plus bas dans leur culotte face à l’audace des fiers habitants du Village de Crans.
En tout cas, c’est ça qu’on m’a dit. Et c’est pourquoi nous sommes allés à Crans où nous étions invités chez Alain-Poney.
Et tiens donc ! Sans aucun problème mon attestation a été ornée d’un très beau tampon de la Mairie. La Mairie de Crans.
Voilà. Il existe encore, même dans la France rurale, des gens dans des positions de responsabilité qui ne sont pas craintifs ni méfiants, et qui n’ont pas perdu tout bon sens par simple trouille de faire quelque chose de nouveau.
Oui, j’admets, ça doit sembler un peu étrange si quelqu’un, un étranger en plus, rentre dans un bureau en demandant d’attester qu’il est en vie.
La Vie ! Chose si exceptionnelle, si rare, si difficile à attester avec un Certificat Officiel . . . .
Merci Monsieur le Maire de Crans, gardez bien votre Crans !
oswald